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Ils avaient facilement trouvé une maison à louer, car tous les blancs repartaient en France pendant cette saison. Seuls les vieux coloniaux supportaient le temps moite qui oppressait. Le gardien et la petite bonne pour la cuisine et le ménage étaient compris dans la maison : une grande salle, deux chambres, une salle de bain. L’état était impeccable et le prix largement dans les possibilités du nouveau résident.

Ils s’installèrent. Ils étaient tous les deux, tout le temps, même s’ils passaient beaucoup de temps dans leur famille, dont Gilles faisait maintenant complètement partie. Samsidine s’était accroché à son oncle. Il était inscrit au collège des pères et Gilles paierait les frais : il l’avait demandé comme un service. Il passait beaucoup de temps pour aider celui qu’il considérait comme son petit fils. Le garçon était intelligent, mais la surcharge des classes avait causé des lacunes.

Le matin, le soir, ils allaient marcher le long de la plage, Gilles avait découvert ce plaisir. Alors que les gros nuages rouges et noirs montaient, sans encore se déchaîner, Gilles lui avait proposé d’arrêter de travailler et de vivre simplement avec lui. La réaction avait été très vive, Codou usant de mots grossiers pour rejeter cette idée généreuse. Il voulait dépendre de personne. Il voulait être le seul à assurer la vie de sa famille. Il reprocha à Gilles de ne pas lui avoir parlé des études de Samsidine. Gilles ne comprenait pas ce refus, car pour lui, ils formaient la même famille, même s’il avait assisté à une discussion animée dans laquelle le nom de Djiby, le grand frère, revenait. Il y avait un problème sérieux. Il essaya de questionner Codou, qui se ferma aussitôt. Il partit une semaine, sans explication, laissant Gilles seul. Ce fut juste au début des pluies, quand les trombes tièdes martèlent sans relâche.

Gilles visita plusieurs agences, expliquant sa recherche d’un petit logement à proximité des hôtels. Son idée était de lui offrir un logement pour son activité, sans avoir à être racketté par le cousin. Il eut le coup de foudre pour une vaste chambre assortie d’un cabinet de toilette, dans une petite rue du quartier touristique. Il y avait l’eau et l’électricité, mais le local était dans un état lamentable. Il l’acheta pour une somme qu’il jugea dérisoire.

Codou était revenu. Il avait en permanence le visage grave. Gilles le connaissait maintenant assez pour savoir l’inutilité d’une question. Il l’entoura de prévenance, sans parvenir à le dérider. Leurs rapports étaient mécaniques. Gilles sentait leur relation se distendre, perdu dans son incapacité à comprendre. Codou repartit une semaine. Il revint apaisé, mais toujours distant. Ce qui blessait le plus son amant était l’apparente absence de plaisirs lors de leurs rapports. Lors de son séjour à Paris, Gilles était entré dans une boutique spécialisée. Il avait demandé conseil au vendeur, gêné de ses questions. Le naturel des réponses l’avait rassuré et il avait pu profiter d’explications et de propositions, le vendeur racontant ses utilisations personnelles de ces accessoires. Il était reparti avec des objets dont il pensait faire profiter son amant. Il s’était amusé en se demandant ce que les contrôleurs de bagages verraient sur leurs écrans.

Il sentit que c’était un moyen de retrouver son amant. Il sortit une prothèse de bonne taille et, sans la montrer à son amant, il se mit à le travailler délicatement. Codou devait connaître, car après un mouvement d’interrogation, il se laissa aller aux gestes de son partenaire. Gilles crut percevoir une satisfaction et un remerciement. Il fut heureux de retrouver un peu son ange, ne voulant pas reconnaître que l’éloignement l’avait meurtri. Sans Codou, il ne vivait plus. Admettre qu’il n’était pas le centre de la vue de son dieu lui était impossible.

Il profita de ce rapprochement pour emmener Codou visiter son acquisition, lui demandant conseil sur l’intérêt d’un tel achat, sur les travaux pour le rendre agréable. Le jeune trouva l’endroit intéressant et fit preuve d’idées pour en faire une garçonnière. Gilles profita de l’ouverture.

— Codou, tu paies beaucoup à ton cousin…

— C’est vrai, mais je suis seul sur ce territoire.

— Imagine si tu pouvais aller d’un hôtel à l’autre, d’un bar à l’autre…

— J’aurais plus de clients…

— Mais il te faudrait un endroit à toi…

— Je sais. Mais je ne peux pas m’en payer un…

— Codou, conseille-moi. J’ai un ami, en France, qui m’a rendu un immense service. Comment puis-je le remercier ?

— En lui faisant un immense cadeau !

Son rire souligna la stupidité de la question

— Codou, j'ai un ami, dans ce pays, qui m’a rendu un immense service. Comment puis-je le remercier ?

— Non ! je ne t’ai rendu aucun service. Je ne veux rien de toi !

