El Desdichado
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Première strophe du poème de Gérard de Nerval
Lusignan tourne autour de la planète Mélancolie.
À bord de son vaisseau l'Aquitaine, il tourne sans fin, songeant à la vacuité de son existence. Ses sujets attendent son retour. Lui, le prince ténébreux sans lequel rien ne se crée, a abandonné sa charge, le maître des éléments s'est enfermé dans son tombeau d'acier et ne veut plus voir, ni la désolation qui s'abat sur le monde, ni la douleur de son peuple qui se meurt. Comment faire sans lui, le créateur des mondes ? Ses mélodies cosmiques sculptent les montagnes et lissent les plaines, règlent le vent et la fougue des torrents. Orphée, son Amour de toujours est mort assassiné, foudroyé.
Son meutre restera impuni. Son bourreau, le maître lui-même, jaloux de son talent, lui a pris la vie dans un accès de colère. Il pleure, se méprise et son chagrin endeuille l'univers entier. Son luth muet ne déchaîne plus les marées de l'astre du jour ! Le soleil noir étouffe sous sa propre masse écrasante, s'effondrant sur lui même. L'obscurité qui accompagne son agonie constelle la nuit de diamant éternels.
Incapable de se pardonner, ténébreux, veuf, inconsolé, Lusignan, plonge sa nef dans l'étoile mourante, aboli à son tour. Tandis qu'il succombe, l'astre nourrit de son génie se rallume et partout irradie la vie. Sa chaleur et ses pensées héritées du défunt révèlent les mondes qui soupirent d'aise. Les montagnes qui se dressent fièrement sur Mélancolie, agrippent de leurs sommets, la pluie qui irrigue les champs. Les torrents libérés ensemencent les fleuves et la terre se fait grosse de mille naissances qui fleurissent en bouquets enivrants. Alors le peuple quitte ses refuges transis et sort de dessous la terre. Ne sachant plus être sans son prince, il pleure son tyran disparu. Maintenant sonnent les luths, portés par les vents solaires ! Et la foule danse. Silence car le ciel est si vaste qu'ils sont saisis de crainte révérencieuse. Alors ils se prennent la main et rassérénés chantent comme un mantra, un mot oublié : Liberté !
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