Acte 2 : La vie de palais
Ne m’en veuillez pas si vous ne comprenez pas encore les tenants et les aboutissants de mon histoire. Ce ne sont que les origines de mon monde. Le début et une belle fin en soi.
— Non ! Non ! Feu ! Feu la brève sauvage qu’il a raconté comme un outrage. Cet accoutrement doit être. Ne saurait-ce encore s’immiscer dans les parages.
Mon alter-ego a bien raison. Je vais ai mis déjà la salive à la bouche, plein de mystères en sous-couches et ce n’est que le commencement bien bleu, non rouge.
« C’est vrai ! C’est vrai !! C’est vrai !!! Vous allez voir. Toute est vérité… Ou presque. »
Alors… Allons-y, bien belle fresque.
Acte 2 : La vie de palais
Goût acre sur ma langue. Les voix stridentes de servantes m’ont tiré de mon inconscience et résonnent dans ma boîte crânienne. Couchée sur mon lit baldaquin, j’ai du mal à m’ancrer dans le réel. J’ose jeter un coup d’œil à la pièce aux murs beiges et crème et, rencontre deux regards verts divers. Inquiètes, mes sœurs Ino et Agavé me scrutent. Je papillonne d’appréhension. Les cheveux de blé en bataille, les yeux rougis, elles ont dû pleurer lorsqu’elles m’ont trouvé… dans le champ. Je me souviens du brasier et ensuite… Ensuite… J’ai du mal à me souvenir.
— Ça va ? Comment te sens-tu ? entonnent presque en cœur les fausses jumelles.
— ... Euh, oui... On est bien au Palais ? Que s’est-il passé ?
Ses deux interrogations me viennent bêtement, telles des fac-similés de réponses, alors que je sais déjà ce que mes soeurs veulent.
— C’est à toi qu’on devrait poser cette dernière question ? On t’a retrouvé affalée en plein champ ? À demi-consciente, tu délirais en maudissant le ciel et en disant que tu avais accueilli un brasier en ton sein.
— Bien sûr, ce n’est pas vrai, hein ?!! rajouta Ino, à la fois inquiète et intriguée.
— Ah ! J’ai soliloqué cela ? Je ne sais pas… Je ne me souviens plus. C’est encore flou…
Soudain, quelqu’un entre dans la pièce telle une tornade.
— Qu’as-tu fait, jeune idiote ? demande une voix autoritaire dont je ne sais que trop bien à qui elle ait.
Le tonnerre gronde à l’intérieur des murs. Me relevant, je m’appuie contre les duveteux oreillers tandis que ma mère entre dans ma chambre telle une furie, accompagnée de sa suite de harpies. Reine d’albâtre à la cascade blonde, elle glisse sur le sol de marbre avec prestance. Puis, elle reste immobile à quelques pas de moi, le regard foudroyant, attendant visiblement une explication à la situation. J’avais profité d’un instant d’inattention de mes servantes pour sortir et m’éloigner du palais avant que l’agitation le gagne. Les jeunes filles, toutes de blanc vêtues, sont atteintes par ses œillades cinglantes. Statufiées, elles attendent le verdict. La plus vielle, ayant plus d’expérience, prend son courage à deux mains et s’interpose :
— Vénérable Reine Harmonie, sachez que nous sommes confuses et…
— Confuses ?! Laissez ma fille sans bonne garde est un crime. Vous toutes, vous mériteriez d’être châtiées... la coupa-t-elle froidement.
Je hais ces moments où elle usurpe l’attitude d’une mère inquiète pour, en fait, ne se comporter que comme une reine dictatrice. Je serre les dents. Son regard verdoyant est brûlant et impérieux.
— Mère...! m’alarmais-je. Ce n’est en rien de leur faute. Ne les mets pas au cachot pour une bêtise que j’ai commise toute seule.
— Sémélé ! Je déteste quand tu me coupes la parole ! Voyons, me crois-tu assez sotte pour faire cela !! Elles auront juste de quoi travailler un peu plus, susurra-t-elle sournoisement.
