XI. Prétendre / 1

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 Quelques jours plus tard, Caelan embarquait seul à bord d’un Rasvine en direction d’Alkian. Ces navettes automatisées pouvant accueillir jusqu’à cinq passagers permettaient de voyager rapidement, même si certains détracteurs les appelaient des cercueils ambulants parce que les passagers étaient plongés dans un caisson blindé en état d’hibernation. Toutefois, les Rasvines étaient solides et il ne nécessitait aucun équipage. Il n’y avait pas d’engin plus véloce pour voyager en toute discrétion.

Si Caelan avait entrepris ce périlleux trajet, c’est parce l’impératrice Bascrêt l’avait convié à son palais sous décret impérial. Cela avait d’abord chicané Caelan, mais un message d’Adley lui annonçant qu’elle avait besoin de le voir dans les plus brefs délais avait remotivé sa venue sur Alkian.

Ainsi, grâce à son Rasvine, il ne fallut à Caealan qu’une journée impérium pour parvenir à Alkian : la planète la plus prospère de l’Empire d’Alwyn et la plus vénérée parmi les civilisations humaines. Il émanait une pureté attrayante qui en avait fait sa réputation et avait provoqué certaines convoitises mal placées.

Caelan avait décidé d’amorcer son séjour sur Alkian en commençant par Endora, la ville où se dressait le palais de l’impératrice. C’était une sublime cité située au bord d’une mer azure à quelques milles de Shambhala. La rayonnante capitale n’était pas très grande à l’instar de la plupart des villes alkonianes. Son cœur historique était une révérence à l’architecture fine. Chaque bâtiment était taillé avec minutie : corniches et balcons étaient gravés dans la pierre. Un travail d’orfèvre qui donnait à la cité une dimension unique, presque onirique. À cela s’ajoutaient les multiples canaux d’eau qui traversaient la citadelle. Quant au palais, encore plus merveilleux que le reste, il dominait sur une colline verdoyante. La richesse abondante d’Endora débordait à chaque recoin et sa réputation n’était plus à faire, on l’appelait d’ailleurs le joyau d’Alwyn.

 Caelan abandonna son Rasvine dans le spatioport localisé à la périphérie. Il emprunta le train suspendu qui le transporta droit vers Endora en quelques minutes. Aux portes de la ville, la modernité semblait avoir disparu, laissant place à des édifices d’un autre âge. En réalité, il était difficile de donner une datation aux bâtiments tant le travail de conservation était réalisé avec brio. Tout paraissait si neuf et vieux à la fois.

Arpentant les dalles lisses, Caelan reconnut l’atmosphère envoûtante de cette ville qu’il connaissait. Un agréable parfum de fleurs embaumait les artères et la végétation luxuriante débordait des fenêtres et des riches balcons. Tout était si propre, si rangé. Dans les nombreuses rues et ruelles, la foule piaillait en déambulant. L’ambiance était bien différente de la loge d’Illyiée, bien plus détendue et joviale. Ici, les gens semblaient heureux et s’exprimaient de façon expansive.

Connaissant le chemin, Caelan arriva devant le large portail du palais. Les gardes le laissèrent passer sans encombre. Il faut dire que le Commandant venori était connu, la vérification de ses documents officiels suffisait à lui donner un passe-droit direct.

 — Vous désirez qu’on vous y emmène ? demanda l’un des gardes en désignant sa voiturette.

 — Ça ira, j’y vais à pied, rétorqua Caelan en prenant la direction de la Grande Allée de pinède.

Il aimait particulièrement cette promenade qui émoustillait son odorat et émerveillait ses yeux. Même s'il connaissait l’endroit par cœur, il ne s’en lassait pas.

Le palais grandiose se présentait devant lui. Haut de plusieurs étages, multicolores, et dotés de plusieurs tourelles aux toits arrondies, l’édifice était le summum la prospérité dont jouissait l’idyllique citadelle.

Ce n’est que dix minutes plus tard que Caelan pénétra dans le palais en passant sous le portique soutenu par d’immenses colonnes taillées dans une pierre couleur ivoire. Il y avait des gardes partout et les dispositifs de sécurité semblaient ne rien laisser passer.

