3.9) Sakineh

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Je me glisse vaillamment dans la gueule du Loup. Même ses dents sont des poils. Chaque follicule m’injurie, comme un fil de fer coupant. Sans les voir, je les sens : les yeux qui me fusillent de jugements plombés, l’écho des soupirs dans les amphithéâtres des bouches médisantes. Je ne rentrais pas dans le rang. Je n’étais bonne à rien.

Je décide d’ignorer, je persiste et j’avance. Je passe une nouvelle fois dans la grande broyeuse, cependant à présent ma volonté a changé. Je ne me dégoûte plus au point de dégouliner. Mon ego est haché droit, quadrillé comme une feuille-à-mesure. Je suis une mosaïque, un sucrier rempli de petit morceaux carrés : aucun n’a les mêmes grains ou l’exact même blanc. Je suis une somme infinie, en constante croissance. Une poussière abyssale dont le monde ne peut se défaire sur un simple caprice.

J’empoigne les crocs-poils qui me tailladent les paumes.

— Ce gâteau, maintenant, il fait partie de moi. Tu peux me hacher menu, tu ne le retrouveras pas !

— Tu défies la Pitié ?

— Ta pitié, je n’en veux plus. Ce n’est qu’un grand pressoir qui écrabouille les âmes au lieu de les soigner.

— La Condition humaine, ça ne se soigne pas. C’est le plus grand honneur, pour vous, de vous perpétuer, quand nous nous demeurons.

Tous les sons de sa gorge font trembler la mâchoire qui me tient prisonnière et me déséquilibrent.

— Ça m’est égal, de me perpétuer. Je sacrifierais toute l’humanité, et moi avec, pour elle. En vérité, ça m’arrangerait même, qu’on se retrouve seules au monde.

— La Condition humaine. Toujours à vous accrocher à ce qui finira par vous éteindre. Elle aussi, j’y repense, elle disait ce genre de choses. Pourquoi vous, vermines d’En-bas, vous désirez toujours ce qui vous nuit le plus ?

— Parce que se sentir vivre, c’est accepter la mort. Si on se contentait de détourner les yeux, on ne jouirait jamais de pouvoir la tromper.

— La Pitié ne comprend pas.

La pitié comprend toujours ce qui l’arrange. Ses supposés bienfaits sont sans cesse biaisés par sa propre logique, ses intentions trompeuses et son aide écrasante.

— Nous ne nous tromperons pas. Ta pitié, tu peux te la mettre où…

Loupitié déglutit. Tous mes cubes d’ego dégringolent sous sa glotte.

— C’est exactement là que tu vas ressortir. Enfin, si tu le peux.

Ce Loup de pacotille peut courir ! S’il croit que je vais m’emmerder à lui sortir par le fion… Instruite et vulgaire, oui, ça a toujours été ma tare. Malpolie, mal rangée. Aujourd’hui, je le sais : j’ai toujours eu les crocs, toujours brûlé d’envie de consumer la vie, de la mordre à pleines dents, jusqu’à tout déchiqueter. Mes crocs, moi, je ne les déguise pas en fils de soie ou en cordes de cithare. Je n’embobine personne de mélodies doucereuses. Et je ne jalouse pas les sirènes si ruinées qu’elles mendient à mes paumes. Elles n’ont plus leur prestance et j’ai toute mon essence. J’ai compris l’essentiel.

J’implose, sous ma rancune rageuse, par désir ravageur. Tout ce que je désire… Jamais dans mon autre vie je n’aurais cru penser ça sincèrement.

« Nul autre n’est digne de toi. Moi, je peux te rendre heureuse. »

Mon eg’eau se gonfle et je gicle de partout. Des lames d’eau bouillonnantes. Maintenant, je n’ai plus peur de me salir les ondes. J’éclate l’estomac comme une piñata. J’éclabousse l’intestin et en déchire tous les ports sans jamais amarrer. Syphon dans le côlon, une gastr’eau entêtée. Avant de gagner le bout du tunnel, j’explose pour de bon. J’inonde toute sa grande panse.

Un jour, dans la haute ville des bestihommes, un Loup présomptueux eut les yeux plus gros que le ventre, à s’en péter le bide. Le monstre évaporé, la longue tyrannie du Jugement sur le Cœur s’écroula, et la cité avec. Voilà le genre de légende qui coulera à Soltræk, sur les langues humectées.

Dès à présent, il n’y a plus de pitié.

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