En 1952
de
Salvard

Je me souviens de cet été 1952 où je revins à la Roseraie, la campagne était pleine de vie, j'avais emprunté la route qui mène à Solignac et au fur et à mesure que je me rapprochais de la maison familiale, les visages sereins, apaisants de mes parents, m'apparaissaient plus nettement. Sur le chemin, j'avais fait halte chez madame Pionet, une veille amie de la famille qui m'avait connu enfant, adolescent et dont le visage s'éclaira de joie quand elle me trouva sur son pas de porte. Bien sûr, elle connaissait mon retour, mon père, fier de moi, sans pourtant ne jamais l'avouer, n'ayant pu garder pour lui cette nouvelle.
Oui, je revenais à la Roseraie, pour m'y installer,pour renouer ce lien que les études, puis la vie professionnelle à Paris, avaient quelque peu molesté. Mais je ne revenais pas seul, j'avais dans mes bagages, emmené avec moi Liliane, une trentenaire des Flandres que j'avais rencontrée chez des amis communs et Alain, notre garçon, à peine âgé de dix mois. Dans l'auto, tandis que secouée par une route cabossée, Liliane scrutait anxieuse, les paysages, découvrant à chaque virage, le pays dans lequel elle allait désormais vivre. Je la rassurai, lui passant la main sur ses épaules raides, lui caressant la joue, mais je la sentais tendue, pendant qu'innocent, tout à son sommeil, Alain, bercé par les secousses, voyageait aux pays des songes.
Les paysans étaient aux prés, moissonnant au rythme de leurs engins agricoles, formant d'énormes ballots de foin chargés sur des chars qui doucement, péniblement, remontaient vers les fermes avoisinantes. J'expliquai à Liliane combien enfant j'aimais me fondre à eux, jouer avec les enfants du village, m'allonger le soir au milieu d'un champ fraîchement coupé et, accompagné de quelques camarades, contempler les étoiles. Dans mon for intérieur, j'espérai qu'Alain connaîtrait ces juvéniles jeux, ces puériles sensations qui forgent malgré tout l'âme, et se collent au fond de la mémoire pour en sortir lorsque le temps s'affole.
Oui, je me souviens parfaitement de cet été 1952 où, aux abords de la Roseraie, je stoppai l'automobile pour admirer son toit vernissé, son vieux mur aux pierres rongées de mousse, son noyer centenaire, et dans le fond, derrière la bâtisse, mes chers tilleuls où enfant je grimpais pour prouver que je n'avais peur de rien. Sotte attitude que celle-ci, car il ne suffit pas de gravir un arbre pour prouver sa bravoure, encore faut-il savoir en descendre.
Cet été-là, la Roseraie brillait différemment, Liliane me rejoignit alors que j'étais sorti respirer l'air tiède et chasser l'inexplicable poids qui me serrait la poitrine. Elle ne me dit rien, se contenta seulement de regarder la maison qui lui faisait face, et j'imaginai ses pensées, ses appréhensions, nous regagnâmes l'auto.
Sur le perron, nous attendait ma mère, sans doute avait-elle entendu le moteur de notre Dauphine, son visage n'arborait pas ce sourire que je lui connaissais et que j'aimais lui voir. Bien avant que nous eûmes ouverts nos portières, elle fut près de nous, les lèvres close, mon père s'était éteint quelques deux heures avant notre arrivée. Je sortis de l'auto, lui baisai le front, et lui montrai Alain toujours endormi. Liliane s'approcha, me prit la main, la serra fortement, me sourit légèrement, je montai voir mon père dans sa chambre où, vêtu de son costume d'officier, il reposait.
Je sentis l'enfance s'en aller.
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