En plantant son regard émeraude dans chacune d’elles, elle les incite à reprendre leurs tâches sans s’atermoyer.
— Et vous, ma chère fille, votre devoir est de représenter la famille royale ! Et une attitude comme celle de ce matin ne serait gréé. Je compte sur vous pour rester bien sage et ne pas mettre plus de désordre qu’il y en a dans cette demeure !! Me suis-je bien fait comprendre ?!!!
J'ai l'intention de protester vigoureusement mais je sens une main chaude et rassurante sur mon épaule. Je lève la tête et vit que c’était Ino. Elle me signifie de me retenir d’intervenir même si elle a la même envie de s’insurger que moi.
— Oui, mère. Cela serait fait selon votre bon plaisir.
— Et dans ton intérêt, chère fille. Servantes, préparez-la pour le dîner !!
J’incline la tête imitant mes suivantes, faussement soumises à son autorité, admettant par cela un assentiment totale à sa doctrine. Satisfaite comme une chatte ayant mangé une souris, elle s’éloigne dans le couloir, accompagnée de sa suite et d’Agavé. Celle-ci jette à peine un regard contrit à ma face livide et ne perd pas une minute pour les rejoindre.
De rage, ne pouvant plus rester dans mon lit, je pose un pied à terre, le foulant prestement pour décharger ma hargne. Ma mère a toujours eu le don d’énerver le monde en ne faisant presque rien.
— Oh ! Sémélé… Attends que je t’aide... J’ai tellement honte de son attitude. Comment peut-elle être notre génitrice ? m’interroge-t-elle en m’installant sur un klinê pour me préparer.
Ino me fixe, l’air désolé, et m’offre un pauvre sourire. Ses yeux vert chartreux, plus profonds et plus clairs que ceux de ma mère et Agavé, se sont assombris.
— Justement, elle l’est. Ne te chagrine pas pour ça. Depuis le temps, on a l’habitude...
Je souris pour la rassurer. L’espace d’une fraction de seconde, moi-même, j’ai failli vaciller mais je me suis repris rapidement. Elle ne me mettra plus en colère comme elle l’a fait par le passé. J’ai toujours eu le désir en moi de m’opposer à elle. Son attitude tyrannique envers les autres m’a très tôt insupporté. Je dois lui causer autant de honte que d’agacement. Seulement, je ne m’arrêterais pas.
— Allons-y ! Ne tardons pas sinon nous risquons la crise étatique.
D’une jeune fille échevelée au teint défait, j’ai maintenant de beaux atours : des joues de roses fraîches et une robe péplos à la nuance pêche. C’est comme si le cauchemar qui s’était produit était effacé. Nous progressons dans les couloirs froids et élégants vers la salle banquet pour nous sustenter. Marbre et plâtre laissent place aux dorures, aux passementeries chamarrées et à une immense table en chêne trônant au milieu de la pièce.
— Vous voilà, mon enfant. On attendait plus que vous. Festoyons !!
— Soit, je vous suggère quand même un peu plus de tenue, mon cher mari.
Sans tarder, Ino et moi, nous nous installons à table. La reine Harmonie sermonne vertement son époux qui ne dément pas de son attitude gaillarde. À peine les yeux marrons en amande se plissent-ils sur son visage mat qu’un rire franc et tonitruant emplit l’espace. Cela couvre ainsi les protestations de son vis-à-vis, à l’autre bout de la table. À part ceci, le repas se passe dans l’ordre et le calme comme la maîtresse de maison aime. Quelques paroles plates sont échangées. Bientôt les bruits de bouche et de vaisselle sont seuls maîtres du volume sonore. Presque ennuyé, quelques œillades paternelles se posent sur moi sans pour autant faire suite avec des interrogations verbales. Pendant ce temps, en mon for intérieur, des images d’une pluie ardente et d’un brasier mourant me reviennent à l’esprit. Je déglutis, avalant une olive marinée, et une douce chaleur emplit mon ventre.
Annotations
Versions