C6.3 La Flamme du Guerrier

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Gaven avait quitté l’appartement depuis quelques minutes seulement, Erel avait eu le temps de reprendre ses esprits. Elle avait bu un café et se préparait à reprendre du service. Son rôle de soubrette était toujours d’actualité, étant donné qu’elle avait pris la décision de rester dans le château Astéen. Pour sa survie et celle de son ex-fiancé, elle ne devait pas faire de vagues ni chercher des histoires. Comme si de rien n’était, elle enfila d’une seule main sa robe de travail. Angélique vint la chercher; elle était bien sûr au courant du plan et avait couvert l’absence de sa coéquipière.

La guerrière ouvrit la porte à sa camarade et se présenta devant elle, blessée mais bien présente. Angie s’inquiéta dès qu’elle aperçut le bras en écharpe de son amie; elle lui saisit les épaules et posa trente questions en quelques secondes, les rendant donc incompréhensibles. La servante calma son amie, lui tapota le dessus de la tête en ricanant, puis lui raconta tous les évènements d’Aq’Terra, enfin presque tous. Elle cacha volontairement la conversation avec le comte Thasec ainsi que ses baisers avec le juge master. Ce n’est pas qu’elle ne faisait pas confiance à sa partenaire, mais elle ne voulait pas l’embêter avec de vieilles légendes qui n’étaient, aux yeux de la belligérante, qu’un moyen pour le comte de noyer Lysandre dans des informations sans importance.

Angélique saisit le bras disponible de sa camarade, posa sa joue contre son épaule et fit des yeux de chat à l’attention de la guerrière; une question lui brûlait les lèvres, et elle ne manqua pas de taquiner sa collègue.

— Alors….Gaven et toi, vous... commença la soubrette d’un air espiègle en faisant le signe de deux personnes qui s’embrassent avec ses doigts.

— Ça ne te regarde pas, la coupa Erel sèchement.

— Allez...je veux tout savoir ! S’indigna la rouquine.

— J’ai dit non, affirma la guerrière impassible.

— Ça veut dire que oui ! Je sais que oui, tu rougis !

Erel claqua sa langue entre ses dents en détournant la tête d'Angie, qui agissait comme une enfant à ses yeux. Et pourtant, la soubrette avait raison, Erel rougissait. Il n’en fallut pas plus pour que la servante aux cheveux de feu taquine la belligérante encore et encore, demandant toujours plus de détails, parfois très indiscrets. Le bonheur rayonnait sur le visage de la rouquine; elle semblait ravie pour son amie et lui demanda qu’elles étaient ses intentions quant à la rébellion et au capitaine Bahn. Cette fois, Erel répondit sans détour, honnêtement et sérieusement. Elle annonça avoir choisi de suivre Gaven et de ramener la paix en découvrant ce qu'il se tramait dans l'Empire Astéen. La guerre, elle la ferait, mais de l’intérieur, pas comme une espionne, mais bien comme une insurgée contre un régime politique autoritaire et tyrannique qui plongeait tout un monde dans le chaos.

Angélique sourit. Elle voyait que la femme face à elle avait pris un tournant dans sa vie. La dépression qu’elle traînait suite à la mort de son fiancé et sa résurrection inattendue étaient loin. Maintenant, elle savait où elle allait, et elle semblait déterminée à affronter la situation dans laquelle elle se trouvait plutôt qu’à la fuir. La rouquine se demanda si c’était cela que l’on appelait l’esprit du guerrier, la force qui animait les soldats au combat dans les situations les plus désespérées. La soubrette n’avait jamais connu ce genre de sentiment, de le voir animer sa camarade lui réchauffait le cœur et lui offrait à elle aussi un second souffle. Les choses allaient visiblement changer au château. Une force étrange était en action, et le vent du renouveau soufflait désormais en Astéa. Peut-être qu’Erel et Gaven seraient effectivement les individus qui mettront fin à ce conflit insensé.

— Oh ! J’ai oublié, je devais te dire que Gaven avait été envoyé à Port Khale avec Grace et Blasius pour retrouver l’ancien juge master, se souvint subitement Angélique.

— Quoi ?! Maintenant ? S’inquiéta Erel.

— Ils partiront aujourd’hui oui, mais ne t’en fais pas, ça ne devrait pas leur prendre longtemps. Port Khale n’est pas très loin de la capitale, et ils sont trois. Pour trouver un déserteur, ça devrait aller vite, la rassura la soubrette.

— Un déserteur tu dis ? Tu connais cet homme ? L’interrogea la guerrière.

— Odexat, il est responsable de la disparition de mon village. C’est lui qui a envahi la région d’Amdapor dans le Daflad. Il a utilisé un pouvoir étrange pour rayer de la carte mon village natal. Après cette bataille, il a déserté. Je ne sais évidemment pas pourquoi, et je ne veux pas le savoir. C’est un meurtrier, cracha Angélique en fronçant les sourcils et en serrant les dents.

