XIII. L'amer réalité / 2

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 Le lendemain, Caelan se faufila au milieu de la leçon de magie que Lumia était en train de donner à Mara. Il l’observa en silence, voyant bien que Mara mettait une énergie folle dans sa pratique sans que cela aboutisse à quelque chose de concluant.

 — Vous devez penser que je suis mauvaise élève, bredouilla Mara en s’approchant de Caelan dès lors que Lumia annonça la fin de la leçon.

 — Pas du tout. Tous les apprentis Astroms éprouvent de la difficulté à maîtriser leurs pouvoirs jusqu’au jour où ils lancent à la perfection leur premier sort. À partir de là, tout devient beaucoup plus simple.

C’était certes un mensonge, mais Caelan ne voulait pas démotiver Mara.

 — Vous êtes bien trop aimable. Des semaines d’entraînement pour ça ! soupira Mara déconcertée.

 — Qu’est-ce que vous diriez d’une marche pour vous changer les idées ?

La proposition était plutôt inétendue, mais Mara était ravie. Au même titre que les autres, elle ne l’avait quasiment pas vu depuis son retour et encore moins adressé la parole, hormis la fois où elle était venu lui présenter ses condoléances. Lumia n’avait pas manqué de lui expliquer que ce retrait momentané était en lien avec la mort d’une personne chère à ses yeux. Elle n’avait rien ajouté à ce sujet.

Mara accepta la proposition de Caelan et salua Lumia qui jeta un regard furtif en direction de Caelan, essayant de deviner les intentions de ce dernier. Il se contenta d’un clin d’œil et se retourna pour suivre Mara.

 La ballade débuta silencieusement alors que les ultimes rayons de soleil se noyaient dans l’horizon marin. Une légère bruine venait d’arroser l’île embaumant les ruelles vallonnées d’un subtil parfum de musc. La température était juste parfaite et semblait se rafraichir, signe qu’un orage approchait à grands pas. Le mouvement furtif des nuages était une preuve supplémentaire.

Mara avait déjà fait plusieurs fois le tour du périmètre et même mis les pieds sur certains îlots. Elle ne pouvait pas prétendre connaître par cœur les lieux, mais c’était désormais une place familière. Elle ne se lassait pas de l’ambiance exotique des îles, même si quelquefois, elle se rêvait de voir de ses yeux, les planètes dont on lui parlait lors des discussions au réfectoire ou lorsque Béruc lui donnait des leçons de géographie spatiale. Loin de soupçonner de la gravité de la situation, Mara se plaisait à déambuler dans les rues de la base venorie. Elle s’était acclimatée à son environnement et ses angoisses s’étaient atténuées à mesure du temps qui passait. D’ailleurs, lorsqu’elle terminait ses enseignements, elle allait piquer une tête sur une plage située dans un magnifique lagon que Tréviane lui avait fait découvrir. Même si sa mémoire lui faisait faux bon, elle voyait son séjour ici comme une cure de convalescence. Elle se doutait bien qu’on ne lui disait pas tout, mais jusqu’à présent on l’avait traitée avec beaucoup de bienveillance.

 — Est-ce que vous sentez bien ici ? articula Caelan en ralentissement le pas.

 — Euh oui… L’environnement est plutôt agréable et je suis bien entourée. Cependant plus le temps passe, plus j’ai l’impression que j’ai tout inventé, avoua Mara.

 — Inventer quoi ?

 — Le fait de venir d’un autre monde. C’est absurde. Je viens probablement de Tremblane et je me suis retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment. N’allez pas croire que je ne me plais pas ici, mais peut-être devriez-vous me renvoyer là-bas.

Caelan jeta un œil rapide à Mara, déconcerté par cette étonnante déclaration.

 — C’est impossible que vous veniez de Tremblane. Est-ce que vous êtes au moins capable de me citer une ville située sur ce caillou ?

Un poil surprise, Mara se mit à farfouiller dans les tréfonds de sa mémoire. Rien ne lui venait.

 — Ça ne prouve rien, argua Mara sans trop de conviction.

Elle s’arrêta pour sentir l’odeur d’une fleur dont elle avait fait la découverte à son arrivée. Elle appréciait particulièrement son effluve épicé.

 — Quel que soit l’endroit d’où je viens, je dois vous avouer que je ne comprends toujours pas pourquoi vous m’accordez autant de crédit, lâcha Mara en se détournant de la fleur.

 — L’entité qui a surgi dans cette grotte dégageait une énergie terriblement obscure, plus que tout ce que je n’ai jamais rencontré. Et pour tout vous avouer, pour la première fois depuis longtemps, j’ai eu peur. Et vous, vous êtes apparue, telle une lumière d’espoir et d’humanité. J’ignore pourquoi vos sorts sont incomplets, mais je suis persuadé que vous êtes dotés d’un potentiel magique hors-norme.

 — Vous ne vous remettez jamais en question ? invectiva Mara regrettant immédiatement ses propos.

Surpris, Caelan cessa de marcher et malgré la pénombre de la coursive dans laquelle ils s’étaient engagés, il distinguait le pétillant regard de Mara.

 — Il m’arrive de me tromper comme tout le monde, bafouilla Caelan un peu confus.

Mara soupira. Comment le convaincre qu’il se fourvoyait ? Ces dernières semaines, lui et les autres lui avaient consacré beaucoup de temps, mais elle était persuadée qu’ils auraient mieux fait de s’intéresser aux choses vraiment importantes.

 — Vous ne semblez pas convaincu par ce que je vous dis…, reprit Caelan.

 — Je ne vous comprends pas, c’est tout, bredouilla Mara.

