3.7) Volodia

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J’enfonçai la serre acérée dans mon nombril potelé et, sans mon consentement, mes lèvres se déchirèrent pour glapir de douleur. Les chairs mutilées de mon visage aussi hurlaient, à leur manière, déformées par mon calvaire.

Comme je perçais l’œil goulu de mon ventre, blanc de mélasse ; comme j’aveuglais ma faim en châtiant ma panse, ma vue se retourna sur mon antre intérieur : derrière mes graisses transies, un grand salon tremblait sous le tonnerre battant liquéfié sur les vitres, la cheminée flambait, les murs cahotés saupoudraient la poussière. Mon intérieur chantait comme un château hanté des légendes Anciennes — hantise à l’agonie, car mon fantôme absent. Enfin je criais, pas de plaisir pourtant, et je pensais à elle, celle pour qui ce périple m’avait conduite ici, à percer mes boyaux d’une pointe mythique.

Ce jour-là, sur mon tronc, la gloutonnerie coula de mon abcès primaire. Mon troisième œil s’ouvrit sur le castel d’organes qui me sifflaient la vie. Un félin taciturne arpentait, silencieux, mes couloirs désertés : mon envie baladée d’une libido rageuse à une tendresse aveugle, de la soif d’existence à l'attrait du néant.

Je rougeoyais, de ma face fissurée à mon nombril sanguignolant, sous les applaudissements endiablés des habitants d’Ekö : jamais, racontait-on, nul néonien n’avait consenti à éventrer sa poche à sucre. Ragaillardie par la clameur — indifférente, de toute façon, autant à mes blessures qu’à l’éventualité du trépas — j’empoignai plus fermement la serre sacrée et m’en servis comme d’un levier pour tordre l’une de mes côtes hors de mon tronc percé. Le tranchant absolu la scinda et je l’ôtai sans effort de ma cage thoracique pour la tendre fièrement à Ourson, mon mentor. Mes dents serrées par l’affliction souriaient compulsivement, sous mes lèvres tremblotantes et, pour la deuxième ou troisième fois seulement, mes yeux pleuraient mes eaux secrètes.

Je m’appelle Volodia mais, en ce temps-là, dans l’enceinte d’Ekö, on m’appelait Indolore, car rien ne m’accablait : ni mes hémorragies, ni mes os brisés, ni le sevrage du sucre, ni la menace du Ciel dont l’œil balayait le désert à ma recherche. Par-delà les sables, les cart’os, déjà, entamaient de répandre ma légende : l’histoire de La Porteuse d’Eau qui aurait dérobé une fiasque aux Sirènes. La légende altérée par les grains des tempêtes et les serpents sifflants, on se souvint de moi, héroïne révoltée contre les diktats célestes. Nul ne soupçonna jamais, je crois, les motivations bien triviales de ma quête.

Les trois jours qui suivirent l’arrachage des implants et de ma côte sciée, je pissais tellement de sang que je crus m’en vider. On m’avait accrochée par les pieds au plafond d’une cahute, au-dessus d’une grande cuve où mes plaies faisaient pleuvoir leurs épaisses gouttes rougeâtres, enveloppée dans un cocon de glaise soi-disant cicatrisant, et deux grandes pompes-à-vent actionnées par le moulin du toit réinjectaient mon plasma directement dans mes orteils aux ongles décapsulés. Sakineh s’était déversée dans la cuve, répandue : elle rejetait mes impuretés en vives éclaboussures, elle purifiait mon âme croyaient-ils — moi, je me doutais déjà que ses efforts ne suffiraient à filtrer le glucose qui me gonflait les veines.

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