Chapitre 4 : L'arroseur arrosé

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Depuis je scrute mon téléphone toutes les cinq minutes pour voir comment elle réagit. Cela déclenche quelques moqueries de la part de mes camarades… ils croient que je me suis enfin mise en couple. Je ne fais rien pour démentir cette rumeur : d’une part parce que je ne passe plus pour la célibataire endurcie de service, d’autres part parce que c’est l’excuse parfaite qui m’évite d’en inventer une autre. Mis à part ça, impossible de me concentrer sur le contenu des cours. Je renonce à lutter. Je quitte l’amphi à la pause pour avoir le temps d’aller chercher Maxime à l’école. Après tout, si Gwénaëlle ne me réponds pas, je pourrais tout aussi bien lui parler de vive voix.

Malheureusement, je reste coincée un bon moment dans le métro à cause d’un abruti qui a trouvé amusant de se promener sur les voies. L’attente est interminable, je tourne et retourne des scénarios insensés dans ma pauvre tête. Comment aborderai-je la question de sa nature d’alien en public ? Comment réagira-t-elle ? C'est donc un peu échevelée que j'arrive devant la porte de l'école la Providence. Mais, alors que l'heure de la fin des cours est déjà bien dépassée, point de Maxime en vue. Damned. Déjà des dizaines de théories alarmantes germent dans mon esprit fatigué. Des aliens mal intentionnés l'auraient-t-ils enlevé pour faire pression sur Gwénaëlle, voire sur moi ? A-t-il découvert la nature alien de sa maîtresse et a donc été renvoyé de l'école ? Je multiplie les tours sur moi-même dans l'espoir de l'apercevoir.

- C'est Maxime que vous cherchez ? demande une voix familière dans mon dos.

Je fais volte-face et dévisage Gwénaëlle d'un air suspicieux.

- Oui, lâché-je froidement

- Sa mère est venu le chercher car elle a appris que vous étiez souffrante, explique calmement la Pléiadienne.

- C'est vrai ce mensonge ?

- Ecoutez je suis prête à le jurer sur la constitution interstellaire de… chuchote-t-elle

- Je vous crois.

Je ne le laisse pas paraître mais un immense soulagement m'envahit : Maxime n'a rien. Et Christine est probablement allé le cherché en voyant que je ne me réveillais pas ce matin. Nous nous dévisageons encore quelques instants en silence. Finalement Gwénaëlle déclare :

- Je crois que nous avons beaucoup à nous dire…

- C'est un euphémisme.

- Retrouvez moi ce soir à dix-huit heures au 45 rue Saint-Blaise.

- J'y serais.

Un peu moins de deux heures plus tard me voilà devant la porte d'un grand immeuble gris terne qui contraste violemment avec les couleurs vives qui jalonnent la rue pavée aussi bien au niveau de la devanture des boutiques que des pots de fleurs bariolés attachés aux poteaux. En face se dessine une petite allée piétonne qui mène à un petit square blindé de gamins appelé le "square des Cardeurs". Très peu de voitures, beaucoup de boutiques… La rue Saint-Blaise c'est un peu la rue Mouffetard du XXe. Mon cerveau fatigué me fait remarquer que, quand j'étais petite, je lisais un recueil de contes nommé "La sorcière de la rue Mouffetard" et je l'avais beaucoup aimé. Vivrai-je assez longtemps pour écrire un jour "Les aliens de la rue Saint-Blaise" ?

Je n'ai pas le loisir de poursuivre plus longtemps mes prétentions littéraires. En effet la voix de Vérevkine surgit de sous le porche de l'immeuble :

- Personne ne vous a suivie ?

Je fais volte-face et tente de localiser précisément la Reptilienne malgré ma myopie mal corrigée tout en répondant d'un air qui se veut assuré :

- Pas de problème, j'ai vérifié !

