2.12) Volodia

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Lorsque je revins à moi, je crachais mes poumons. La tempête avait eu raison de tous les filtres anti-sable dont je m’étais parée, les grains indomptables m’avaient lacéré les joues et pénétré la gorge, si violemment que les plus cariées de mes dents menaçaient de se déchausser. Tout dans ma bouche saignait, d’un jus tout aussi âpre que bizarrement sucré – le goût d’une de ces viandes imbibées de miel que l’on grillait sur des brochettes, à l’abri sous des tentes, en célébrant les Eaux Célestes.

Le soir tombait déjà, et il semblait plus clair que le cyclone d’illusions dont je venais d’émerger. J’ignorais toutefois combien de temps s’était écoulé. Je me redressai dans le scaphandre abîmé de Shahin Perceciel et en dépoussiérai négligemment les froufrous. Je soulevais légèrement la bonbonne dans mon dos, pour estimer le niveau d’eau. Sakineh paraissait intacte ; j’expirai aussitôt mon soulagement profond.

Alors que je me remettais en route, les membres las et la bouche en sang, une ombre tremblante émergea de la chaleur du désert. Je rabattus ma capuche élimée, au cas où ma tête de fugitive aurait été mise à prix – et elle l’était, pour sûr. J’avançai néanmoins vers l’inconnu, une vie humaine inespérée au milieu du néant désolé, dont j'espérais quelque secours. À ma surprise, toute relative, en parvenant à sa hauteur, je reconnus l’un des fameux cart’os que l’on croisait dans les légendes des sables, et les vieilles fresques des temples à demi ensevelis, aux abords de la Dune. Il était exactement comme on les décrivait : un corps haut de près de deux mètres, protégé par une armure d’os intégrale ; un cadavre ambulant démuni d’expression, juché sur des échasses comme deux grands crayons qui traçaient dans ses pas les contours d’un chemin.

Le colosse silencieux me pointa la route qui fendait les sables derrière lui, et qui disparaîtrait sans aucun doute possible à la première tempête. Bien sûr, tout le monde à Soltræk connaissait les rumeurs, à propos d’aventuriers solitaires qui dessinaient des voies dans l’immensité aréneuse, mais nul ne les avait jamais prises pour argent comptant — et pour cause ! Qui oserait croire que l’on puisse vouer à vie à un but si futile que de marquer le sable capricieux qui, sans cesse ratissé, reprendrait immanquablement la forme que les vents lui imprimeraient ? Moi-même, je n’y avait jamais accordé de crédit, et la honte désormais forçait l’envie que j’éprouvais : m’agenouiller pieusement devant cette créature mythique. Alors le mythe s’éroda. Sitôt que je me fus inclinée, le cart’os que tous les récits disaient mutique émit un rire caverneux. Je me figeais en comprenant qu’un humain se mouvait bel et bien, sous cet exosquelette. Il m’indiqua encore poliment son chemin, puis se remit en marche.

Comme je n’avais senti chez lui nulle animosité et que, de toute évidence, les autorités du Conglomérat n’auraient jamais fait circuler mon avis de recherche jusqu’à des contrées qu’on croyait dépeuplées, je me dirigeai sans crainte le long du sentier sableux. Les échasses aux pieds-de-bêches avaient damé le sol et je marchais, en plein désert sauvage, aussi aisément que sur une allée de Néon. Jamais de ce périple ma tenue ne m’avait paru si confortable, ni mes foulées si lestes malgré la bonbonne dense qui me brisait le dos. J’aimais même à penser que Sakineh de là me flagellait sciemment pour m’enjoindre de presser le pas.

Au bout de ce chemin, allégrement arpenté, m’attendait encore une surprise plus brutale. Là, à quelques jours de marche de la terrible côte, entre les deux parois d’un canyon rocailleux, se dressait une cité aux murs verts écailleux et aux toits blancs de sel, coiffée de mille moulins roulant, tout excités, sous les rafales iodées que soufflait l’Océan.

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