Chapitre 1

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J’ouvris un œil et le jetai à travers la fenêtre. Encore ce temps maussade. Depuis trois mois, il me semblait que le soleil avait complètement disparu de la surface de la Terre. J’avais l’impression qu’à l’instar de Simon, lui aussi m’en voulait. Comme si me priver de ses fils dorés témoignait de la sentence que je méritais. J’aurais pourtant aimé qu’il chasse ces nuages cireux. Non contents d’éclipser le beau ciel bleu, ils s’infiltraient dans mon esprit et me plongeaient dans un sombre brouillard.

Je m’extirpai de sous ma couette et m’approchai du carreau perlé de pluie. Mes doigts suivaient lentement les coulées de larmes laissées par la puissante averse. J’entendais le « ploc-ploc » des gouttes tombant du toit en songeant que pleurer me ferait sans doute du bien. Si j’avais dû encrer sur un papier l’état dans lequel je me trouvais, je me serais dessinée, recroquevillée sous une grosse larme gelée.

Je soupirai. Le mois de juin venait de débuter, il était plus que temps que le soleil montre le bout de son nez. Il y allait de ma survie.

J’avisai la pile de lecture qui bordait mon lit, aussi grande que la panière de linge échouée à l’autre bout de la chambre. Entre les deux, mon cœur ne balança pas très longtemps ! J’attrapai le roman que j’avais entamé puis descendis me faire couler un café. Avant toute chose, il me fallait savourer la chaleur corsée de ce sombre breuvage. La tasse au bord des lèvres et un plaid étalé sur moi, je repris la lecture de ce texte qui m’avait happée dès les premières lignes. Sur un ton tranchant, la jeune auteure cassait tous les codes classiques de la comédie romantique. C’était drôle, frais, réaliste et cathartique, tout ce dont j’avais besoin en l’état actuel.

J’avais une chance incroyable de pouvoir vivre de ma passion. Je passais mes journée à lire, à voyager d’un univers à l’autre. Peu m’importait de passer pour une désœuvrée, ce qui comptait pour moi, c’était la main que je tendais aux auteurs. J’avais conscience du temps que chacun d’entre eux avait passé sur leur histoire, des émotions qui les avaient malmenés durant leur période d’écriture et, je m’efforçais d’ouvrir bien grands les yeux pour ne pas manquer le message qu’ils avaient dissimulé au creux de leurs pages. J’annotais, je corrigeais, et relisais encore et encore pour retranscrire le plus fidèlement possible mon ressenti. Simon me reprochait souvent ma lenteur, mais cette question du temps m’échappait complètement.

Comme pour me rappeler à l’ordre, mon téléphone m’avertit d’un message. Simon me donnait rencard. Enfin, pas tout à fait… il me demandait de le rejoindre au bureau. Mon cœur tambourinait. Cela faisait trois mois que je ne l’avais pas vu. Parti accompagner un de nos jeunes auteurs en dédicaces, son absence s’apparentait à une sorte de break imposé. Notre couple battait de l’aile depuis que j’avais mis un terme à ma grossesse. Lui comme moi ne voulions pas spécialement d’enfants. Pourtant il avait mal réagi à mon annonce. Je ne comprenais pas sa prise de distance et espérais que nous saurions en discuter.

Dans un état d’effervescence mêlée à l’angoisse, j’entrai dans la salle de bain. Je me fis violence pour ne pas poser les yeux sur mon ventre vide et brossai mes cheveux emmêlés. Ma jolie couleur auburn tirait sur le cuivre séché et mes joues creusées renforçaient les nuées cendreuses qui s’étalaient sous mes yeux. Je m’étais quelque peu laissée aller. Je pris le temps de me doucher et de camoufler les traces de solitude de ces derniers mois.

J’entrai dans le métro bondé, faisant fi des regards braqués sur moi. J’avais l’étrange sensation qu’on me jugeait constamment. Malgré mes efforts pour faire taire ma culpabilité et montrer la femme forte et fière que j’étais, je sentais mon écorce se fissurer à mesure que je m’exposais.

En sortant de la station, mon parapluie – sûrement de mèche avec le perfide soleil – me résista, laissant le temps à l’averse de me noyer complètement. J’avisai mon reflet dans le miroir à l’entrée du bureau. Mes cheveux détrempés donnaient l’impression qu’ils n’avaient pas été lavés et mon maquillage avait coulé. Je pris une profonde inspiration, relevai le menton et avançai dans le couloir qui menait au bureau de Simon. Le cœur battant, je frappai à sa porte.

— Entrez.

Simon ne se leva pas pour m’embrasser. Au lieu de cela, il me désigna le fauteuil en face de lui.

— Vas-y, assieds-toi.

J’obéis. Son regard était froid, ses gestes fébriles. Cet entretien n’augurait rien de bon. Je tentai une parade.

— C’était bien cette tournée ?

— Oui, très. J-B s’est montré enthousiaste et professionnel.

— Tant mieux !

Simon se racla la gorge.

— Écoute Cora…

Je détestais lorsqu’il m’appelait ainsi. Je me mordis la langue et m’efforçai de lui sourire.

— …, je voulais de te parler d’une décision prise en conseil d’administration.

Je fronçai les sourcils.

— Au vu de tes absences répétées et des manquements dans tes missions, nous avons décidé de te mettre à pied.

— Quoi ?!

— Durant les trois derniers mois, tu n’as presque jamais été au bureau…

— Mais enfin, j’ai fait le boulot !

— Depuis la maison ? Écoute, ce n’est pas très professionnel. Tu dois être sur place comme tout le monde. Ce n’est pas parce qu’on...

— ...baise ensemble ?

— Cora !

— Pardon Monsieur le Directeur ! Encore un manquement aux us et coutumes de la maison. Quels autres faits me reprochez-vous ?

— Les retards dans tes compte-rendus de lecture et ce contrat manqué.

— Quel contrat ?

— Agathe Perrier.

— Je ne comprends pas.

— C’était une sacré pépite celle-là !

— Ça...

— On aurait pu se faire des couilles en or !

— Euh, dois-je te rappeler que tu parlais d’elle comme d’une féministe autocentrée ?

— N’exagère pas mes propos. Encore un peu, je passerai pour un macho.

Je fulminais.

— Tu me punis c’est ça ?

— Te punir de quoi ?

— De l’avortement.

— Ne mélange pas tout, tu veux. Je te parle d’un point de vue strictement professionnel. Mais puisque tu abordes le sujet, j’ai bien réfléchi pendant la tournée. Je pense qu’on devrait en rester là.

Je serrai les dents et encaissai ce deuxième coup bas.

— Je vais loger ailleurs le temps que tu t’organises…

— C’est une manière polie de me foutre dehors ?

— Cora, s’il te plait, ne rends pas les choses plus difficiles.

Depuis quand était-il devenu aussi con ?

— Écoute, je…

— Ne vous fatiguez pas Monsieur le Directeur, inutile d’acter votre mise à pied. C’est moi qui démissionne.

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