A NEW CAREER IN A NEW TOWN

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Dans une grande maison à l'architecture art déco, une jeune fille monte les escaliers portant un plateau sur lequel : du thé, du lait et quelques biscuits. Elle entre dans la chambre où son oncle, assis à son bureau, écrit dans un carnet relié de cuir noir, puis pose la collation à côté de lui. L'adolescente sourit à l'élégant trentenaire aux cheveux bruns. Levant ses grands yeux gris teinté de vert, il lui rend sa mimique en la remerciant d'un signe de tête. La brunette, à la coupe au carré des années 1920, s'assoit sur un tabouret près du plan de travail en merisier. L'homme boit quelques gorgées du breuvage. La demoiselle l'observe. Soudain, il se tourne vers sa nièce :

— Qu'est-ce que…

Se levant calmement, elle continue de le dévisager. Il tombe de sa chaise, s'agrippe à la jupe de la jeune fille prononçant dans un dernier souffle :

— Louise !

*

Law se réveille en sursaut. Encore un cauchemar. Elle se passe les mains sur le visage pour sortir de sa torpeur, puis regarde son mobile :

Fuck ! La cliente ! jure-t-elle, se levant en trombe.

La rousse compose un numéro.

— Allo Ren, j'arrive au plus vite !

L'ex-flic raccroche. Habituée aux timings serrés, elle enfile le jean traînant sur le bord de son lit, un T-shirt propre extirpé d'un tiroir de sa commode et se rue dans la salle de bain. Visage, dents, c'est torché. Law prend sa veste, met son kit main libre, puis sort en courant.

La W. Agency se situe dans le quartier de Victoria, sur Guildhouse Street. L'enquêtrice, habitant à Sussex Garden, n'a qu'à traverser le parc pour s'y rendre. L'agence est un petit deux pièces au rez-de-chaussée d'un bâtiment à trois étages de briques marron. Ren, toujours ponctuelle, attend déjà dans le bureau. La cliente, assise en face d'elle, boit un thé Darjeeling. Les deux jeunes femmes patientent. Arrivée au bout de Hyde Park, Mortensen rappelle sa collègue.

— OK, résume.

La sublime blonde au bout du fil, la trentaine, élancée, tirée à quatre épingles… c'est Renata, mon associée. Alors, on se ressemble et pourtant, c'est pas ma sœur ! Elle me coûte un bras, mais on s'entend bien. Elle semble un peu rêveuse et romantique par moment, et bien non, fausse impression. Sa blondeur est trompeuse. Pragmatique, elle sait garder la tête froide, on peut sérieusement compter sur elle. Un peu trop, même. Elle s'inquiète toujours pour un rien, une vraie mère poule, limite parano ! Parfois, je me demande si ce n'est pas un peu surjoué…

— Madame Montgomery cherche un objet, un héritage familial. Un grand miroir d'environ un mètre de long. Je sais que la recherche d'objets ce n'est pas vraiment notre spécialité, mais je ne pouvais pas refuser. Tout ce qui appartenait à sa famille a été vendu après la mort de son oncle…

Ren n'a pas le temps de finir. Law arrive, essoufflée :

— Bonjour, Madame Montgomery. Toutes mes excuses pour ce retard, une affaire sur laquelle j'ai planché toute la nuit.

Après une poignée de main, l'enquêtrice s'assied derrière son bureau.

— Vous voulez donc que je retrouve ce miroir ?

— Oui, j'aimerais assez. Je traverse une mauvaise passe en ce moment. Je suis en instance de divorce, ça se passe assez mal. Je risque de me retrouver sans le sou. Ce miroir valait une petite fortune à l'époque. Il est incrusté de saphirs, de rubis et certaines parties sont en or massif.

L'ex-flic, intriguée, lui demande :

— Auriez-vous une photo de l'objet à me montrer ?

— J'ai pris un cliché du portrait de mon oncle. Le miroir est en arrière-plan.

La cliente fouille dans son sac, puis trouve la photographie, qu'elle tend à l'enquêtrice. Law la regarde, son expression s'assombrit.

— Vous devriez m'en dire plus sur cette chose. Qui s'est occupé de la vente après le décès de votre oncle ?

— Après sa mort et celle de mes parents, mes grands-parents m'ont adoptée. Ils ont vendu la maison et tout ce qu'il s'y trouvait. Je n'en sais pas plus, à vrai dire… à part que certains objets ont été rachetés par des membres éloignés de la famille. J'étais très jeune, j'ai peu de souvenirs de cette époque.

