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Février 1976
Le beau Thierry, le docteur Francis et le Gros Michel sont assis face à face, et de biais aussi. Ils se taisent au son du juke-box. « Oh, oui la terre promise n’est pas toujours là où l’on croit bien la trouver. » Ils se taisent et dégustent un Orval (tempérée), une Chimay (bleue) et une Rochefort (8). Entre frères trappistes, à chacun son appétence. Entre-temps le temps passe. C’est compliqué le temps quand on attend… ça n’avance pas et ça galope au rythme des incertitudes. On se tait pour ne pas demander de nouvelles puisqu’il n’y en pas. Un mois et demi déjà. La disparition de leur pote Yves, c’est une chose terrible, un malheur inexpliqué, mais leur cerveau s’en accommode. La vie ! La sœur de Francis, non ! C’est inconcevable, une femme ! une jeune maman ! Ça les rend carrément dingues. Le pauvre mari Fernand a perdu dix kilos, rongé qu’il est, incapable de s’occuper du petit, heureusement sa mère à elle prend tout en charge. Enfin « heureusement », c’est façon de parler, parce que pour tout dire la mère de Jacqueline n’est pas compréhensive avec le mari éploré. C’est sa fille à elle qu’on a enlevée, c’est à elle que revient le gamin, point. Puis le petit aime les vaches et les tracteurs, il sera mieux à la ferme qu’avec ce père occupé et sa banque. Francis affirme vouloir envisager tout ça avec un peu de recul, il voudrait calmer ses parents, il est médecin, non ? Mais c’est sa jeune sœur, c’est sa mère, son père, son neveu. Non ! il n’y arrive pas, tape du poing sur la table et fait déborder la deuxième tournée de bière. Faut retrouver les charognes qu’ont fait ça.
Ils se sont organisés avec les jeunes du coin, ils ont conduit des battues, distribué des avis de recherches dans toutes les communes des alentours, et même en France, jusqu’à Sedan, Vireux, Haybes, Revin, Fumay, Givet. Cons de Français.
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