2.10) Sakineh

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— Je n’ai rien. Rien que l’on puit désirer.

Telle est ma réponse, la seule qui peut-être me vaudrait sa pitié.

— En es-tu bien certaine ? insiste la sirène.

— Je n’ai plus ni nom, ni mémoire, ni aucun espoir de revoir celle dont le seul nom me hante. J’ai parcouru les rues d’un village jusqu’ici. J’ai vu les corps déformés de ceux qui peuplent les cieux. Peut-être envient-ils ma chair, intacte, quand j’envie leur savoir, car je suis ignorante. Je crois que j’ai su, autrefois, toutes les choses de ce monde, ou presque. Et il n’en reste rien. J’ai un corps de chair tout entier, et je ne peux rien en faire. Car j’ignore tout du monde et de mes propres désirs. Il n’y a plus qu’une chose, une seule chose qui importe. Je veux voir Volodia.

Enracinée au plafond sous-marin de la forêt céleste, l’anthropalgue oscille – pendule détraqué.

— Lègue-moi tes guibolles, tranche-t-elle, et descellons mes os. Je t’offre une boussole, et une part de gâteau.

Son marché est obscur. Il ne tient pas la route.

— Si j’accepte, je saurai qui est Volodia ?

— Au moins qui elle était.

— Et si je décline l’offre ?

— Elle se noie dans l’oubli jusqu’à l’éternité.

— Alors je n’ai pas le choix. Mais comment procéderai-je pour te céder mes jambes ? Et une fois cela fait, comment donc progresserai-je ?

— Il y en a pour qui la Privation va de soi. C’est un mal nécessaire. Rien ici-haut ne meurt, les égarés sont rois. Il suffit de t’en défaire… Commande-moi, j’obéis.

Qu’une déesse comme elle puisse recevoir des ordres, voilà qui me surprend. Mais la déesse aussi est prisonnière du Ciel, et privée du mouvement.

— Je me priverai de marcher, s’il le faut, pour passer. Prends mes jambes, sirène ! Attends-moi, Volodia !

Soumis à mon seul commandement, ses ergots me pourfendent et scindent mon corps en deux. Mon buste roule à terre, mes échasses restent droites. La sirène-laminaire étire sa silouhalgue et déploie grand son bec pour gober d’une seule traite mes membres inférieurs. Des cuisses lui poussent alors, des genoux tremblotants, des mollets, puis des pieds aux serres inhumaines. La voilà qui s'extrait de la voûte de varech pour venir me cueillir, les ailes déployées. Tandis que mon humeur empourpre le sol fumeux, la sirène élancée m’empoigne par la chevelure, me soulève. Mes tripes pleuvent sur sa robe dentelée de goémon. Désormais algue rouge. Sous ses frondes salies, elle tire de sa poitrine une pâte sirupeuse et m’en emplit la gorge.

— La friandise promise. Puisse la sève d’une madeleine raviver tes méninges.

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