*

Paddington flat

Law boit son thé, debout, adossée au mur de son balcon. L'air préoccupé. La rousse aux grands yeux vert émeraude entend soudain, un objet se briser. Laissant sa boisson sur la petite table de jardin en métal peint en noir, elle rentre dans le salon pour trouver la cause du bruit. Au pied du buffet enfilade longeant le mur, gisent les morceaux d'une assiette en porcelaine. La jeune femme ressent encore une fois la présence de la nuit dernière. Allons bon, en pleine journée… Elle se retourne, puis regarde le miroir. Identique à celui sur la photographie de la cliente.

— Non. OK. Mais là, non. C'est de la folie.

Law s'approche de la glace, puis scrute l'intérieur du reflet, comme si elle voulait passer de l'autre côté. Alice… mais encore… Non, vas prendre ta Rispéridone, sérieux… n'importe quoi… Mortensen ramasse les bris d'assiette, retourne chercher sa tasse de thé, dépose le tout sur le plan de la cuisine et sort aussitôt de l'appartement.

*

Brixton district

L'ex-flic s'arrête en face d'un bâtiment en pierre de taille, le regarde un moment. La jeune femme y entre enfin, puis se dirige vers l'accueil pour se présenter. Quelques minutes plus tard un policier vient vers elle :

— Il arrive.

— Merci.

À cet instant, le DCI[1] McKenzie apparaît faisant signe à Law de le suivre. Elle lui emboîte le pas jusqu'à une salle d'interrogatoire. Montrant une chaise, Mac lui suggère de s'installer. Elle refuse, puis s'adosse au mur en face de la vitre teintée en croisant les bras. L'inspecteur s'assoit sur la table. Après un long silence, il s'adresse à son ancienne collègue sur un ton sarcastique :

— Ça fait un bail.

Inspecteur-Chef, Tyler McKenzie. Aaaah, Mac… Trop compliqué à expliquer. Passons.

— Ouais. J'ai besoin d'un service.

— Quel service ?

— Des renseignements sur une certaine Madame Montgomery. Sa famille, à vrai dire. Ses parents et son oncle sont décédés. Concernant ce dernier, si c'est une mort suspecte, tu dois avoir des rapports aux archives.

— Montgomery, tu dis.

— Montgomery. Beaumont-Montgomery, j'ai pu lire sur son passeport, à la signature du contrat… Beaumont étant, je suppose, le nom de son mari… Beaumont, comme Felix…

— OK, je vais voir ça. Je te tiens au courant, très vite.

Mac se dirige vers la sortie, ouvrant la porte pour laisser passer Law. L'enquêtrice n'est pas surprise par la réaction de son ex-coéquipier, mais elle attendait de lui un peu plus de…

…de résistance, de colère, d'indignation, que sais-je ? Une émotion bordel ! L'English dans toute sa splendeur ! Ah, il a peut-être grandi en Écosse, celui-là, mais un cul serré de naissance, ça reste un cul serré ! Mac le Magnifique, toujours stoïque. Superbe blond de presque deux mètres, sexy à souhait avec sa carrure de guerrier, mais j'ai toujours envie de lui foutre des baffes pour le secouer !

— Tu comprendras que je ne peux pas te laisser aller aux archives. Je m'en occupe.

— Bien sûr. C'est assez pressé par contre.

— Oui. J'ai dit : « très vite », lui répond Mac, sèchement.

Law le regarde, puis acquiesce. Elle n'insiste pas, la situation est assez tendue à son goût.

*

Louise se prélasse au soleil, assise dans le jardin sur un plaid à motifs floraux. Son oncle s'occupe des plantes. Elle l'observe, tel un chasseur guettant sa proie. L'homme lui fait signe de venir l'aider. La brunette se lève et s'approche de lui. Il lui tend un plantoir, puis lui indique un petit lopin de terre.

— Pique-le dans le sol, à la moitié, pour faire des trous. Espace-les de dix centimètres environ. Je vais te suivre pour y mettre les graines d'Impatiens Walleriana.

Louise s'exécute. Il la suit, laissant tomber quelques semences dans chacun des orifices qu'elle a creusés. Par quelques gestes, apparemment anodins, l'adolescente cherche à le séduire. Brusquement, elle tente de l'embrasser. Il la prend par les épaules, la repousse :

— Bon sang, Louise ! Que fais-tu ?

La brunette le regarde fixement. Il se relève, contrarié, puis se précipite dans le pavillon. Mais qu'a-t-elle dans la tête, cette môme ? se dit-il, perturbé par le geste de la jeune fille. La sonnerie retentit à l'entrée, l'homme s'empresse d'ouvrir, nerveux. Les parents de Louise rentrent de voyage. Ayant entendu le carillon, elle passe près de son oncle, qui sursaute, surpris par sa présence. Furieuse qu'ils reviennent troubler son petit monde fantasmagorique, à la vue de ses géniteurs, son regard s'assombrit. La mère se jette sur sa fille pour l'embrasser :

— Louison ! Alors, tu as été sage ?