— Mais tu vas m’en rendre un ! Ici, je ne connais personne. Si j’achète quelque chose, quand je disparaîtrai, cela partira à l’abandon. Personne ne viendra le réclamer. Je ne veux pas ça.

— Gilles…

— Tais-toi ! Tu me sers de prête-nom, c’est tout. C’est à moi et tu me verses un loyer.

Après une longue réflexion, il leva les épaules. Gilles sauta de joie.

Il fallait installer une douche, refaire le carrelage. Trouver les matériaux était compliquer, autant que les faire poser correctement. Codou s’était investi dans ce travail qui le distrayait de ses ennuis.

La peinture et la décoration furent plus faciles. Samsidine venait les aider. Dans la touffeur moite, ils ne gardaient qu’un short pour travailler. Gilles regardait les deux frères, tellement pareils. Samsidine serait sans doute un peu plus musclé, mais il allait être aussi un superbe jeune homme. Gilles en était heureux pour lui, le regardant uniquement comme un petit-fils. De temps en temps, les deux frères chahutaient dans un ballet qui faisait rire Gilles.

Pendant ce temps, des trombes d’eau se déversaient et les deux amoureux mélangeaient leur sueur et autres sucs corporels. Gilles, cependant, supportait mal cette lourde humidité et fut obligé de ralentir le rythme de leurs exercices.

Codou avait fait preuve de beaucoup de goût dans le choix de la décoration et le résultat était accueillant et confortable.

Ils étrennèrent le lieu, retrouvant la fougue de leur rencontre. Codou osa enfin un timide merci. La saison commençait dans deux semaines et tout était prêt !

Gilles remarqua alors qu’il fallait un costume attrayant : se trimballer avec un t-shirt immense était un bon plan au bord de la piscine, pas pour draguer dans les bars. Un tailleur, qui cacha à peine ses envies, confectionna une sorte de boubou qui mettait en valeur le corps à vendre, soulignant en le moulant, les formes de ce garçon-fille. Plusieurs exemplaires, dans des tissus chatoyants, furent commandés. Gilles implora son amoureux pour les payer. Enfin, il fit imprimer de petites cartes, portant le texte et son numéro de téléphone : « Codou prend soin des hommes » d’un côté et : « Macodou prend soin des hommes » de l’autre. Enfin, ils trouvèrent un informaticien habile qui produisit un site, associant le nom de tous les hôtels et la proposition de services particuliers. Le nom de Codou sortait quand on cherchait des informations sur un de ces ressorts de luxe.

La saison démarra doucement, Codou ayant du mal à repérer les lieux porteurs et à mettre au point son numéro. Rapidement, il se concentra sur un hôtel, réputé pour attirer les hommes seuls en mal d’aventures féminines. Malgré les protections, il arrivait à s’introduire au bar, offrant discrètement sa carte quand un regard lui plaisait et s’éclipsant avant d’être chassé. Un appel le dirigeait ensuite vers son repère.

Le soir, il racontait à Gilles ses rencontres du jour, quand il n’était pas retenu pour une nuit entière. Il était épanoui, avouant avoir triplé son chiffre d’affaires et supprimé les taxations. Gilles, trop souvent privé de son amant, lui conseilla de ralentir et d’augmenter ses prix.

Ils se retrouvaient souvent, gentiment, comme de vieux habitués. Codou se confiait peu, en dehors de ses exploits. Gilles avait plusieurs fois essayé de le faire parler de lui, de revenir sur son souhait d’être une femme alors qu’il aimait les plaisirs de son sexe mâle, fier de ses prouesses et adorant être pris et soumis. Jamais le jeune ne revint sur le peu qu’il avait laissé entrevoir. Gilles était triste de cette distance impossible à réduire. Il était cependant heureux de cette vie, toujours enthousiasmé et affolé par le corps divin qui s’offrait à lui. L’émotion de la première fois demeurait intacte. Codou dégageait toujours un charme incroyable.

Ils avaient mal apprécié l’environnement. Le cousin avait perdu gros avec le changement. Il n’avait eu aucune difficulté pour retrouver Codou et il exigeait de continuer à être payé. Dans son affolement, le jeune s’était confié à son protecteur, le regrettant aussitôt et lui imposant de ne pas intervenir. Gilles était choqué par cette pratique. Il décida, malgré les injonctions de Codou, d’aller porter plainte. Ignorant les pratiques locales, il fut soumis à un chantage. Codou était fiché comme prostitué et le fait que lui vienne se plaindre revenait à le placer comme son proxénète. Il allait donc être poursuivi pour cette pratique répréhensible. Le flic lui indiqua gentiment que le dossier pouvait être traité favorablement, moyennant une aide financière. La somme était conséquente, mais moins élevée que celle demandée par le cousin. Il obtempéra, pensant délivrer son poulain.

Un peu plus tard, Codou lui dit que son cousin avait abandonné ses demandes, mais que la police exigeait qu’il paie une protection. Gilles ne lui avoua pas sa démarche, honteux d’avoir simplement changé le fardeau du racket.

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