Même si en réalité je ne suis sûre de rien. D'un autre côté je me dis que ce n'est pas pour mes talents de discrétion que Gwénaëlle a besoin de moi. De plus si jamais quelqu'un me suivait, rendre visite à des amis dans mon propre quartier n'a rien d'une activité anormale pour quelqu'un de mon âge… Mais je n'ai pas le temps d'expliquer tout cela à Vérevkine : celle-ci me fait signe d'entrer.

Je la suis dans les escaliers et tente pendant toute la montée jusqu'au 6e étage de ne pas me laisser distancer. Une fois arrivée sur le palier, je fais de mon mieux pour ne pas cracher mes poumons sur le paillasson. Je me concentre plutôt sur ma curiosité naissante : à quoi ressemble un appartement d'aliens ? J'ai presque l'impression de poser le pied sur une planète inconnue… La première chose qui me frappe est la température très basse de l'air ambiant. Pourtant malgré l'approche de l'été, il ne fais pas si chaud que ça dehors… Puis je me rappelle qu'Antarès m'a expliqué que les Pléiadiens viennent d'une planète gelée et tout devient plus clair. Cela explique aussi les murs peints en couleurs vives et les piles de livres un peu partout : quand on vient d'un monde froid, les sources de chaleur sont visuelles.

Je suis interrompue dans mon émerveillement par Vérevkine qui ferme brusquement la porte et lâche :

- N'envoyez plus jamais de SMS de ce genre !

- Bah quoi ? Vous aimez pas David Bowie ?

- Ne commencez pas à jouer les imbéciles… Nos lignes sont certainement surveillées !

- Oh, désolée. Je ne savais pas… C'est pour ça que ça fait presque une semaine que je n'ai aucune de vos nouvelles ?

- Oui…, intervient Gwénaëlle qui fait son entrée dans le couloir, désolée pour ça. Vérevkine a passé tout ce temps à vérifier que votre message ne soit pas tombé entre de mauvaises mains… Elle a un côté un peu parano !

- Hey, la parano, elle essaye de te garder en vie je te signale ! grogne la Reptilienne.

- C'est ça… Entrez donc, Hélène. Faites comme chez vous.

J'adore l'hypocrisie de l'expression… Si j'avais fait comme chez moi, j'aurais balancé mes chaussures et mes chaussettes n'importe où et mon soutien-gorge aurait bientôt subi le même sort avant que je ne m'effondre sur une quelconque surface moelleuse… Mais le canapé en cuir et les chaises en maroquinerie ne m'inspirent pas confiance : j'ai peur de les abîmer rien qu'en posant mes fesses dessus. Je m’assieds donc avec d'infinies précautions sur le siège qui me paraît le plus solide. Gwénaëlle s'attribue le canapé tandis que Vérevkine se place à califourchon sur une chaise retournée et s'accoude sur le dossier.

- Bon, j'aimerai qu'une chose soit claire : vous avez parlé à Tento ? demande-t-elle brusquement.

- Si Tento est un raccourci pour un nom beaucoup plus long et qu’il vient du système d’Antarès, non je ne lui ai pas parlé.

- Alors… comment ?

- Je suis partie en mission sous-marine pour explorer le dark web.

Difficile de parler de surf sur le net à ce niveau…

- Je vois. Tento n’a pas exagéré sur vos compétences informatiques…

- D’ailleurs, vous avez des nouvelles de ce grand con ?

- Il efface les traces de son passage, il a bientôt fini.

- Ah bon. Cool. J’espère qu’il n’a pas oublié sa promesse…

Vérevkine hoche la tête d'un air satisfait. J’aurais aimé parler plus longuement d’Antarès mais elle fait signe à Gwénaëlle de poursuivre la conversation.

- Nous vous avons approchées pour…

- Me demander de l'aide, coupé-je.

- Mais co… bafouille la Pléiadienne.

- Je me doutais qu'au moins l'une d'entre vous était alien alors j'ai enregistré votre conversation pendant mon absence au restaurant.

