Chapitre 6

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Sous l’édredon moelleux, je parcourus des yeux l’ancienne chambre de ma grand-mère. Celle avec le balcon, sous le toit pointu. « La tour d’ivoire de Mamé Fanette », comme j’aimais à l’appeler lorsque j’étais petite. Rien n’avait bougé. Toujours la même tapisserie fleurie, décollée à certains endroits, par l’humidité qui suintait du grenier. Toujours ces deux panneaux en crochet Poulbot, aujourd’hui vintage, accrochés au-dessus du lit et, l’incontournable tourne-disque posé sur l’étagère. Ça me rassurait de voir que les objets, eux, conservaient les souvenirs du passé.

Plus jeune, j’adorais venir ici, m’asseoir sur le fauteuil face au secrétaire et basculer le tableau d’écriture pour découvrir les petites niches qu’il renfermait. Un vieil encrier dans lequel trônait une plume séchée – et que ma grand-mère n’utilisait déjà plus depuis des années – me fascinait. Je réinventais le temps, me prenais tantôt pour une institutrice, tantôt pour une écrivaine. J’adorais me glisser dans la peau de mon personnage de roman préféré : Jo March. Des idées plein la tête, je faisais fi du monde qui m’entourait et, comme elle, je nourrissais des rêves de liberté.

À presque trente ans, j’étais pourtant, somme toute assez banale. Je n’avais pas révolutionné ma vie. Je me contentais de lire des romans plutôt que de les écrire et, de me laisser bercer par le vent. Je m’accrochais aussi à des idéaux impossibles comme aimer sans pour autant me sentir emprisonnée. Mais, il me semblait que n’était pas né celui qui saurait m’accepter telle que j’étais.

Tout à mes réflexions, j’entendis le bruit pétaradant d’une moto qui avançait dans l’allée de graviers. La lueur des phares s’infiltra un instant dans ma chambre, à travers les interstices qu’offraient les double-rideaux à leurs extrémités. Des voix résonnèrent au pied de l’escalier. Curieuse, je me dégageai du lit et rejoignis le visiteur inattendu. Ben me dévisagea, les yeux écarquillés et la bouche grimaçant ce qui ressemblait à du dégoût. Je l’accueillis avec la même hospitalité : les sourcils froncés et les joues gonflées d’agacement. Ma mère, certainement réveillée par le boucan qu’il avait fait, arborait cependant un large sourire. Elle avait toujours apprécié la compagnie de mon cousin. Je ne savais pas comment elle faisait. Il était insupportable ! C’était un sale égoïste dépourvu de cœur et foncièrement misogyne. Comme le neveu poli et bien élevé qu’il n’était pas, il me salua :

— Coco...

Je serrai les dents. Je détestais plus encore ce surnom que celui que m’attribuait Simon. Devant les autres, il pouvait sembler mignon, mais j’étais la seule à savoir ce qu’il signifiait réellement. D’ailleurs, il ne s’était pas gêné pour lorgner mes seins qui pointaient sous mon débardeur blanc. Je croisai instinctivement les bras sur ma poitrine.

— Benny…

Une flamme s’alluma dans son regard. J’avais engagé les hostilités, je le savais. Sa mère était la seule personne à l’appeler ainsi. J’étais consciente que ce petit nom affectueux ravivait des douleurs enfouies. Tante Lucie les avait abandonné, lui et Oncle Charly lorsqu’il n’avait que trois ans. Le seul lien qu’elle entretenait avec lui passait par les cartes qu’elle lui envoyait pour son anniversaire. C’est sur l’une d’entre elles que j’avais vu noté ce joli surnom.

— Tu as fait bonne route ? lui demanda ma mère en lui retirant son blouson.

— Oui mais je devais arriver plus tôt, je suis désolé…

— Heureusement, tu n’as pas réveillé Mamé, intervins-je.

Il me fusilla du regard.

— Alors, comme ça tu as retrouvé le chemin d’Étretat ?

Un partout, balle au centre. Je baissai les yeux. Malgré ses nombreux défauts, Ben ne laissait jamais passer plus de quinze jours sans venir voir notre grand-mère.

— Coraline va passer un peu de temps ici, lui annonça Maman. J’ai appelé Charly. Comme nous, il est soulagé qu’on remette nos projets à plus tard.

— Mmm…

Lui n’était visiblement pas convaincu.

— Alors, qu’est-ce que tu racontes de beau ? l’interrogea encore ma mère en le poussant vers la cuisine.

Je décidai de regagner mon lit. Je préférais compter les moutons plutôt qu’écouter mon cousin bavasser. J’espérais qu’il repartirait demain après le déjeuner.

**

Mon téléphone m’indiqua neuf heures passées lorsque je me réveillai. Je trouvai Ben, attablé en cuisine devant un ordi. Mon humeur vacilla.

— Où sont mes parents ? Et Mamé ? lui demandai-je en me versant du café.

— Bien le bonjour à toi aussi !

Je soupirai intérieurement. Et, sachant pertinemment qu’il me raconterait des conneries, je décidai de les chercher moi-même. Je découvris ma grand-mère agenouillée au milieu du parterre de fleurs qu’entretenait autrefois Papé. En m’avançant, j’aperçus ses plantes préférées à l’endroit exact où il les replantait chaque année.

— Je ne savais pas que tu avais la main verte maintenant, lui lançai-je en déposant un baiser sur la tête.

Elle rit. Mamé était douée pour des tas de choses mais certainement pas pour s’occuper des fleurs. Elle les arrosait toujours beaucoup trop.

— Il le faut bien. Ton grand-père se retournerait dans sa tombe s’il voyait une seule mauvaise herbe s’immiscer entre les tiges.

Je m’assis à côté d’elle et laissai le souvenir de Papé refaire surface dans mon esprit. C’était un homme bourru et mal fagoté qui passait ses journées, seul dans son jardin. Il avait toujours l’air renfrogné mais il suffisait de passer du temps auprès de lui pour comprendre que sa solitude n’était que le reflet des regrets qu’il nourrissait. Contraint de cesser le travail en raison des tremblements qu’il avait, les seules fois où on le voyait détendu étaient ces moments où, reliée aux fleurs qu’il tenait, sa main lui répondait enfin. La confiance retrouvée, il souriait. Il m’a tant appris sur les plantes. On avait même fabriqué un herbier. Il devait être quelque part dans la maison. À l’occasion, je le chercherai.

— Tu as vu ton cousin ?

— Ouais... Je m’en serai bien passé.

Mamé ne releva pas. Peut-être qu’elle n’avait pas entendu ma remarque.

— Quand est-ce qu’il repart ?

— Je ne sais pas trop. Comme toi, il a décidé de rester un peu.

Quoi ?!

— Si tu savais comme je suis contente ! s’enthousiasma-t-elle.

Prétextant une envie pressante, je rentrai illico dire deux mots à cet idiot.

— Qu’est-ce que j’apprends ? Tu vas rester ici ? Combien de temps ?

Ben ne prit même pas la peine de me regarder.

— J’sais pas… Peut-être bien tout l’été. Ça fera du bien à Mamé.

Là, il leva le nez vers moi et étira ses lèvres dans un sourire narquois.

— Euh, tu n’as pas bien compris... Je reste m’occuper d’elle, donc tu peux repartir.

Il referma son ordi et se leva.

— Alors on va devoir cohabiter. Je m’en réjouis d’avance.

Sur ces mots, il me laissa plantée là, dans la cuisine, les yeux exorbités et les joues rouges de fureur.

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