À l’intérieur, on l’accompagna dans un hall richement ornementé. Les énormes fenêtres à carreaux donnaient sur le jardin et étaient agrémentées d’épais rideaux bleus. Les dorures sur le plafond en voûte apportaient de la dimension à la large pièce quasiment vide. Caelan avait découvert le palais pour la première fois lorsqu’il était enfant. Certes à l’époque, il avait été sublimé par la finesse du décor, mais aujourd’hui, son regard était porté vers la grande porte fermée. Il attendait patiemment que l’impératrice Silya Bascrêt le reçoive.

Lorsque la porte blanche s’ouvrit enfin, Caelan se leva. L’impératrice fit son apparition.

Elle était grande, un peu plus âgée que Caelan. Un nez droit, une petite mâchoire et des lèvres pulpeuses. Son front était large et ses longs cheveux tressés vers l’arrière. Elle portait une longue robe faussement modeste de style Empire couleur rose pastel, enjolivée par un fin manteau violet foncé qui traînait derrière elle. Les manches évasées du manteau couvraient les délicates épaules de l’impératrice. Des dorures étaient cousues sur les bords et le bustier en dentelle était agrémenté de perles étincelantes.

L’impératrice salua gracieusement Caelan alors que ce dernier était déjà incliné, genou à terre face à elle. Venori ou pas venori, il était de rigueur de se présenter ainsi devant un haut dirigeant.

 — Excuse-moi de mon retard très cher. Mes conseillers ne me lâchaient pas, lança-t-elle les courtoisies terminées. (Elle invita Caelan à la suivre de son office avant de poursuivre.) Je suis heureuse de te voir, Caelan. Avec les temps qui courent, je n’ai même plus l’occasion de passer du temps avec mes proches.

Elle referma la porte en appuyant sur un bouton et s’approcha de Caelan pour lui saisir délicatement le menton :

 — Tu es toujours aussi craquant. Je suis jalouse rien que de penser aux autres femmes qui posent leur regard sur toi, s’exclama Silya sans détour.

Caelan éclata de rire.

 — Si Fabor t’entendait en ce moment, Lokma sait ce qu’il ferait.

Silya lâcha un long soupir :

 — Ah ! Fabor, Fabor. Mon mari est trop préoccupé à faire bonne figure face à la cour. Il n’est pas en ville. Et puis, ça fait du bien de se remémorer le bon vieux temps ou toi et moi arpentions les couloirs du palais, nous bécotant innocemment.

 — On cherchait à fuir les mondanités adultes… et à vrai dire, peu de choses on changé, tu es simplement devenue Impératrice ! pouffa Caelan s’asseyant face à Silya qui rit à son tour.

Suivant le mouvement, Silya s’assit et adopta un ton plus sérieux.

 — Tu sais pourquoi je t’ai convié…

Caelan hocha la tête positivement, et ainsi ils commencèrent par discuter des comminations du Roi Romus, de son délire concernant les sources divines, avant d’aborder l’avancée de l’enquête concernant les Danariens et leur lien avec Aramell. Caelan en profita également pour lui montrer l’anneau gravé du darax noxom. Elle le regarda avec un vague intérêt.

 — Il cherche toujours les sources divines, précisa Silya agacée tandis qu’elle faisait tourner l’anneau dans ses mains.

 — Invite-le à voir par lui-même ! proposa Caelan.

 — C’est prévu ! D’ailleurs, voilà ton invitation.

Silya glissa une enveloppe sur la table en direction de Caelan. Il l’attrapa et brisa le sceau qui laissa échapper des paillettes multicolores : une marque propre à la monarchie qui accompagnait les courriers officiels depuis des lustres.

 — Tu organises un bal ? s’étonna Caelan après avoir parcouru la lettre.

 — Le Roi Romus aura droit à une visite de Shambhala puis d’Endora. Pour la fin de son séjour, il aura droit à un bal pour lequel j’ai convié tout le gratin politique. Cela lui montrera que s’il s’attaque à Alkian, il s’attaque à tout l’empire ! gronda Silya d’une voix ferme.

Caelan rangea l’invitation dans son enveloppe qu’il reposa sur la table de bois blanc. Si cela pouvait apaiser l’obsession du Roi, l’idée n’était pas mauvaise.

