1.1) Volodia

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Je contemplais leurs deux corps crispés, enlacés, les sacs plastiques froissés sur leurs visages inertes ; sans pouvoir me rappeler comment nous en étions arrivés là. En temps normal, je me serais tournée vers Priss pour lui demander : « Et maintenant, qu'est-ce qu'on va faire de ces deux-là ? », mais j'étais seule, à présent, et la réponse m'apparut comme une évidence : « Pourquoi tu poses la question ? Des ballons, bien sûr ! La fête foraine approche... »
Alors que je traînais les deux cadavres vers le compresseur thermique, je rencontrai avec effroi mon reflet déformé par la surface cuivrée de la machine à vapeur – les tatouages faciaux dissimulant les implants télépathiques avaient drainé ce visage de toute humanité. C'était le printemps, et j'avais épinglé une fleur à ma blouse de travail. Mon ventre grondait, tout mon squelette tremblait sous ma peau étriquée.


Je m'appelle Volodia et, en ce temps-là, j'habitais le Conglomérat Néon de la Dune-45, sur les terres ensablées de Soltræk.
La Dune-45 était l'une des plus reculées du désert ; l'endroit avait rendu les cœurs arides et, quand toutes les cinq ou six semaines, on annonçait les Eaux Célestes, la cité retrouvait quelques jours durant un air de société. Les citadins aigris se bousculaient entre les étals détrempés des marchés, gueulaient de joie comme des coyotes en galopant sous les trombes d'eau.


Tandis que je rêvassais à l'idée de gagner la surface, le compresseur thermique grinça de tous ses rouages en expulsant à la chaîne les pochons translucides que je m'empressai de bomber, les avant-bras arrosés de peinture odorante. Puis, en les alignant sur les pistons pour les gonfler d'hélium, je me tournai machinalement pour chercher le regard approbateur de Priss, son sourire plein de promesses, sa face sans apparats. Mais il ne restait d'elle que l'odeur qui jadis lui collait à la peau : le parfum de glucose et de deuil de sa vieille confiserie ; celui des bonbecs empâtés, à demi fondus dans le cul des bocaux, la brève effluve marine d'un caramel salé, l'amertume anisée d'un rouleau de réglisse et l'arôme extatique de sa « p'tite mort en poudre ».
La vieille Priss m'avait recueillie cinq ans plus tôt, alors que je lui chapardais des guimauves ; au lieu de simplement me vider les poches, elle m'avait forcée à me dévêtir et avait brûlé mes vêtements. Puis elle m'avait minutieusement brisée – à commencer par les verres de mes lunettes – pour mieux me façonner. Ce furent ensuite mes cheveux, brushingués et repeints aux couleurs de la boutique.
J’oubliai les parents dont les querelles constantes avaient forcé ma fuite. J’oubliai les hanches généreuses de Mireille, Alma, Ninon et les autres, au creux desquelles je m’apaisai jadis. J’oubliai jusqu’au nom que j’avais porté, treize années durant, pour emprunter la porte qu’ouvrait pour moi la main de fer gantée de velours de l’intraitable Priss.


Je soupirai :
— Tu me manques, enfoirée de vieille peau
À cet instant, la porte de la boutique claqua et, tandis que la clochette continuait de tinter, Elin se faufila dans la pièce, en balançant sulfureusement des reins entre les bocaux agglutinés – cheveux barbapapa et piercings comestibles : une sorte de clone lubrique à laquelle on ne cessait de me comparer injustement.
— On m’porte pâle deux jours et je te manque déjà, mon p’tit cœur ?
Elin se posta devant moi, pas face à moi, mais de biais, de sorte que le long bec de sa cape emplît tout mon champ de vision.
— On n'répond pas, mon p'tit cœur ? On a donné sa langue de chat ?

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