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Gilles avait créé sa petite vie. Il avait rejoint une association qui travaillait pour aider les petits mendiants. Il n’arrivait pas à oublier ces enfants jetés dans l’enfer dès leur naissance. Lui-même n’avait pas eu d’enfance et de jeunesse, mais il se trouvait maintenant privilégié.

Sinon, il arpentait les rues, s’arrêtant pour discuter avec chacun, eux dans leur français malmené, lui dans ses essais de langues locales, perdu dans leur pluralité. De toute façon, l’important était de montrer sa sympathie et de partager les salutations.

Il baignait dans cette vie, ne faisant plus attention aux bricolages incessants de survie. Il avait complètement effacé les soixante-deux premières années de sa vie, constituées de vides et d’absences.

C’est Samsidine qui fit tout basculer. Si Codou n'exprimait plus rien, hormis encore quelques offrandes de son corps par charité pour un passé auquel il était indifférent, le petit frère restait attaché à son oncle, et lui montrait une grande affection. Il venait d’avoir quinze ans quand il lui annonça qu’il arrêtait ses études.

— Mais tu réussis bien ! Tu vas finir par avoir un diplôme. Tu pourras être fonctionnaire…

— Tu rigoles ! Pour toucher un salaire de misère ! Regarde Codou tu sais combien il gagne ?

— Non.

Le chiffre le stupéfia, car après une conversion, le montant était le double de son ancien salaire. Tout ça en monnayant son propre plaisir. Gilles savait qu’il devait déduire ce qu’il donnait à des protecteurs, les ayant reçus à la maison et en en ayant réglé plusieurs.

— Samsidine, ne me dis pas que tu veux faire comme lui ! Tu vaux mieux que ça !

— Mieux que ta femme ? Mieux que ton ancienne femme, plutôt !

Les mots blessèrent Gilles.

— De toute façon, moi, je ne suis pas un gori-jeens !

Gilles se sentit rassuré.

— C’est un copain qui m’a indiqué ça : il y a plein de vieilles toubabs qui rêvent des grosses bites des noirs. Alors, un peu de charme et tu les emballes.

Gilles le regarda. La confrontation avec le monde occidental pourrissait tout. Il avait devant lui un garçon charmant, bien bâti, plus viril et musclé que son frère, dans la force de la fin d’adolescence. Une bête magnifique, certes, mais surtout un garçon intelligent, attentif aux autres, doué d’une grande gentillesse. C’est cet esprit qui allait être souillé.

— Samsidine, mon garçon, tu as déjà fait ça ? Tu as couché avec une fille ?

Il rigola.

— Bien sûr que non ! Je respecte trop mes amies. Je ne coucherai qu’avec ma femme, quand je serai marié.

— Mais comment vas-tu faire ?

— Les vieilles m’apprendront à faire ce qu’elles aiment ! Moi, je veux de l’argent.

Il n’avait pas vu le coup venir. Discuter était impossible. Il allait abandonner quand il reçut le coup de grâce.

— Codou m’a dit de te dire que je prenais ta place dans sa maison.

Codou n’avait même pas eu le courage de le chasser. C’est Samsidine, son petit-fils, qui était chargé de la sale besogne. Gilles sentait le coup venir, mais pas aussi salement. Il avait déjà réfléchi à une solution de repli.

Plus tard, en discutant avec une vieille blanche, il apprendra comment son « petit-fils » se débrouillait. Il s’était fait tailler un short moulant ses fesses musclées, avec un rembourrage sur le devant qui pouvait laisser penser à un sexe énorme. Un débardeur permettrait de voir ses bras forts. Son visage était, trait pour trait, celui de son frère, l’éclatante jeunesse en plus.

Le dimanche, après l’installation des touristes, lors de leur première sortie, il repérait une proie. Il possédait le même don que son frère pour détecter celle qui allait céder. Il bousculait malencontreusement la dame, l’aidait à ramasser ses affaires, se confondant dans de telles excuses bafouillantes qu’il se faisait consoler par un verre, bien sûr sans alcool. La conversation s’établissait, le calmant, tandis qu’il affichait ses attributs et proposait ses services. Le but était d’atteindre la chambre. Il sautait alors au cou de la dame pour l’embrasser, puis rejouait le confus, emporté par un désir fou devant les charmes de cette femme. Il passait ensuite la semaine à combler la demanderesse, ne comprenant pas comment elle avait pu obtenir une telle chance.

Cette histoire rappelait à Gilles son arrivée et l’accueil de Macodou. La fin différait légèrement. La veille du départ, dans le chagrin de la séparation, Macodou disait son anxiété. Il avait séché l’école pour vivre cette merveilleuse et inoubliable aventure qui resterait à jamais gravée dans son esprit. Il devait rentrer chez lui. Il se ferait battre à mort. Si seulement il avait un cadeau pour son père… On ne disparaît pas à quatorze ans sans se faire punir.

L’annonce de son âge, habilement esquivé pendant la semaine, portait le coup de grâce.

La vieille dame, rencontrée par hasard, qui raconta son histoire à Gilles n’était pas dupe. Elle avait payé une fortune en disant que, pour le service rendu, ce n’était pas cher. Une énième tournée leur permit de trouver ces petits noirs adorables.

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