Chapitre 12

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— Qui est Augustine, Mamé ?

Les yeux de ma grand-mère se voilèrent d’un rideau de pluie. Elle tourna la tête vers la fenêtre et resta ainsi quelques minutes, en proie à des souvenirs qui me semblaient douloureux.

— Augustine c’était ma liberté…, murmura-t-elle d’une voix étranglée.

Mamé se leva, mit sa tasse dans l’évier puis se tourna de nouveau vers moi.

— Tes parents ont raison... Je perds tout doucement la boule. J’oublie mes lunettes, le jour qu’on est… J’oublie d’éteindre la télé, parfois même le plat que j’ai mis au four.

— Ne t’inquiète pas Mamé...

Le barrage céda et les larmes de ma grand-mère débordèrent de ses paupières pour se déverser sur ses joues en deux lentes coulées silencieuses. Sa vulnérabilité me décontenança. Elle avait toujours été si forte !

— … un jour viendra où je l’oublierai elle aussi !

Elle enfouit son visage dans ses mains pour étouffer ses sanglots. Je m’approchai d’elle et la serrai contre moi. Me revint alors l’image inversée de ses bras à elle, autour de mon petit corps d’enfant secoué par les spasmes de mes pleurs. Je faisais à présent une tête de plus qu’elle et ses os saillaient sous sa peau. Le temps emportait avec lui bien plus que nos souvenirs passés, il nous volait une part de nous mêmes, nous laissant pour seul écho le cri perçant de nos regrets. Soudain, les lignes rédigées par ma grand-mère, étouffées de mélancolie, résonnèrent dans mon esprit. Si aucun nom ne permettait de tisser un lien avec le destinataire et cette Augustine, quelque chose me soufflait qu’elle n’était pas étrangère à la douleur contenue dans la passion dévastatrice de ces courriers.

— J’ai trouvé un tas de lettres dans le vieux secrétaire. Était-ce à Augustine qu’elles étaient adressées ? osai-je d’une voix timide.

Mamé se dégagea de mon étreinte et me fixa durement. Je craignis un instant qu’elle ne m’en veuille.

— Peux-tu aller me les chercher ?

J’obéis et revins bientôt avec les enveloppes soigneusement retenues par le ruban rouge. Ma grand-mère tendit les mains pour récupérer sa correspondance et du bout des doigts en caressa la surface.

— Je ne me souvenais plus d’elles. Il y a si longtemps…

Mamé tira une chaise, s’assit et dénoua le ruban. Elle ouvrit la première enveloppe et en sortit la lettre. Je l’entendis émettre un hoquet et, la laissant redécouvrir les mots qu’elle avait écrits il y a de ça des années, j’entrepris de préparer le repas.

Nous entendîmes bientôt le bruit de la moto crisser sur les graviers. Mamé sursauta et se hâta de rassembler les lettres éparpillées sur la table pour les cacher dans la poche de sa blouse. Elle essuya ses yeux et accueillit Ben avec le sourire.

— Ça va mon grand ?

Mon cousin se figea devant le tableau que nous lui offrions : Mamé les yeux rougis, assise, et moi, derrière les fourneaux, un fouet en main.

— C’est plutôt à vous qu’il faut demander ça ! Qu’est-ce qui vous arrive ?

Ma grand-mère me regarda, incrédule.

— Ben rien ! Pourquoi ? répondis-je à sa place.

— Vous êtes bizarres.

— N’importe quoi ! Mamé se repose et moi je prépare le repas.

— C’est bien ce que je dis !

Puis s’approchant de moi, il regarda le contenu de ma casserole et me lança :

— C’est comestible au moins ?

Je levai les yeux au ciel. Ce n’est pas parce que je n’aimais pas cuisiner que je ne savais pas le faire. Bon d’accord, mes recettes étaient loin d’être sophistiquées, elles contenaient surtout des pâtes : spaghetti bolo, farfalle au poulet, penne aux légumes, tortellini au fromage... Ce soir, je leur concoctai d’ailleurs le must de ce que savais faire : lasagnes saumon/épinards.

Ben s’éclipsa dans la salle de bain et je versai trois verres de Chardonnay après avoir enfourné mon plat. Je dévisageai Mamé qui, perdue dans ses souvenirs, ne sembla pas faire attention à moi. Elle ne reprit possession de la réalité lorsque mon cousin s’attabla avec nous. Elle s’attarda un instant sur moi et plongeant, ses yeux dans les miens, me fit une promesse silencieuse.

Je la rejoignis dans sa chambre, quelques temps après le repas et la trouvai assise en robe de chambre dans son lit, le tas d’enveloppes au creux de ses mains. Je m’assis tout près d’elle.

— Raconte-moi et je me souviendrai pour toi Mamé !

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