Pardon Monsieur

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Moi : Excusez moi monsieur, auriez vous une minute ?

Lui : Je n’ai pas beaucoup de temps, je suis pressé !

M : Vous m’en voyez navré… Et qu’elle est cette occupation si pressante qu’elle vous empêche de discuter ?

L : Je travaille monsieur, comme tout le monde !

M : Aïe, je m’en désole pour vous. Et dans quoi travaillez vous donc ?

L : Je ne vois pas en quoi cela vous regarde mais je travaille dans une banque. Maintenant je m’excuse mais je dois y aller.

M : Ne vous excusez pas voyons, je vais vous accompagner ! Une banque vous dites, quelle terrible manière de passer vos journées. Je suis vraiment désolé que cela vous soit arrivé.

L : ...

M : Vous restez silencieux, vous aurais-je offensé ? Si c’est le cas je vous présente mes plus plates excuses. Mais n’êtes vous pas d’accord qu’il y aurait des centaines de façons bien meilleures de dépenser votre temps ? Je dis “dépenser” puisque vous êtes du métier.

L : J’aime mon travail monsieur et tout le monde n’a pas la chance d’être aussi oisif que vous me semblez l’être.

M : Vous vous contredisez en plus… quel malheur. Vous dites aimez votre travail et pourtant c’est une chance que je sois oisif. Vous préféreriez donc que nos situations fussent inversées ?

L : Je ne sais pas, que faites vous donc de vos journées, vous ?

M : Je flâne, je marche, je vagabonde, je rencontre et je découvre, parfois je lis et souvent, très souvent, je m’excuse !

L : Vous vous excusez ?

M : Pardon, n’ai-je pas été clair ?

L : Si, si, on ne peut plus clair, maintenant j’aimerais être tranquille si vous le voulez bien.

M : Excusez moi mais vous n’avez pas répondu à ma question !

L : Peut être que je supporterais une journée dans vos chaussures, mais pas plus !

M : N’en soyez pas si certain mon cher monsieur, c’est que l’oisiveté vous monte à la tête, on se surprend un beau matin à rester dans son lit plus que l’on ne devrait et puis lorsqu’on se lève finalement, c’est l’énergie qui vous manque, alors on s’assoit, on lit un peu, et puis comme notre livre nous a donné à réfléchir on décide d’aller faire un tour, pour se changer les idées vous voyez. Et voilà que l’on tombe sur une personne qui nous tape dans l’oeil pour une raison ou pour une autre, alors on l’aborde et on passe notre ennui sur l’autre.

L : Vous vous ennuyez donc ?

M : Bien sûr, pas vous ?

L : Jamais !

M : J’en suis désolé !

L : Pourquoi donc ?

M : Parce que si l’on ne s’ennuie pas quelquefois, on ne peut pas apprécier l’occupation. Vous pensez l’apprécier votre occupation ?

L : Je ne sais pas, je ne me suis jamais posé la question. Je suis occupé, c’est tout.

M : C’est tout. C’est tout. Que vous êtes sinistre monsieur, plus je vous parle et plus je suis désolé pour vous. Vous ne faites donc que ça de votre vie ? Être occupé ?

L : Et que voulez-vous que je fasse d’autre ?

M : Quel esprit fermé vous avez là, je suis triste d’entendre vos mots. Vous n’avez donc jamais pensé à rêver ? À regarder autour de vous et à apprécier les petites choses ? Les couleurs d’un oiseau ou d’une fleur, le son de la pluie et celui du vent dans les arbres, le sourire d’un enfant, la chaleur du soleil sur votre visage ? Mais non, vous êtes occupé, pas le temps d’apprécier la vie puisque vous êtes occupé et quand bien même vous n’auriez plus rien à faire vous vous occupez à vous trouver une occupation. C’est terrible monsieur ce qu’il vous arrive. Je ne peux rien vous dire d’autre qu’à quel point je suis désolé pour vous.

L : Votre vision est bien belle, trop belle, mais c’est une utopie.

M : Comment donc ?

L : C’est une utopie car si chacun faisait comme vous alors notre société s'effondrerait monsieur. Il n’y aurait plus personne pour travailler, plus personne pour vous soigner, vous construire vos maisons ou vous cultiver de quoi manger.

M : Et plus de banque ?

L : Plus de banque non plus, non.

M : Mais peut être que si personne ne faisait rien alors tout le monde commencerait à s’ennuyer, alors ces personnes commenceraient à apprécier ce qu’elles feraient quand elles le feraient et donc retrouveraient le goût du travail et peut être qu’elles s’appliqueraient à faire ce qu’elles font, vous ne pensez pas ?

L : Et que cela change t-il pour vous ?

M : Alors je n’aurais plus à m’excuser ! Une chose de moins à faire !

L : Pourquoi vous sentez-vous obligé de vous excuser ?

M : Je m’excuse tout le temps et auprès de tout le monde parce que j’ai quelque chose qu’ils n’ont pas.

L : L’oisiveté ?

M : Oui l’oisiveté. Et en m’excusant je leur fais prendre conscience de ce quelque chose pour que peut être, un jour, ils puissent l’avoir aussi.

L : Vous pensez que je peux l’avoir alors ?

M : L’oisiveté ?

L : Oui, l’oisiveté.

M : Mais je vous ai déjà donné sa graine à votre insu mon bon monsieur car depuis dix minutes nous avons dépassé la banque où il me semble que vous deviez vous arrêter pour travailler. J’ai l’honneur de vous annoncer qu’en cet instant précis, vous êtes oisif !

L : Vous m’avez bien baratiné et me voilà en retard, au revoir monsieur.

M : Excusez moi une dernière fois, j’ai une proposition. Continuez sur cette route, tout droit, pas dans la direction de votre banque et prenez votre journée. Quand à moi je me chargerai de prendre votre rôle pour la journée afin que vous ne soyez pas pénalisé.

L : Et comment un oisif tel que vous compte-t-il s’y prendre pour occuper mon poste ?

M : Mon cher monsieur, vous êtes bien crédule pour croire que vous êtes le premier occupé à qui je fais cette offre. Croyez-moi j’ai bien des compétences dans bien des domaines et le votre est loin de m’être inconnu.

L : Et comment saurez-vous mes occupations ?

M : Un oisif dans mon genre a beaucoup de temps, j’ai fais mes recherches, je vous savais par cœur avant même de vous rencontrer. Mais assez de questions, partez par là l’esprit libre, profitez, ennuyez-vous et moi, je m’occupe de votre occupation ! Partez maintenant, j’ai à faire.

L : Mais…

M : Ouste, du balais !

L : Excusez moi, je m’en vais.

L : Excusez moi monsieur, auriez-vous une minute ?

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