C7.1 Traque
Le soleil rayonnait à son zénith, l’embrun caressa les narines du juge master alors qu'il posait à peine le pied dans l’aérogare de Port Khale. Les oiseaux poussaient des cris rauques et éraillés en étendant leurs grandes ailes blanches avant de s’envoler, le marché devait battre son plein en cette heure car, en tendant l’oreille, le magistrat entendait le brouhaha de la foule, sentait les odeurs de viandes frit et de poisson frais.
Il était midi passé à Port Khale. Les juges Grace, Blasius et Gaven étaient en mission pour ramener à Astéa un déserteur, l’ancien juge master Odexat. Seul Blasius avait connu cet homme, Grace et Gaven étant arrivés après sa démission, enfin fuite, pour être plus exact.
C’est donc le nouveau juge master qui lança la traque. Il avait hâte de se débarrasser de cette mission pour pouvoir rentrer rapidement. Il souhaitait avoir une discussion avec Erel. Pas n’importe laquelle, il voulait s’assurer que leur avenir était de nouveau commun et renouveler ses vœux de fiançailles avec elle. Il avait même pensé à lui acheter une bague à Port Khale avant de partir. Dans son esprit, il était clair que leur vie était liée. Le hasard faisait bien les choses et il comptait profiter de celle-ci pour vivre heureux avec la personne qu’il aimait depuis toujours. Mais d’abord, la mission.
Gaven s’élança dans les rues les plus commerçantes du port. Il ne prit pas le temps, ni la peine, de recueillir les avis de ses collègues. Les représentants de la loi Astéennes questionnèrent les artisans et revendeurs du marché, les habitants évitèrent le passage des juges, les toisaient avec crainte et chuchotaient dans leur dos. Aucun habitant d’Idalyce n’appréciait les juges de l’Empire Astéen, ils étaient craints de tous et leur présence en un lieu n’était jamais de bonne augure. Leur présence serait sans doute très rapidement révélée à l’homme qu’ils traquaient. Avec un peu de chance, cela soulèverait des foules et permettrait de le débusquer rapidement. Du moins, c’était le plan de Gaven.
Blasius, qui connaissait Odexat, savait que cela ne serait pas suffisant. Il grogna plusieurs fois contre les ordres du juge master mais se plia aux injonctions de son supérieur, grommelant durant tout le début de l’enquête. Grace était fidèle à son camarade et superviseur, elle suivit les instructions sans même se poser de question, les plans de Gaven étaient toujours efficaces bien que parfois peu conventionnels.
Les juges errèrent dans le marché pendant de bonnes heures, interrogeant tous les exposants pour n’obtenir que très peu d’informations. Mais, le plan se déroulait comme prévu, la population du port allait rapidement répandre la rumeur de la présence des juges et qui plus est, qu’ils cherchaient une personne du nom d’Odexat. Cela suffirait peut-être à faire sortir le renard de son trou.
Ils n’eurent pas à attendre bien longtemps pour constater un premier soulèvement. Un marchand avait rapidement plié boutique et s’apprêtait à quitter la grande place, les juges n’avaient qu’à le cueillir sans même avoir à se battre. L’homme en question avait un certain âge et ne ressemblait pas à la description d’Odexat, il ne devait être qu’un petit malfrat sans envergure, mais c’était une première piste. Gaven n’allait pas se priver de cette occasion. Alors que le brigand pensait être sauf en tournant dans une rue isolée, Blasius l’attendait à l’autre bout et Grace lui coupa toute possibilité de retraite en se plaçant dans la direction opposée. Le juge master fit pression sur le faux marchand en brandissant son épée qu’il tenait à deux mains tellement elle était massive. Le pauvre malfrat en perdit tous ses moyens et jeta au sol le peu de marchandise qu’il avait dans sa besace en toile de jute. Il leva les mains en l’air et clama son innocence. Blasius saisit le pauvre homme par les cheveux et le jeta au sol avant de consulter le contenu du sac : des babioles d’un autre temps et quelques parchemins en papier vélin qui sentaient la pourriture.
