Souffler la poussière

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Ramasser ses affaires, faire des paquets, trier l’utile et l’inutile, mettre le dangereux sous clef, autant de choses qui n’auraient eu aucun sens quelques jours auparavant. Se regarder dans un miroir, se demander si elle pourra refaire ce qu’elle faisait autrefois pour s’attirer l’inimité de tous d’un seul coup. Autant de choses, autant d’idées et de bruits qui la ramenaient bien loin dans sa mémoire, dans des lieux sombres qu’elle aurait parfois voulu oublier. Qu’elle conservait, tant bien que mal, pour ne pas se maudire de les avoir oubliés. Autant d’habitudes qui n’étaient pas les siennes mais qui persistaient, au travers de ses actes.

Isladora se laissa tomber sur son tabouret, récupéra sa plume et, après l’avoir plantée dans l’encre, traça une large ligne sur les derniers mots de la liste. Elle avait tout. Ne restait plus qu’à finir de définir la route par laquelle ils parviendraient là où il fallait à tout prix qu’elle arrive pour obtenir l’un des ingrédients qui allait lui poser le plus de problèmes et les connaissances qui allaient avec. Le tout avec deux jeunes et un enfant. Il lui fallait donc une route sûre, facile, pas trop éprouvante.

Eh bien, elle n’était pas près de voir l’éclipse du jour…

— Isladora ?

Melinn venait de toquer à sa porte et elle portait visiblement un plateau de thé encore fumant. Derrière elle se glissa un enfant balbutiant mais qui commençait à avoir l’habitude de se glisser partout à pas de loup, du moins tant qu’Alexandre était de garde. Car Melinn semblait étrangement ne pas souffrir de ce genre de problème, le petit être ne parvenant pas à échapper à sa surveillance…

— Ah, Melinn, fit l’Impératrice en suivant la silhouette enfantine du regard. Pose ça là.

La jeune femme s’approcha et se pencha sur les cartes étalées sur la table. Son regard curieux tentait de déchiffrer les indications que les parchemins fatigués semblaient vouloir cacher en se réentoulant sur eux-mêmes, prouvant combien ils préféraient rester inutilisés, à prendre la poussière.

— Qu’est-ce que vous faîtes ?

— Je préparais notre périple. Je voudrais éviter au maximum toute rencontre déplaisante ou dangereuse.

Elle ne pouvait lâcher du regard la silhouette gnomesque qui se déplaçait à pas lents en s’accrochant aux étagères et donnait donc l’impression de ne jamais regarder son interlocutrice.

— Tu as des informations sur le contrôle des routes ? reprit-elle toujours en détournant le regard. La présence de bandits, de forces armées, les situations géopolitiques des nations du désert ? Comment se portent Endéan et Fan’hara ? L’Empire de Geaard ?

— Nous nous rendrions jusqu’à la Mer des Mirages ?

— Voire au-delà.

— C’est risqué…

— À ce point ?

— En effet… La situation s’est dégradée du côté de l’Empire… L’Empereur est un homme qui a un bon fond mais qui est mal entouré et assez maladroit, ses frontières sont poreuses et la criminalité est très forte, c’est avant tout un territoire de liberté et de passage, même si au moins les gens y mangent à leur faim… Notre frontière avec eux est plutôt instable et il y a plusieurs garnisons qui y stationnent toujours. Il vaut mieux éviter de passer par là, si vous voulez mon avis.

— Je vois, fit Isladora en se levant pour récupérer l’enfant qui commençait à grimper sur son chaudron et en l’installant sur son genoux. C’était à prévoir, le fils d’un homme obsédé par la réussite ne pouvait s’en sortir autrement… Dommage, sa mère était une femme intelligente. Enfin, passons.

— Par contre, du côté d’Endéan, il me semble que l’Étoile de Feu se porte bien, même si la situation politique reste un peu instable…

— S’ils n’ont pas changé de régime politique, ce n’est pas étonnant. Le peuple prend bien trop de place chez eux. Même si je reste persuadée que la présence de Fan’hara est une bénédiction pour ces gens, tant qu’elle ne mettra pas mes conseils en œuvre…

Elle soupira en reprenant l’enfant dans ses bras, avec un sourire fatigué.

— Enfin, ce ne sont plus mes affaires. Merci de ton aide, Melinn, tu peux te retirer. Si tu pouvais emmener Iule avec toi avant qu’il ne fasse une bêtise, je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose alors qu’il est dans la même pièce que moi…

Melinn hocha la tête avec un sourire et se pencha pour prendre l’enfant dans ses bras. Cependant, celui-ci ne l’entendait pas comme ça et, tendant ses petits bras potelés vers la femme aux cheveux blancs, il ouvrit la bouche et…

— Maman !

Puis il se mit à pleurer.

On entendit, de l’autre côté du château, la course saccadée d’un homme éprouvé, suivie par le rire clair et cristallin d’un officiel. Le premier poussa la porte, à bout de souffle, tandis que les deux femmes se fixaient sans un mot.

— Qu’est-ce qui vient de se passer ? balbutia le nouveau venu.

— Il l’a appelée maman.

Melinn s’en remit avant qu’Alexandre ne s’effondre. Mais elle ne le soutint pas pour autant, préférant se rapprocher d’Isladora qui semblait profondément touchée. Elle n’émergerait pas avant plusieurs secondes, mais son expression inhabituelle demandait une inspection en profondeur.

La bouche à demi ouverte, les yeux tombants, ses légères rides d’expression plissées, elle avait les bras ballants et les sourcils parfaitement écartés. Ses yeux, d’habitude si sombres, si plissés qu’ils en devenaient indéchiffrables, s’étaient ouverts et toutes les teintes d’un printemps tardif s’y jouaient désormais, la pluie menaçant d’embuer le ciel clair. Elle esquissa des mots, sans qu’aucun bruit ne lui échappe, puis enfouit son visage dans ses mains.

Avachie, amaigrie, amenuisée, l’Impératrice cachait ses larmes.

— Vous n’avez pas le droit, murmura-t-elle.

Sa voix se brisa.

— Vous n’avez pas le droit.

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