La jeune fille repousse la femme, d'un geste agressif.

— Maman, j'ai quinze ans, je ne suis plus une enfant !

Le père serre la main de son frère. L'esprit accaparé par ses affaires, l'homme ne se préoccupe pas de sa progéniture :

— Bon, le voyage a été long, il faut encore défaire les bagages, je retourne à Londres, demain.

L'oncle aide les parents à porter les valises dans leur chambre. Louise reste à l'entrée, le regard rivé dans le vide. Soudain, elle penche la tête sur le côté, esquissant un sourire diabolique, se retourne et s'enfuit dans le salon pour jouer du piano. La marche funèbre de Chopin.

*

W. Agency - Victoria

Mortensen, assise à son bureau, une tasse de thé à la main (oui, on boit beaucoup de thé au Royaume-Uni), lit les dossiers d'archives que Mac lui a confiées. Brusquement, la porte s'ouvre. Ren entre précipitamment. Sortant, tel un trophée, un bloc de feuilles de son sac en bandoulière, elle flanque le tas sur le plan en bois vernis. La belle blonde ne prend pas le temps de retirer sa veste et tend la photocopie d'un article de journal à sa collègue :

— Law, lis ça ! Le père disparaît mystérieusement, l'oncle meurt quelques mois après… Et c'est pas tout…

La rousse lit le papier, puis regarde la photo de famille.

— T'as chopé ça aux archives de la bibliothèque ?

— Oui, lui répond fièrement son associée, en retirant porte-documents, puis son blazer, posant le tout sur une chaise.

L'ex-flic continue à regarder le cliché, reprend le dossier qu'elle étudiait précédemment pour le lancer sur la table en direction de sa partenaire.

— Mate ça.

Ren prend le maigre document, puis commence à feuilleter ses quelques pages :

— Cette Madame Beaumont-Montgomery nous cache des choses.

La blonde, debout de l'autre côté de la table, cesse de lire, puis regarde son amie, intriguée. Law relève la tête, posant ses coudes sur le bureau :

— Oui. Et ce miroir qu'elle recherche, je sais où il est… il est à Felicia maintenant, marmonne l'enquêtrice, préoccupée.

— Felicia a les moyens de se payer un truc pareil ?!

— C'est dans sa famille depuis quelques générations. Son grand-père était propriétaire terrien aux États-Unis. Alors quand ils ont emménagé au Royaume-Uni, ils ont dû faire la razzia sur les puces et les antiquaires de Londres… bref, j'en sais rien, mais toujours est-il que l'objet trône chez moi…

— Quelques générations…

— Toi aussi, t'as chopé la fausse note !

— Il faut qu'elle me donne l'adresse de son chirurgien…

— J'te voyais plutôt aller chez le nutritionniste…

— Trêve de plaisanterie, on ne lui dit rien pour l'instant. Je ne la sens pas ta cliente.

— Tout de suite, ma cliente !

— C'est toi la patronne…

— Quand ça t'arrange… mais qui est-ce qui m'a foutu une pareille associée !

Law regarde encore l'image, pensive :

— Louise Montgomery… Louise Beaumont-Montgomery… Mimétisme génétique ? s'interroge Mortensen à voix haute.

— Vu le genre d'enquête qu'on mène, ça ne me surprendrait pas que ce soit elle.

Ren replonge dans la lecture du dossier.

— Un brin dérangée la Louise, si c'est elle qui a commis ces meurtres. Et le père, retrouvé mort dans sa voiture, un an après le décès de l'oncle. Une momie. Déduction, court laps de temps entre les deux morts.

— Le rapport d'autopsie dit que c'est une crise cardiaque qui aurait provoqué l'accident. L'oncle a lui aussi eu un infarctus…

— Y'avait quoi dans leur jardin ?... Digitale pourpre, à tous les coups.

— Sans doute. Tu m'éclaires ? demande Ren.

— On en extrait de la digitaline, pour le traitement de cardiomyopathies. Je ne saurais te préciser lesquelles, je ne suis pas médecin… tout ce que je sais, c'est que ça peut tuer, et vite.

— Quelle science ! Moi, je pensais plutôt à des poisons plus classiques, comme la strychnine, mais le bêtabloquant, c'est parfait, en fait.

— Je traînais toujours à la morgue quand j'étais flic. Le légiste était canon.

— Forcément…

*

[1] Detective Chief Inspector.

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