Erel plissa les yeux, une chance pour la dafladienne de comprendre ce qu’il se passait dans l’Empire. Il fallait qu’elle rencontre cet homme, mais elle devrait attendre le retour de Gaven, si bien entendu ils arrivaient à le retrouver. En attendant, elle s’abstint de tout commentaire, et les deux soubrettes repartirent réaliser leur tâche quotidienne bras dessus, bras dessous.

Soudainement, une autre question traversa l’esprit de la guerrière.

— Comment se fait-il que tu sois déjà au courant ? Nous sommes rentrés il y a quelques heures, et Gaven n’a été convoqué qu’il y a peu par l’Empereur, s’étonna Erel.

— Parce que tu penses que l’Empereur a attendu de voir le juge master pour prendre la décision de l’envoyer en mission ? D’ailleurs, à ce que l’on dit, ce n’est pas l’Empereur qui a pris cette mesure, commença Angie, un doigt sur le menton.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— La santé de l’Empereur semble se détériorer. Tout le monde raconte que c’est Vaik qui gère le pays maintenant. Dans un sens, ce n’est pas plus mal, mais cela signifie aussi que c’est lui qui a pris la décision d’envoyer trois juges chercher un déserteur. Je trouve cela très extrême, reprit Angélique.

Erel garda son étonnement et ses soupçons pour elle. Elle se demanda si Lysandre était au courant et comment il prendrait la chose, lui qui était si admiratif et fidèle à son frère. Peut-être prendrait-il enfin la mesure du changement qui avait opéré chez son aîné. Ses ambitions grandissantes et, dans une certaine mesure, grandiloquentes n’étaient pas en accord avec la paix à laquelle ils aspiraient.

La rouquine tira le bras de sa camarade et l’entraîna à travers le château, dans les pièces dans lesquelles elles devaient agiter leur plumeau et leur chiffon pour faire briller décorations, ameublements et autres colifichets. La reprise d’un travail aussi peu gratifiant pour une ancienne guerrière n’avait rien d’attrayant, mais le fait d’être en binôme avec une dafladienne aussi joyeuse et enjouée rendait la tâche bien moins difficile. Erel avait appris à apprécier les excentricités de sa partenaire, les chansons qu’elle fredonnait sans cesse ou encore ces questions indiscrètes et invasives sur sa vie privée avec le juge master. Bien loin du champ de bataille, la vie semblait plus simple et agréable.

Ainsi, les servantes allaient et venaient d’aile en aile afin de préparer des salles pour des réceptions, ranger des bureaux et faire briller les longs couloirs sombres de la demeure des Draxak. Comme à l’accoutumé, les soubrettes terminèrent leur tâche dans le labyrinthus, les cercueils – de plus en plus nombreux – nécessitaient un nettoyage quotidien afin que la zone soit toujours le plus propre possible. Erel et Angélique passèrent une fois de plus la porte de la chapelle abandonnée, encore et toujours cette odeur d’humidité et de mousse, le son des gouttes d’eau s’infiltrant dans la roche, puis au bout de l’escalier, la même lueur azurée qui s’échappait des boîtes métalliques.

Les cercueils se dressaient tels des chapitres clos, des pages arrachées à l'immense livre du destin. Chacun d'entre eux, une reliure sculptée dans la froideur du métal luisant, renfermait des récits muets, des échos d'histoires dont les pages ne se tourneraient plus.

Ces cercueils berçaient le mystère du laboratoire, de ce qu’ils dissimulaient. Chaque boîte, un berceau où les secrets reposaient en embryons, enveloppés dans les ténèbres maternelles de l'éternité.

Les cercueils, des éprouvettes où l'essence de l'âme se mêlait à la substance de l'existence. Les êtres difformes qu’ils contiennent s’agitaient, luttant contre un destin pourtant infâme. Le mystère comme seul linceul, ces êtres ne laisseront aucune empreinte, n’auront aucune expérience à partager et seront effacés dans le néant.

Erel retroussa le nez et plissa les yeux de dégoût. Elle connaissait ce lieu, mais elle ne s’y était jamais habituée. Il y avait quelque chose de macabre, voire malsain dans l’air de cette immense pièce dans laquelle trônaient des enclos mortuaires fermement scellés. Angie pressa sa camarade, elle n’aimait pas rester dans les parages non plus.

Les berceaux du Labyrinthus constituaient toujours un mystère et attisaient sournoisement la curiosité de la guerrière Dafladienne. Comme à son habitude, et malgré les interdictions, la Vaillante ne put s’empêcher d’observer leur contenu. Une sorte d’attirance macabre et funeste. Dans la lueur bleutée du cercueil, Erel aperçut une fois de plus les fœtus informes gigotant monstrueusement dans le liquide azuré. Le regard fixé sur l’abomination, la belligérante eut un haut-le-cœur alors qu’elle remarqua la déchirure dorsale de la bête, un morceau de cristal semblait lui fendre l’arête dorsale. Peut-être était-ce pour ça que les fœtus se dandinaient, cherchaient-ils à faire sortir cette chose de leur corps, pensa la Dafladienne.

— Ne vous a-t-on jamais enseigné que la curiosité était un vilain défaut mademoiselle? S’exclama une voix forte de ténor qui résonna dans toute la pièce.

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