C2-1 La cage dorée
Après leur “retrouvailles” riche en émotion, le juge master et la guerrière du Daflad prirent soins d'éviter de se croiser. L'un ne voulant pas affronter le rejet et la haine et l'autre incapable de choisir entre son devoirs et ses sentiments. Il n'est déjà pas aisé de faire le deuil de quelqu'un que l'on aime mais il est encore plus difficile de les déterrer et de faire face à leur résurrection.
Erel avait pris sa nouvelle fonction de servante du juge master, elle frayait avec les autres servants du château. Tous savaient qui elle était et ce qu'elle représentait, ainsi la plupart refusaient catégoriquement de lui adresser la parole sauf pour lui donner des ordres ou lui faire remarquer qu'elle faisait mal son travail. L'ambiance était glacée avec ses nouveaux collègues. La guerrière ne faisait pas particulièrement d'effort non plus pour s'intégrer dans sa nouvelle équipe, elle refusait d'accepter sa nouvelle situation et donc mettait de la mauvaise volonté dans toutes les tâches qui lui avaient été confiées. Elle espérait se faire renvoyer et ainsi peut-être, avoir droit à une mort digne. Mais elle n'en était pas là encore et il fallait croire que Gaven avait une influence considérable car malgré son travail médiocre personne n'osa encore la congédier.
Personne n'adressait la parole à la Dafladienne ou presque, il en était une qui de par son caractère enjoué et enfantin n'avait pas peur d'elle et de ce qu'elle représentait. Angélique de son prénom, était le binôme de début de semaine de la prisonnière. Les trois premiers jours, elle était chargée de s'occuper de former la servante novice et de la surveiller au passage. Angélique était du genre bavarde, sympathique et toujours contente, des traits qui ne manquaient pas d'agacer la Dafladienne, d'une part car elle n'avait nullement envie de converser avec elle et d'autre part car elle n'avait pas de quoi se réjouir. Puis qui était heureux d'être servant dans un château?
Angélique et Erel étaient chargées, entre autre, de dresser les tables pour les repas des généraux de l'armée dont faisait partie les juges. Alors qu'elles dressaient les grandes tables rectangulaires en bois noirâtre dans une salle démesurément grande dont les tapisseries affichées fièrement le symbole de l'armée Astéenne, ce maudit serpent enroulé autour d'un cercle. Erel détestait cette pièce, tout lui rappelait sa défaire, ce qu'elle avait perdu et le malheur qu'elle avait retrouvé.
Comme à son habitude les servantes s'agitèrent dans leur robe noire au tablier blanc faisant virevolter leur jupe et claquer leur talon de quelques centimètres sur le sol en pierre. Angélique tentait toujours de dérider la guerrière caractérielle avec qui elle partageait dorénavant une partie de ses activités mais sans succès. Erel voulait terminer rapidement son office pour quitter cette salle.
La grande porte en bois s'ouvrit brutalement, une armure noire entra, son heaume était différent de celui de Gaven. Il était large et aplatis, des motifs gravés dans le métal donnant un aspect très élégant au tout avec au sommet des pièces de métal ressemblant à la dentelle soudées grossièrement au casque. Le reste était parfaitement identique à tous les juges, des pièces de métal noir sur une tenue tout aussi noire, une cape longue et noire qui affichait fièrement en rouge la marque de l'empire Astéen...encore ce serpent. Erel afficha un air de dégoût en voyant ce juge qu'elle ne connaissait pas. Ce dernier s'approcha d'elle en ricanant.
— Oh, mais qui voilà! La prise de notre petit juge master! Je ne comprenais pas pourquoi il ne voulait pas partager sa proie mais en te voyant j'ai trouvé ma réponse !
— Il n'avait pas envie que je sois autant incompétente avec vous qu'avec lui, elle est là votre réponse. Cracha Erel avec aplomb
— Mais c'est qu'elle a de la répartie en plus. J'adore les femmes qui se débattent un peu.
— Donnez-moi une épée et on verra bien qui se débat le mieux.
— C'est qu'il mord le chaton.
Le juge poussa brutalement l'insolente qui lui tenait tête contre un mur, il plaça ses deux mains à côté de la tête de cette dernière, elle le fixait d'un air de défi, la tête haute.
— Je suis le juge Blasius et toi une simple servante, n'oublie pas ta place. Sous la coupe de Gaven ou pas, je trancherais ta jolie petite gorge si tu me parles de nouveau comme ça devant d'autres personnes. Est-ce que c'est clair? Le ton de Blasius était bien plus menaçant que ce qu'elle avait entendu jusque là.
— Je connais ma place. Vous me l'avez prise!
La main du juge entoura le cou de la jeune femme avec dextérité, Blasius commença à resserrer son étreinte autour de la gorge de la guerrière, cette dernière avait du mal à trouver l'air et essaya de repousser le juge. Angélique cria leur nom afin d'empêcher un malheur et alors qu'elle suppliait le juge d'arrêter, Gaven entra à son tour dans la pièce avec un autre juge.
Le juge master se précipita vers Blasius et le poussa violemment en arrière pour le faire lâcher.
— A quoi tu joues Blasius, cette femme est à moi. Tu n'as aucun droit de jugement sur elle sans m'en avoir fait part avant!
— Depuis quand je dois demander l'autorisation pour tuer une petite servante insolente!
— Depuis que celle-là a été mis sous ma responsabilité par l'Empereur lui-même !