- Je commence à comprendre pourquoi Tento tiens autant à vous… sourit Vérevkine.

- Bref, en quoi puis-je vous aider ?

- Avant toutes choses, il y a certaines choses que vous devez savoir à propos de mon peuple.

- Je vous écoute.

- Très bien. Notre… comment dire ? notre système social est matriarcal.

- Je sais.

Gwénaëlle marque un silence surpris avant de poursuivre :

- Par conséquent les femmes ont beaucoup plus de responsabilités.

- Je sais.

- D'autant plus que nous sommes dix fois moins nombreuses que nos hommes.

- Je sais.

- Bon on va faire autrement. Qu'est-ce que vous ne savez pas sur mon peuple ?

- Votre vague est arrivée quand sur Terre ?

- Dans les années trente. Nous sommes la dernière vague.

- Donc les plus proches des valeurs de base des Pléiadiens.

- C'est ça…

- Et vous, vous avez enfreint l'une de ces règles fondamentales, n'est-ce pas ?

- Bon sang mais vous ne pouvez pas faire semblant d'être surprise de notre existence pendant trente secondes ? s'agace Gwénaëlle.

C'est vrai qu'elles ne devaient pas avoir prévu que le moment de me révéler leur problème se déroulerait ainsi…

- Plaignez-vous, je nous fais gagner du temps.

- Elle marque un point, concède Vérevkine.

Gwénaëlle la fusille du regard, prend une grande inspiration et déclare :

- Très bien ! Puisque que vous voulez que je vous la fasse courte : j'ai couché avec un humain et je suis tombée enceinte.

- Hum… d'accord c'était peut-être un petit peu trop rapide. Heu… je suppose que c'est un crime impardonnable. Quelle est la peine encourue ?

- Avortement forcé et certainement assignement à résidence pour le restant de mes jours.

- Je… je dois avouer que je m'attendais à pire…

- Les femelles sont trop rares dans son espèce pour qu'ils puissent se permettre de la tuer. D'autant plus qu'elle est la fille de la matriarche de la dernière vague.

- Oui, j'imagine que ça complique les choses… Mais il y a toujours quelque chose que je ne comprends pas…

Gwénaëlle coule un regard à Vérevkine qui sous-entend clairement à quel point ma stupidité humaine l'agace.

- Je ne vois pas en quoi je pourrais vous aider dans cette histoire… lâché-je en écartant les mains.

- Je t'avais dit que ce serait inutile ! s'énerve Gwénaëlle en se levant brusquement.

- Hey, calme toi… réplique Vérevkine sans élever la voix.

- NON, JE NE ME CALMERAI PAS ! hurle la Pléiadienne en renversant la lourde table de chêne massif qui trône au milieu du salon.

Whoa… Je n’avais pas lu sur le dark web que les Pléiadiens avaient une force surhumaine… J'en tombe littéralement de ma chaise. Mais Vérevkine se lève, toujours aussi calme. Elle attrape Gwénaëlle par le col de sa chemise et la plaque violemment contre un mur.

- Juste au cas où tu aurais oublié, tu es Palywenn la Ghanimide et tu es dans la merde jusqu'au cou, siffle la Reptilienne, nous avons besoin d'un appui chez les humains si tu veux te planquer parmi eux. Alors tu te calmes tout de suite ou je t'égorge. Ça résoudrait le problème plus rapidement.

Je me remets debout tant bien que mal et remarque au passage que les yeux de Vérevkine sont passé du bleu acier au jaune d'ambre… et sont désormais fendus d'une pupille verticale. Je crois même que ses dents se sont allongées tandis que les traits de son visage se sont durcis. J’ai cru comprendre qu’à l’instar de la race d’Antarès, les Reptiliens avaient des capacités de métamorphose… Mais ces derniers se faisaient de manière plus insidieuse et…flippante. D'ailleurs, cela a l'air d'avoir un effet comparable sur Gwénaëlle (ou quel que soit son véritable nom) : elle obtempère et Vérevkine s'écarte enfin d'elle.