Ils reprirent la marche en silence.

 — Est-ce que de nouveaux souvenirs ont refait surface ? Vous ne dites plus rien à ce propos comme si vous pensiez que nous ne pourrions pas comprendre.

 — C’est plutôt parce que moi-même je ne saisis pas bien, murmura Mara hésitant à exposer ses souvenirs. Les flashs qui me viennent ressemblent à ici tout en étant différents. Et de ce que je me rappelle, j’ai l’impression de venir d’un monde où nous n’avons pas l’habilité de voyager dans l’espace facilement, où nos moyens de transport sont plus archaïques. J’idéalise sûrement, mais je n’ai senti un air aussi pur qu’ici. Tout est si propre et vous avez une technologie qui me dépasse.

Des quelques souvenirs de Mara, Béruc avait déjà tenté de retrouver une planète qui ressemblait à ses descriptions, mais il n’y avait pas assez d’éléments pour faire une recherche concrète. Il lui avait également expliqué que la galaxie de Fairlor recelait de nombreux secrets inexplorés, sans compter le potentiel des galaxies voisines difficilement joignable et encore mystérieuse. Un infini des possibles. Béruc pensait que la planète de Mara avait peut-être en sa possession une technologie ou une magie inconnue qui lui avait permis de voyager sur Tremblane. Quoique sur ce dernier point, Mara était persuadée qu’il se fourvoyait.

 — Et surtout, reprit Mara. La magie, je suis sûr qu’il n’y a pas de magie dans mon monde…

 — Ce que vous appelez magie est simplement quelque chose que vous ne saisissez pas. Montrez à quelqu’un qui n’a jamais vu de lumière artificielle, il vous dira que c’est de la magie ; or ce n’est que de la technologie. Un phénomène compris et théorisé.

Mara ralentit le pas, interloquée.

 — Vous insinuez que la magie est une forme de technologie ?

 — C’est un raccourci pour dire que la magie est comme n’importe quel autre concept. Dès que vous aurez appris à maîtriser vos pouvoirs, la magie n’aurait plus cette connotation que vous lui attribuez, expliqua Caelan.

 — Et la boucle est bouclée, murmura Mara.

 — Pardon ?

 — On en revient encore à mon incapacité persistante, broncha Mara. Et ne me dites rien, je sais ce que vous pensez.

Caelan s’abstient et ils reprirent la marche dans les ruelles illuminées à la fois par une lune voisine et les lampions espacés régulièrement le long du chemin.

Hormis cette dernière semaine quelque peu exceptionnelle, Mara avait déjà passé beaucoup de temps avec Caelan, mais qu’à aucun moment, elles n’avaient osé aborder des questions plus personnelles. Mara se hasarda alors à introduire le sujet.

 — Caelan, vu que j’ai oublié ma propre histoire, est-ce que vous seriez d’accord d’évoquer la vôtre ? Je veux dire, est-ce que vous avez une famille quelque part ?

Caelan sembla soudain mal à l’aise. Le sujet ne lui plaisait guère et Mara s’en rendit compte, qu’elle avait peut-être franchis une ligne délicate.

Le Commandant se frotta machinalement la mâchoire avant de répondre. S’il devait se livrer un peu pour aider Mara, alors il le ferait.

 — J’ai une famille, enfin, j’avais, entama Caelan en cherchant les mots. Ils ne sont plus de ce monde. Une tragique histoire.

Caelan s’interrompit une nouvelle fois et s’arrêta dans la ruelle, vérifiant que personne ne les suivait :

 — Mara, j’aimerais bien vous en dire plus, mais je ne suis pas certain que cela soit vraiment utile…

 — Ne vous en faites pas pour ça, un autre jour peut-être, intervint Mara qui comprit que la question était visiblement plus sensible qu’elle ne l’aurait cru.

 — Mara, je… je m’excuse, ce n’est pas à cause de vous, c’est juste que…, bredouilla Caelan avant d’être une nouvelle fois interrompu par Mara.

 — … qu’on ne se connaît pas suffisamment, et je peux le comprendre.

Caelan hocha la tête. Les trahisons qu’il avait subies tout au long de sa vie l’empêchaient d’offrir sa confiance facilement.

Après un silence gênant, Mara reprit.

 — C’est ironique. Vous semblez vouloir fuir votre passé alors que je cherche désespérément à retrouver le mien.

Caelan esquissa un sourire. Mara était définitivement perspicace.

 — Oui, pour ainsi dire.

Ils auraient bien continué leur balade, mais un orage éclata déversant une trombe d’eau. Ils rebroussèrent chemin en courant pour se mettre à l’abri.

Quand ils arrivèrent dans l’unité de logement, le hall était désert, leurs vêtements imbibés d’eau. À cet instant, leurs regards se croisèrent. L’eau dégoulinait des cheveux de Caelan. Haletant légèrement, il leva la main en direction de Mara, attrapant une feuille accrochée à la chevelure trempée de la jeune femme.

 — Une feuille, balbutia-t-il preuve en main.

 — Oui, murmura Mara ne quittant pas du regard Caelan.

Décidément, elle se dit que jamais elle ne se lasserait de ce regard pénétrant.

Ils restèrent un instant à s’observer, muets, jusqu’au passage d’un soldat dans le hall qui salua comme il se doit son commandant.

 — On ferait mieux d’aller se sécher… chacun de notre côté, bégaya Caelan en levant le pouce pour montrer la direction derrière lui.

 — Oui absolument, de toute manière il se fait tard, ajouta Mara secouant plusieurs fois la tête.

Il était encore tôt. Ils prirent chacun leur chemin sans dire un mot de plus.

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