Blasius lâcha un râle de colère et de dégoût derrière son heaume. Il tourna les talons et quitta la pièce aussi vite qu'il était venu. Erel, assise sur le sol et se tenait la gorge, reprenait son souffle et tentait de faire redescendre l'adrénaline qui avait envahi son organisme. Elle avait eu peur et en même temps elle était terriblement en colère. Gaven lui tendit la main pour l'aider à se relever, la servante observa quelques secondes celle-ci puis se redressa en ignorant totalement le juge master.
— Je vous prie de m'excuser j'ai du travail. Lança-t-elle difficilement, d'une voix enrouée.
— Oh...heu...merci monseigneur Juge d'avoir aidé ma coéquipière! On ne vous dérangera plus, veuillez vous installer ! S'enquit d'ajouter Angélique en s'inclinant poliment et respectueusement devant les deux juges.
Le second juge dont cette fois le heaume était arrondis et allongé avec deux petites protubérances sur les côtés, les motifs sur ce dernier étaient plus fin, arrondis et doux que sur celui de Blasius. Au sommet du casque, une tresse de fleur métallique était soudée élégamment pour former une sorte de couronne. Ce juge ne prit pas la peine de se présenter ni même d'adresser un mot aux jeunes femmes que le juge master avait aidé, il se contenta de les observer.
Angélique et Erel terminèrent leur tâche sans ajouter un mot puis quittèrent la pièce afin de laisser les serveurs apporter les plats à leurs convives. La servante enjouée attendit ce moment pour parler à son binôme.
— Alors c'est vrai, tu es du Daflad. Commença-t-elle maladroitement
— Qu'est-ce que ça peut bien te faire?
— Moi aussi! s'enjoua-t-elle
Erel se stoppa net. Elle se tourna vers son interlocutrice, une jeune fille rouquine, peau blanche recouverte de tache de rousseur, un regard franc et amical, des yeux verts tombants sur les extérieurs et une petite bouche fine et souriante. La guerrière n'avait pas pris le temps d'analyser la posture de sa camarade, elle n'avait posé aucune question et se désintéressait de toute manière à tout ce qui provenait de ce château. Elle n'avait jamais imaginé que quelqu'un pouvait se retrouver dans la même situation qu'elle.
— Tu es d'où ? S'enquit la guerrière d'un ton moins abrupte
— Je suis de la province de Qrita, un petit village du nom d'Amdapor. Tu connais?
— Non, je suis de Zhelès la capitale. Mais qu'est-ce que tu fais ici?
— Avant de prendre la forteresse de Qrita, les impériaux s'en sont pris aux villages alentour. Mon village est l'un des premiers à avoir été attaqué. Ils m'ont capturés et j'ai fini ici. Nous sommes nombreux, il y en a en cuisine, dans les laboratoires, dans les usines, à l'hôpital aussi.
— Et tu peux aller et venir comme bon te semble dans le château?
— Bah oui, sinon comment je ferais mon travail sinon! Termina-t-elle sur le ton de l'évidence.
Erel plongea quelques instants dans ses pensées mais elle ne put pas pousser sa réflexion jusqu'à son terme, son interlocutrice bavarde n'en avait pas terminé.
— C'est monseigneur Gaven qui nous a permis de travailler ici plutôt que d'aller en prison.
— Développe.
— Quand il y a des prisonniers de guerre ou des prises, comme monseigneur Blasius nous appelle, monseigneur Gaven nous laisse le choix entre servir ou être prisonnier. Je sais que tu n'es pas ravie d'être là, tu es une guerrière toi. Mais pour nous simple civil c'est une véritable chance car en prison...et bien il peut nous arriver pleins de choses.
Elle termina sa dernière phrase en baissant la tête et eut l'air d'une petite fille qui venait de se faire réprimander ou qui avait quelque chose à dissimuler. Erel n'eut pas besoin de dessin et savait à quoi elle faisait allusion. Gaven sauvait encore des vies à sa façon...mais combien en avait-il emporté en brandissant son épée contre les siens? La colère fit de nouveau rage et hurla de douleur dans la poitrine de la jeune femme faisant tordre son visage d'une grimace de dégoût. Jamais elle ne pardonnerait un acte aussi vil que la trahison.
Angélique poursuivit son discours, heureuse que son interlocutrice lui accorde enfin un peu d'intérêt elle n'allait pas s'arrêter en si bon chemin.
— C'est la première fois qu'un soldat de l'armée du Daflad est sauvé, tu connaissais monseigneur Gaven?
— Ca ne te regarde pas.
— Allez! On travaille ensemble, on est presque copine maintenant !
— Copine? Tu as cru que nous étions dans une école? Nous sommes en guerre Angélique, la mort est la seule chose qui nous attends.
La servante s'esclaffa, elle ne connaissait rien de la guerre mais sa binôme la faisait rire. Le château n'était pas un champ de bataille et encore l'Empire n'était pas le mal incarné. Elle avait passé le plus clair de son temps ici, elle ne savait pas comment c'était au Daflad en ce moment mais une chose est sur la guerre était bien lointaine.
Erel fronça les sourcils, elle se demande ce qui permettait à cette ingénue de rire sur un sujet aussi délicat.
— On n'est pas sur un champ de bataille ici. Tu peux te détendre, tu vas voir la plupart des Astéens sont gentils. Et au fait, tu peux m'appeler Angie, ici tout le monde m'appelle comme ça.
Erel n'eut pas envie de poursuivre cette conversation avec une fille aussi inconsciente. Gentil? Ils sont l'ennemis! Ils ne méritent aucune considération de sa part et elle doit leur tenir tête, comme pour prouver qu'elle soutenait pleinement son camp, son royaume et son désir de liberté. Le Daflad n'appartenait pas à Astéa et ce ne sera jamais le cas dans le cœur des Dafladiens.
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