- Je suis désolée Hélène… J'ai les nerfs à vifs ces derniers temps… s'excuse la Pléiadienne.

- Ne vous en faites pas, à votre place je serais dans un état comparable… tenté-je en grimaçant un sourire.

Je prends une grande inspiration, pour essayer de digérer les évènements qui se sont déroulés devant mes yeux ébahis. Comme souvent dans ce genre de situation, je ravale mon appréhension en la noyant sous l'excitation de participer à une aventure de science-fiction. Moi qui voulais devenir la première femme sur Mars, je ne peux pas me rapprocher davantage de mon rêve. Aussi je me rassois négligemment sur mon siège déjà malmené et demande avec mon plus joli sourire :

- Mais du coup, sachant tout ça, vous voulez toujours de moi comme colocataire ?

- Oui.

- Alors, en tant que représentante de la race humaine… Que puis-je faire pour vous ?

- Nous avons besoin de camoufler notre odeur par une odeur humaine. Pour échapper aux chasseurs d’alien comme à la famille de Gwen.

- Et… Comment je vous prête mon odeur ? Je pète partout dans l’appartement, c’est ça ?

- Dans l’idée, oui. Il faudrait que tu passes un maximum de temps ici pour imprégner les lieux de ton odeur.

- Je vois. Je devrais peut-être aussi vous prêter des fringues pour brouiller encore plus le pistes, non ?

- J’y ai pensé mais je doute pouvoir trouver quoi que ce soit à ma taille dans ta garde-robe.

Je toise Vérevkine du haut de mon mètre cinquante. Elle fait deux têtes de plus que moi et a les épaules de Laure Manaudou. Mais peu importe.

- La plupart de mes pulls sont deux tailles trop larges, ça devrait aller. J’ai aussi plein de sarouels taille unique et si tu me promets de ne pas les abîmer, je peux même te prêter mes T-shirts Iron Maiden.

- Et sinon, tu n’aurais rien de plus… féminin pour moi ? demande Gwénaëlle.

- Ben… Je dois avoir une jupe qui traîne quelque part… Mais genre un truc qui date du collège… Sinon, quelques T-shirts à fleur et des boucles d’oreille.

- On fera avec.

Je reste quelques instants à dévisager mes deux nouvelles amies, essayant de les imaginer dans mes fringues. Soudain une pensée me traverse l’esprit.

- Dites… La dernière fois que j’ai… heu… disons mélangé mon odeur à celle d’un alien, j’ai été enlevée par des savants fous qui m’ont prise pour une alien. Donc je ne suis pas sûre de l’efficacité de la technique.

- Le détecteur de Tretyakov et Shapoklyak ne permet que de détecter que les particules venant de Tento. Et je l’ai récupéré. En changeant de vêtements, les pistes seront suffisamment brouillées.

- En plus de cela je pourrais effacer vos données compromettantes du web, enfin s’il y en a… ajouté-je, pour me donner un rôle plus gratifiant que celui d’un repousseur de nuisibles.

- En effet. En échange, vous ne paierez pas de loyer ! s’exclama Gwénaëlle.

Je m’abstiens de rétorquer que si je faisais ça pour l’argent, j’exigerai davantage qu’un loyer parisien. Les histoires d’argent me gênent énormément… Alors je lance :

-Parfait ! Alors, marché conclu ?

- Marché conclu.

Je serre la main à Vérevkine et Gwénaëlle, soi-disant pour sceller notre accord à la manière humaine, mais en réalité, je n’avais pas la moindre envie de faire un échange de sang ou autre pratique bizarre pour respecter les traditions alien.

Et c’est ainsi qu’a commencé une longue cohabitation peu banale.

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