 — Ça me ferait plaisir que tu viennes avec tes proches agents, reprit l’Impératrice. Et tu pourrais l’emmener avec toi !

Caelan fronça les sourcils, pas certain de saisir.

 — La femme que tu as trouvée sur Tremblane, précisa Silya en soupirant.

 — Mara ?!

 — Qui d’autre !

Silya avait systématiquement une longueur d’avance. Il n’était pas étonnant qu’elle soit au courant pour Mara. Adley avait dû lui en toucher un mot. Après tout, l’ancienne Commandante avait toujours entretenu une relation privilégiée avec l’Impératrice.

 — Qu’est-ce qui t’intéresse chez elle ?

 — Adley m’a parlé du message et de son arrivée fracassante dans les mines de Trem 4.

Cela ne répondait pas à sa question. Mais il n’en fut pas étonné. Sylia était ainsi, un brin capricieuse et terriblement curieuse.

 — Il parait qu’elle a un haut potentiel ! ajouta-a l’impératrice.

 — Certes, mais sa perte de mémoire et son manque de confiance lui empêchent de réaliser l’utiliser. Je ne sais pas si c’est une bonne idée, on ignore encore qui elle est !

Depuis qu’il avait emmené Mara sur Ilyiée, il n’avait perçu aucune menace venant de sa part, mais à ces yeux c’était vraisemblablement trop tôt. Les apparences pouvaient être trompeuses.

 — Qu’est-ce que tu as vu en elle ? broncha Silya.

Caelan se frotta le menton dubitatif.

 — Je ne distingue rien justement. C’est comme naviguer dans un brouillard. Je la teste continuellement, mais il y a quelque chose d’étrange chez elle qui m’échappe. Je ne sais pas encore si je dois me méfier d’elle. En attendant, je préfère garder un œil sur elle.

 — Et qu’est-ce que ton instinct te dit ?

 — J’ai envie de croire qu’elle n’a pas de mauvaises intentions, finit-il par lâcher après quelques instants de réflexion.

 — J’ai foi en ton jugement, Caelan. Si tu penses qu’elle n’est pas un danger, il n’y a aucune raison de ne pas l’inviter.

L’Impératrice marqua une courte pause, comme si elle hésitait à aborder le sujet. Elle finit par se lancer :

 — Tu crois qu’Adley suppose juste ? Qu’elle serait ce « catalyseur » ?

 — Je pense qu’Adley a mis le doigt sur quelque chose qui nous dépasse et j’ignore encore comment utiliser cette info, il faudrait que ces tablettes en disent davantage. Elle a d’ailleurs pris contact avec moi avant mon départ.

 — Elle a de nouveaux renseignements ?

 — C’est certain, mais elle n’a pas voulu me les partager par messagerie. Il est prévu qu’on se rencontre demain matin. Je ne vais donc pas pouvoir rester.

L’Impératrice se mit à fixer Caelan de façon insistante. Elle pensait déjà à autre chose.

 — Si tôt ? Tu es resté longtemps sans me rendre visite, déclara-t-elle en se levant pour se rapprocher.

 — J’ai été occupé, éluda Caelan en se raclant la gorge.

 — Je ne te cache rien en t’annonçant que tu me manques, murmura Silya qui se tenait désormais juste derrière la chaise de Caelan. Je suis obligée de te faire venir sur ordre impérial.

Sans aucune impunité, sa main glissa langoureusement sur son torse. Le corps de Caelan se raidit.

 — Silya, nous avions convenu que nous devions arrêter. Ce n’est pas raisonnable, souffla-t-il même s’il ne restait pas insensible aux caresses qu’il connaissait bien.

Silya rapprocha son visage de sa nuque, sa chaude respiration le fit frissonner. Il ferma les yeux pour ne pas céder.

 — Je sais, mais on ne fait rien de mal, susurra Silya en posant un baiser sur l’épaule de Caelan. Je peux arrêter si tu veux, mais si c’était vraiment le cas, tu n’aurais pas sauté à bord de ton Rasvine pour me retrouver. Je suis certain que tu as mieux à faire…

 — Silya, je…, souffla-t-il hésitant, même s’il sentait déjà qu’il allait succomber.

