L'Ombre du Rêve

de Image de profil de Sam LombardoSam Lombardo

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Image de couverture de L'Ombre du Rêve

Les songes sont l’expérience de la mort à bas prix.

Ils associent la confusion à l’inintelligible pour transcrire la perfide beauté de l'inavouable. Ils sont l’instant volé à la conscience par l’esprit débridé. La caracolante chevauchée de l’impossible se mettant à la portée du soi endormi.

Et l’on se prend alors à toucher de la main leurs cravaches absurdes et à saisir les rênes de ce dont on se croyait incapable. Les rêves trahissent la course de la réalité pour révéler à lui-même celui qu’ils entraînent.

Ils inversent les sens de l’opprimé pour le pousser à se débattre, ils tordent la perception de l’obstiné pour qu’il se questionne. Ils rappellent à l’ordre ou au chaos, à la rébellion ou à la fuite. Ils sont les fantômes de la part de l’esprit que l’on réfrène qui, insaisissables et volages, s’adonnent à la frontière de nous-même dans l’espoir d’y être entendus. Ils sont les enlumineurs scandaleux de nos désirs, de nos remords et de nos peurs. Et je crois, qu’au fond, rien n’est plus dangereux ou plus salvateur qu’un esprit qui se laisse guider par l’encre de ses rêves.

Ceux de Sarah hurlaient à la lune pleine. Ils étaient devenus les rôdeurs aux babines écumeuses qui, par leurs va-et-vient, rappellent l’esprit à son crime de sang. Leurs cris poursuivaient la brise nocturne jusque dans le vacarme du jour, ne s’accordant de répit que pour reprendre leur souffle. Les rêves harcèlent les vivants jusqu'à leur mort. C’est pourquoi, je crois, que l’ataraxie de l’âme ne peut que seconder l’épitaphe de la tombe du corps.

Sarah avait compris cela. Que les rêves redoublent de violence lorsqu’on les ignore. Qu’ils s’affranchissent de la barque de la morale pour traverser l’improbable à la nage. Et qu’ils ne cessent leur tumulte que lorsque l’esprit, cédant à leur appétit des eaux troubles, se résout enfin à les rejoindre sur l’autre rive.

C’est le cœur embourbé dans la décadence de ses songes que Sarah finit par rejoindre l’autre côté. Je la vis s'avancer, déjà à distance d’elle-même, déjà perdue et déjà sauvée, dans l'avare abyssalité de la mer qui ne la rendit jamais.

Il n’y a de plus grande peine au monde que de ne savoir retenir celui qui s’enfuit. C’est l’apogée de l’impuissance qui emmure, c’est l’incapacité cireuse qui étouffe. Car rien ne peut alors empêcher celui qui croit en la libération de son âme par le sacrifice de son corps. Les dés sont jetés lorsqu’en son for intérieur, la grandiosité irréversible du départ l’emporte sur toutes solutions terrestres.

La mort magnanime alors s’impose, se respire, puis se dramatise.

Des pétales de larmes s’étaient déposés sur les dernières lignes de l’aveu de ses tourments. Mais c’est à travers elles que je comprenais l'étendue de la détresse de Sarah. Ses choix cornéliens enragés par l’ombre de son isolement et son paradigme alambiqué d’un monde dont la noirceur ne pouvait être pardonnée. Sarah avait sombré dans l’intransigeance. Dans l'intransigeante excentricité de ceux qui se condamnent sans procès à l’exil, de ceux qui subitement s’intolèrent, et se déshéritent du droit même d’exister.

Et ce sont ses rêves qui, chaque soir, la rappelaient au châtiment sisyphéen de son crime. Elle redevenait chaque nuit, la pietà déchue et désanctifiée, portant à son sein ce fils dont elle avait ôté la vie.

Puis lentement, elle le déposait là, dans les herbes hautes bordant la Route 101, sous les ecchymoses de la lune qui, elle aussi, s’était mise à pleurer.

Elle avait alors tout juste le temps d’arranger une dernière fois les cheveux erdrant au front de l’enfant, avant qu’ils ne surgissent. Implantant leurs crocs en son flanc, la traînant à l’écart de la nuit, là où les cris s’évanouissent dans la démesure de l’espace et du temps. Et rien ne restait alors que la douleur de ce corps supplicié par la déraison de son âme, et l’écho du vol des corbeaux repus, rejoignant d’un battement d’ailes, les oreilles d'une autre louve qui, auprès du cadavre de l’enfant, avait pris sa place.

C’était, à travers le symbole du détachement de la chair, la mise à nue de la souffrance de l’âme. L’appel au dépècement violent d’une culpabilité indicible.

L’aveu est le loup du crime.

Il est le prédateur de la conscience et l’arracheur de masque.

Il divulgue, par la morsure de l’âme, ce qu’elle dissimulait sous les traits d’un visage intact.

Et c'est ainsi que Sarah redevenait, chaque soir, l’écorchée vive de la vérité, scalpée par l’impudeur de l’aveu.

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En réponse au défi

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Lancé par L'Inconnue

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L'Ombre du RêveChapitre23 messages | 2 ans

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