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 J’avais profité de mon après-midi pour imprimer une nouvelle liasse de CV chez Eddy, à qui j’avais promis d’expliquer ma soudaine passion pour la recherche d’emploi le soir-même.

 J’avais déposé des CV tout le reste de la journée, si bien que j’étais certaine que tous les commerces de la ville, à l’exception des lieux où j’avais travaillé par le passé, possédaient un exemplaire de mes expériences professionnelles.

 En début de soirée, j’avais atterri dans la confiserie où travaillait Ariella. Elle m’avait accueillie comme une reine dans sa boutique rose-bonbon. Elle m’avait proposé de jouer les gouteuses pour la toute nouvelle recette de muffins que venait d’élaborer Dominic. Le patron en question avait attendu mon avis comme celui d’une critique gastronomique.

 J’avais avais profité de son évidente générosité pour lui demander s’il ne connaissait pas quelqu’un qui cherchait un nouvel employé, et il m’avait donné le meilleur tuyau de ma vie.

 Il m’informa que la gérante d’un magasin de fournitures d’art, une amie à lui, avait l’intention de virer son caissier ce jour-là. Le bougre avait piqué dans la caisse et elle s’en était aperçue.

 J’avais déjà déposé un CV au Del’Arte, mais personne n’y avait donné suite. J’imaginais qu’il en serait autrement à présent que la gérante cherchait un nouveau caissier. Et puisque je n’avais aucune connaissance en matière d’art, être là au bon moment serait probablement mon unique atout.

 Quand j’arrivai au Del’Arte, seulement à deux rues des Confiseries de Domi, je constatai que le jeune caissier avait déjà plié bagage. A la place, je trouvai une affichette écrite à la va-vite, qui avait récemment était collée à la porte vitrée – en témoignait l’absence du moindre faux-pli sur la feuille.

 Je poussai la porte du magasin, munie du CV que Dominic m’avait rendu et le tendis fièrement à la personne qui occupait la caisse. Le type aux cheveux violets, tatoué des pieds à la tête, me dévisagea comme s’il avait deviné que je n’avais absolument rien à faire dans sa boutique. J’avais toujours été une artiste pitoyable, mais je n’imaginais pas que ce pusse être écrit son mon visage.

 – Je viens pour le poste de caissière, dis-je comme s’il ne s’agissait pas d’une évidence.

 – Est-ce que vous savez qui tient cette boutique ? me questionna-t-il.

 J’imaginais que son nom avait une certaine importance, mais je dus admettre mon ignorance.

 – Casey Taylor, ce nom ne vous rappelle rien ? Vous vous y connaissez, en Street Art ?

 – Non, et non…, bredouillai-je.

 – Eh bien, ma petite, vous avez un sacré culot, gloussa-t-il. Vous vous rendez compte que si je lui donne ce CV, elle va vous envoyer sur les roses ?

 – Pourquoi ? Parce que j’ai l’audace de ne pas la connaître ?

 – Tay est l’une des artistes de Street Art les plus en vogue en ce moment. Son compte Instagram frôle les six millions d’abonnés. Pendant un temps, elle a même eu son émission télé.

 Je conservai un air sceptique.

 – Parce qu’il faut être une fan de Tay pour rendre la monnaie ? Je l’ignorais.

 Le type au cheveux violets éclata d’un rire tonitruant – clairement exagéré – qui attira les deux autres employés. Il leur répéta ce que je venais de dire, puis ils se mirent à rire ensemble. Le type me rendit mon CV.

 – Ne changez rien, mademoiselle, vous êtes parfaite, dit-il en essuyant une larme de rire. Remarquez, il faudrait peut-être quelqu’un qui rappelle à Tay qu’elle n’est pas la reine du monde. Vous savez quoi ? Son bureau est par là-bas, dites-lui que c’est Clayton qui vous envoie.

 Il me désigna une petite porte blanche à l’arrière de la boutique, vers laquelle il me regarda marcher avec assurance. Lui et ses collègues s’esclaffèrent une nouvelle fois.

 Je frappai à la porte dont la peinture blanche commençait à s’écailler, ignorant tant bien que mal les rires des trois employés qui ne s’arrêtaient pas. Personne ne vint m’ouvrir. Je n’eus le droit qu’à un « entrez » digne des grands PDG pour qui ouvrir une porte n’était plus une activité assez noble.

 Je découvris une jeune femme assise derrière son bureau. La première chose que je remarquai fut sa longue natte noire aux pointes bleues sur le côté de sa tête et ses bras tatoués de sorte qu’il ne restait presque plus d’espace de peau libre. Pourquoi les artistes aimaient-ils tous tant les tatouages ?

 Je tendis mon CV à cette femme, précisant que c’était Clayton qui m’envoyait, exactement comme il me l’avait conseillé. « Je viens pour le poste de caissière », jugeai-je utile de préciser. Elle hocha la tête et m’invita à m’asseoir face à elle tandis qu’elle examinait mon CV en tenant ses lunettes de secrétaire au bout de son nez.

 – Comment avez-vous connu la boutique ? demanda-t-elle.

 – Dominic m’a dit que vous cherchiez quelqu’un.

 – C’est tout ?

 – Hum… Oui. Même si je ne connais rien à l’art, j’ai d’autres qualités.

 – Parce que vous n’êtes pas une artiste ?

 – Non. Mais je peux être caissière. J’ai un bon sens du relationnel.

 Elle ne fit aucun commentaire, mais je voyais bien qu’elle trouvait ma présence dans son bureau plutôt incongrue. Pourtant, je ne me démontai pas.

 A mon plus grand bonheur, elle n’eut pas la prétention de me demander si je savais qui elle était. Je n’aurais pas vraiment apprécié d’avoir à lui répondre que je n’avais jamais entendu parler d’elle. J’imagine qu’elle l’avait deviné et que c’était pour ça qu’elle n’avait pas posé la question. « Ne pose pas de questions dont tu ne veux pas entendre la réponse, ma petite fille », disait toujours Eddy.

 Le type aux cheveux violets pénétra dans le bureau pour appuyer ma candidature. Il lui expliqua que je n’avais pas ma langue dans ma poche et qu’il était certain que les clients apprécieraient d’avoir quelqu’un avec autant de mordant en caisse. Je lui adressai mon plus beau sourire pour le remercier. Il disparut presqu’aussitôt, nous laissant seules. Tay examina de nouveau mon CV.

 – Et tu n’as vraiment jamais entendu parler de moi ?

 Je secouai la tête d’un air faussement désolé.

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