Un simple rêve
Sur cette lettre que j'écris à l'instant, ne demeureront que ces mots, qui, je l'espère, transcenderont le temps et permettront de me retrouver quelque part ou à un moment donné. Voici les quelques phrases que je laisse comme seul témoin de mon histoire :
Tout commença il y a quelques semaines, lorsqu'en forêt, je fis mon footing comme chaque matin tôt.
Je passais comme à mon habitude par ce petit sentier que je connais bien. La rosée était encore fraîche et les arbres se réveillaient à peine avec la brise. Encore un peu somnolant du réveil, je m'efforçais de garder l'équilibre tandis que je courrais sur les racines qui nervuraient le sol.
La forêt était calme, et le komorebi entre les arbres réveillait délicatement mon visage endormi. J'écoutais avec délice les oiseaux chanter et calquais ma respiration sur leur rythme. Je me concentrais sur chacun de mes pas, sur chacune de mes inspirations et sur chacune de mes expirations. Je me connectais à mon corps, à mes sensations et savourais ce moment.
Soudain, perçant dans l'harmonie immuable de la forêt, un son rauque, répétitif et métallique interrompit ma course.
Il semblait proche de moi, ce qui eut pour conséquence de me faire chercher de la tête la source de ce mystérieux bruit.
Au loin, entre les arbres et les faisceaux de lumières qui les traversaient, j'aperçus ce que je n'aurais peut-être pas dû voir.
Rompant avec le paysage naturel, une personne en combinaison d'astronaute, tachée de sang et pelle à la main, creusait dans le sol, produisant cet écho métallique qui transperçait la forêt.
Je ne fus apparemment pas assez discret pour lui échapper, car elle tourna son casque et son regard dans ma direction.
Ma respiration se coupa, comme si j'avais conscience d'être au mauvais endroit, au mauvais moment.
Je m'apprêtais à rebrousser chemin le plus vite possible, mais à peine avais-je eu le temps de tourner les talons que j'entendis la pelle tomber à terre et sentis un souffle dans mon cou me murmurer quelque chose.
Je fermai les yeux, me préparant au pire, alors qu'au même instant un coup puissant me toucha dans le dos. Je sentis mes poumons se détacher de ma colonne vertébrale et mes os se briser sous le choc comme projetés hors de mon corps.
C'est à ce moment que je me réveille, transpirant de peur et de panique. Assit dans mon lit, le dos courbé, une douleur aiguë me saisit. J'agrippai ma chemise de nuit au niveau de mon cœur et attendis la terrible sentence.
Il bat...mon cœur bat.
Comme à chaque fois, mon rêve est clair, mais ce murmure inaudible et insaisissable est le seul élément dont je ne peux me rappeler.
Une fois de plus, ce cauchemar aura sali la tranquillité de ma nuit.
Je me levai et me dirigeai dans ma salle de bain. J'ouvrais le robinet d'eau froide et m'en éclaboussais sur le visage.
Je me servais un verre d'eau dans la cuisine et m'assis sur une chaise. La panique retombait peu à peu, mais cette sensation étrange ne me laisse pas. Comme à chaque fois, après ce rêve, j'ai cette impression d'imminence. Le sentiment pesant que quelque chose se produira bientôt.
Allons, ce n'est qu'un rêve. Je ne comprenais pas comment cela pouvait m'effrayer à ce point. Et pourtant, si seulement je m'étais écouté.
Cela devait faire la cinquième nuit où ce cauchemar venait me hanter. Étant très cartésien, je ne m'étais pas inquiété plus que ça. "Après tout, les rêves ne sont que le fruit d'une digestion d'événements vécus." me disais-je.
Cela aurait pourtant dû me mettre sur la voie.
La seule chose qui me préoccupait était le manque de sommeil. Je devais soumettre un travail de recherche sous peu et avec une telle fatigue, je n'arriverais pas à le finaliser dans les temps.
Je me rendis à nouveau dans la salle de bain. J'ouvris le placard au-dessus du lavabo et saisis une boîte de somnifère. Il y avait bien longtemps que je n'avais pas dû en prendre. Mais cette fois, ce fut nécessaire.
Je retournais dans ma chambre et rabattis le duvet par-dessus mon épaule lorsqu'une quinte de toux me prit violemment.
Je toussai sans m'arrêter à en détacher mes poumons. Je portai un mouchoir à ma bouche pour étouffer ma toux et remarquai par la suite que je l'avais tâché de sang.
Ce soir-là, j'ai naïvement cru qu'il ne s'agissait que d'une blessure quelque part dans ma bouche ou dans mon œsophage due au somnifère. Peut-être m'étais-je mordu la langue ou la joue ?
J'ai appris à mes dépens qu'un esprit cartésien cherchera toujours une réponse dans la rationalité. Toutefois, certaines explications sont proies de théories irrationelles.
Cependant, le lendemain et les jours qui suivirent, ma toux persistait. C'est ce qui m'amena à consulter un médecin.
J'enlevai ma chemise et expliquai les causes de ma visite. Mes douleurs au dos, ma quinte de toux sanglante et cette angoisse d'imminence incessante.
Le praticien toucha mon dos et s'exclama " C'est un hématome exceptionnel que vous avez là, Dr."
Mon sang se glaça. Je me levais, me postais devant le miroir du cabinet et tournais lentement sur mes talons pour me mettre dos à la glace. En regardant mon reflet, un flash de mon rêve me parvint. Ce murmure, je l'entendis cette fois me hurler : « Regarde derrière toi. »
Une ecchymose violette et noire s'étalait sur mon dos, du bas de mon bassin jusqu'à ma nuque.
Tout se bouscula dans ma tête. C'est à ce moment que je compris.
Je n'étais plus en proie à la rationalité et dans une intense frénésie, je quittai le cabinet médical sans même saluer personne.
Mon cœur se mit à battre au même rythme que dans ce que j'imaginais être un simple rêve.
Je rentrais en bousculant tous mes meubles, essayant péniblement dans ma panique de rejoindre mon bureau.
Je ne savais pas quoi faire, car je sentais arriver l'évènement responsable de cette sensation insoutenable.
Cela dépasse toute logique. Je suis incapable de comprendre ce qui m'arrive et ce qui adviendra de moi.
Absolument tout est plausible et cela me terrifie.
J'ai l'impression de devenir fou.
Alors, je pris quelques feuilles et me mis à écrire cette lettre.
J'en arrive au bout et mon écriture devient illisible. Mon cœur bat si vite, j'ai l'impression qu'il va se décrocher de ma poitrine.
Bientôt, il se passera quelque chose. Je n'ai pas pu l'expliquer et je ne pourrai sûrement pas le faire.
Alors, trouvez pour moi, vous qui aurez le temps !
Ne cherchez pas la réponse dans la science, car je ne peux vous affirmer avec certitude qu'il ne s'agissait que d'un simple rêve...
Adieux, ou à bien plus tard.
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