35 - The moon embracing the sun

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Comme tout le monde, je m’étais retrouvée confinée à la mi-mars 2020 à cause du fléau. Mais, comme je n’avais pas voulu rester en ville, j’avais filé en voiture rejoindre mes parents dans le sud. Je savais bien que cela ressemblait à un exode, mais je préférais rester proche de ma famille. Dans ces périodes compliquées, il valait mieux être entouré de gens sûrs. Simon m’avait bien proposé de me confiner avec lui, mais il y avait bien trop de risques que cela ne finisse en un bain de sang au bout d’une semaine de vie commune.

Même si j’avais tous les moyens matériels pour télétravailler, mon esprit n’était pas au travail. Me retrouver dans la maison familiale, c’était pour moi l’été et les vacances. Tout concourait à me distraire de mon labeur : le soleil, le parc boisé, le chant des oiseaux ou tout mon bric-à-brac d’enfance dans les placards ou sur les murs. Peu avant l’épidémie, j’avais hérité d’un gros projet professionnel. Un grand mogul de l’entertainment coréen avait décidé de pousser un peu plus loin l’hallyu, la diffusion de la culture coréenne, jusque dans nos contrées occidentales. Il avait dans l’idée d’installer une chaîne de restaurants et souhaitait adapter la communication et la publicité pour se lancer à une modeste échelle dans notre pays. Evidemment, avec le confinement, le projet tournait au ralenti. Mais, j’essayais de me plonger du mieux que je pouvais dans la culture et les couleurs coréennes. Je brassais force Kdramas ou videos de Kpop jusqu’à tenter de trouver un concept que je pourrais proposer à mes nouveaux clients.

En parallèle, j’allais aux news auprès de mes amis ou collègues. Même si quelques uns avaient été touchés, ce n’était que de la forme bénigne. J’évitais l’actualité et les décomptes morbides. Mes parents eux avaient la TV branchée en permanence sur les chaînes info et je sentais leur angoisse monter. Pour m’en défaire, je m’isolais dans ma chambre. Là, je filais pour me détendre sur mes sites habituels. Quelques vieilles connaissances s’étaient rappelées à mon bon souvenir. Visiblement ces temps troublés forçaient leur nostalgie. Mais, je les voyais plutôt comme des sortes de vautours, prêts à me dévorer, seulement attirés par l’odeur de mon excès d’empathie. Je les éconduisais en douceur. Moi, un seul profil m’intéressait réellement. Bien que nous ayons échangés plusieurs fois par le passé, nous ne nous étions vraiment rapprochés que depuis quelques temps. Il s’agissait d’un homme qui se disait médecin et qui participait à des missions humanitaires. Même si je n’en croyais rien, sa personnalité et sa culture le rendait néanmoins attractif à mes yeux.

Je ne me faisais pas d’illusion, pour lui je n’étais sans doute qu’une distraction dans ce contexte effrayant. Une sorte de gisaeng virtuelle, dont la compagnie et la conversation sont plaisantes. Mon aura sulfureuse et mes publications l’avaient amené jusque dans mes filets de sorcière depuis un moment. Il était curieux de vivre quelque chose de différent. Il espérait me faire changer de bord, j’avais dans l’idée de l’amener vers mon côté sombre. C’était comme une sorte de challenge pour moi. Le seul qui pouvait me pousser à sortir de mon hibernation et à oublier mes erreurs du passé. Mais, comme je voulais me protéger, je n’étais pas forcément totalement claire avec lui, usant de stratagèmes d’ensorceleuse pour cacher mon identité. Fort heureusement, il était, semble-t-il, plus attiré par ma personnalité que par les quelques photos volées que je lui avais envoyées.

Nous avions de nombreux points communs : l’attrait pour la quête de soi, la fuite dans les voyages ou l’errance dans l’obscurité. Il me faisait rire lorsqu’il ne comprenait pas tous les mots de mon jargon de connectée. Je devais lui expliquer ce qu’il n’avait pas le temps d’aller chercher sur Google avec la même dextérité que la mienne. Peu à peu, il m’avoua ressentir quelque chose pour moi. Il voulait me réapprendre à aimer et à prendre un vrai plaisir. Sous ses dehors de dominant, je le sentais hyper attentif à l’autre. Prêt à tomber à genoux pour une femme dont il serait épris. De mon côté, je devais atteindre son esprit et je déployais tout mon art en la matière.

Mais, ce jeu était risqué. Comprenant mon propre trouble, un matin je pris peur. Il fut obligé de me convaincre avec des preuves qu’il était bien ce héros que j’avais qualifié de James Bond. En se moquant de ma sottise, il voulait faire de moi sa Vesper. Cette rencontre virtuelle était si incroyable qu’on l’aurait cru tout droit sorti d’un roman à l’eau de rose. Enfin, à l’eau de rose épicée. Pour lui marquer ma confiance, je lui adressai mon numéro de téléphone et je l’eus peu après en ligne. Sa voix était celle d’un homme sûr de lui, dans la force l’âge, bon vivant et aux accents du sud. Je me doutais qu’il devait avoir une femme, et sans doute une maîtresse dans chaque port. De mon côté, j’étais un peu intimidée, mais je gardais mes distances et éclatais de rire à ses propositions malhonnêtes plutôt farfelues, comme d’épeler les fesses à l’air des noms savants de molécules.

Je sentais bien que nos coeurs battaient, même si je ne savais pas si c’était plus lié aux évènements ou à une sincère attraction mutuelle. Je le mis néanmoins en garde contre mon côté destructeur. Lui me disait qu’il n’avait plus le recul nécessaire pour comprendre ou analyser. Nous parlions de l’avenir et de lendemains en couleurs. Nous boirions le champagne ensemble et plus si affinité. Moi, tout ce que je savais, c’est qu’il était complètement off pendant certaines périodes et qu’il me manquait beaucoup à ces moments là.

J’entrevoyais donc une éclaircie pour moi dans cette sombre réalité. Mais je ne voulais pas rêver. Même si nous finissions par échapper au fléau, l’appel de la vie se heurterait toujours au réel. Les mêmes causes produiraient toujours les mêmes effets. Il était le vent, j’étais l’eau. Il était un rayon de soleil, mais j’étais un rayon de lune. Nous étions le yin et le yang cherchant à fusionner. Pour s’aimer, peut-être, ou se détruire encore un peu plus. Pour le moment, nous vivions l’instant, bien protégés derrière nos écrans. Carpe Diem.

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