Il finit par se lever promptement puis il agrippa avec douceur l’impératrice pour lui donner un langoureux baiser. Il l’a souleva en glissant ses mains sous sa robe et la plaqua contre le mur tapissé. Il baisa délicatement sa nuque puis son cou avant de la reposer au sol et de faire un pas en arrière pour s’écarter.

 — Silya, ça ne peut plus durer, lâcha Caelan tiraillé entre son désir et le bon sens.

 — Tu dis ça à chaque fois, argua Silya qui se rapprochait de lui, comme une panthère à l’affut de sa proie.

C’était un jeu pour elle et elle aimait ça.

 — Tu me rends dingue, tu sais ? ajouta-t-il légèrement essoufflé par le désir.

Bien sûr que Silya le savait, c’est pour ça qu’elle recommençait. Elle était particulièrement convaincante et obtenait généralement tout ce qu’elle voulait.

 — Personne n'est apte à me faire l’amour comme toi, susurra-t-elle avant de laisser sa robe se dérober sur le sol de marbre.

Elle avait un sublime corps et sa peau ébène était d’une douceur incomparable.

Elle posa ses délicates mains sur le corps fébrile du jeune homme. Ses longs doigts déboutonnèrent son pantalon, et s’y glissèrent plus bas. Il tressaillit, incapable de rassembler ses idées ailleurs que sur cette torride tentation. Il se mordit la lèvre et bomba le torse, le souffle presque coupé.

S’en était trop, et comme d’habitude, Caelan finit par craquer. Il ne désirait plus qu’une chose, la posséder.

Il l’attrapa et l’emmena dans la chambre où ils passèrent presque toute la soirée à s’adonner aux exquis plaisirs corporels.

 L’ambiguïté de leur relation les accompagnait depuis des années, à la fois purement charnelle, mais aussi motivée par un profond amour. Les deux amants savaient que cette liaison ne pouvait aboutir à aucune issue favorable. D’une part à cause de leur position, mais également parce qu’ils savaient que leur relation n’était pas viable sur le long terme. Silya était bien trop autoritaire et extravertie, Caelan trop méfiant et réservé. Et puis Caelan n’aurait jamais accepté de devenir l’époux de plaisir. Cette fonction officielle existait que pour satisfaire les besoins du souverain.

 Vers le tard, Caelan commença à se revêtir après s’être régalé d’une agréable douche. Il était resté plus longtemps que prévu et devait absolument quitter le palais pour Shambala.

 — Non pas que ce n’était pas absolument plaisant, mais j’ai l’impression que tu étais absent. Je me trompe ? releva Silya sans détour.

Caelan qui enfilait ses vêtements, interrompit et releva la tête.

 — C’était la dernière fois, Silya. Si cela venait à s’apprendre…

Ce n’était pas tant la relation que Silya et Caelan entretenaient qui pouvait être mal perçue, mais plutôt la position Commandant venorie de Caelan. Sans aucun doute, cette relation serait reçue comme une perte d’impartialité inacceptable.

 — On ne fait que s’amuser, Caelan, détends-toi. Je ne t’ai pas revu depuis des semaines… des mois. Et puis, fais pas comme si je t’obligeais…

Silya avait raison, mais cela n’empêchait pas Caelan de ressentir une forme de culpabilité.

 — C’est vrai…mais, s’il te plaît, je suis sérieux…

 — Oui, oui. Je promets de ne plus t’imposer de convocation impériale pour ça. J’avoue que je me suis laissée rattrapée par mes désirs.

 — Ne fais pas de promesse que tu ne pourras pas tenir, insista Caelan, le regard braqué sur l’impératrice aux airs malicieux.

 — Je te le promets ! réitéra-t-elle en lâchant un soupir.

En guise de reconnaissance, Caelan l’embrassa tendrement sur le front.

 — Merci, Silya.

 — Bonne nuit, Caelan, et ferme bien la porte en partant, marmonna Silya avant de se retourner dans son lit.

Il sourit puis il quitta la pièce sans plus attendre en empruntant un passage secret que seule une poignée de personne connaissait.

Lorsqu’il faut loin du palais et déjà en direction du spatioport.

***

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