— Il n’y a rien d’intéressant ici, ce pauvre type n’est qu’un contrebandier. Et vu le butin, un très mauvais, râla Blasius d’un ton nonchalant
— Peut-être a-t-il des informations sur notre cible? Et toi! Tu travailles avec qui? Interrogea Grace en se tournant vers le malheureux
Le contrebandier avait la tête sur les dalles oranges qui pavaient le sol de la ruelle, il pleurait et marmonnait qu’il était innocent. Plus effrayé que réellement blessé, l’homme se redressa, et tremblant de tous ses membres, il répondit aux questions des juges, sans doute avec honnêteté. Le malfrat travaillait avec un nouveau venu dans la profession de chasseur de trésor, enfin pirate pour les juges, une personne d’aucune réputation digne d’intéresser les magistrats. Blasius le menaça et reprit l’interrogatoire en lui parlant directement d’Odexat. Le malheureux, recroquevillé dans un coin et se protégeant le visage pour se prémunir des gestes menaçants de son interlocuteur, répondit d’une voix tremblante.
— Je ne le connais pas ! Mais je... je connais quelqu’un qui pourra vous aider. Il faut que vous alliez dans un entrepôt désaffecté sur le port, c’est le bureau de la guilde des contrebandiers, ils sauront vous dire où trouver votre gars. Pitié, laissez-moi partir, je n’ai rien fait, raconta le malfrat en suppliant ses interlocuteurs de l’épargner.
Blasius cracha des insultes au visage du pauvre homme, trop aux yeux du juge master qui lui ordonna de le laisser. Ils avaient une piste et c’est tout ce qui comptait. Le contrebandier put repartir avec ses babioles de peu de valeur, et les juges reprirent leur route vers le hangar désaffecté en question.
La guilde des contrebandiers était un gros poisson. C’est une organisation qui n’avait jamais eu à souffrir de la force de l’Empire et, en contrepartie, l’Empire ne souffrait pas de leurs activités. Se mêler des affaires de cette guilde pourrait être un pari dangereux et devenir un incident diplomatique. Heureusement, Gaven était bien plus conciliant que son collègue Blasius qui n’avait qu’une idée, entrer en force.
Le juge master imposa une manœuvre d’approche plus douce et s’invita dans le local de la guilde en toute amitié. Les contrebandiers et personnes d’affaires qui avaient investi les lieux n’étaient pas ravis de voir débarquer des impériaux, mais tant qu’ils ne fouillaient pas dans leurs affaires, ils s’abstinrent de tout commentaire.
Le local se trouvait là où le malfrat l’avait indiqué. Un vieux dépôt à l’abandon, de l’extérieur, il semblait vétuste et prêt à s’effondrer. Une fois à l’intérieur, le contraste frappa les juges. De grandes tentures colorées de tout Idalyce habillaient les murs métalliques du dépôt, les fenêtres étaient couvertes de voiles en tulle blanc, le sol masqué de tapis de toutes origines, et des étals en bois exposaient des reliques scintillantes. La lumière naturelle était suffisante pour voir que tous les objets de ce lieu étaient extrêmement rares et coûteux, sans doute volés.
Gaven s’avança dans le local et se présenta à celui qui lui semblait être le chef des lieux. Un homme grand et fin, longiligne, vêtu d’un costume noir et portant un masque blanc côté gauche et noir côté droit.
— Bonjour, je suis Gaven Caelistis, Juge master de l’Empire d’Astéa. Voici mes collègues les juges Grace et Blasius. Nous sommes ici à la recherche d’informations sur un de nos déserteurs du nom d’Odexat, commença respectueusement le magistrat.
— Je sais parfaitement qui vous êtes, votre honneur. Je suis Contrario, la personne en charge de ce local. Je serais ravi de vous aider, mais, vous savez que toute information est payante, de quoi vivrions-nous autrement ? se présenta l’homme masqué sur un ton malicieux.
— Que voulez-vous ? répondit le juge master promptement.
— Et si l’on vous offrait la vie sauve, par exemple, c’est un bon deal ça non ? cracha Blasius derrière son heaume.
— Ma vie n’a aucune valeur pour mon patron, l’argent en revanche, partons sur 10, proposa Contrario d’un ton parfaitement calme.
— Dix quoi ? s’étonna Grace.
— Dix mille magyrs, précisa le gérant sur le ton de l’évidence.
— C’est du vol ! s’exclama Blasius.
— Ça suffit ! imposa Gaven, irrité par la situation.
Dix mille magyrs représentaient une grosse somme. Peut-être était-ce du vol en effet, mais avaient-ils réellement le choix ? Le juge master soupira et accepta l’offre de l’homme masqué, il saisit sa bourse accrochée solidement sous les épaisses plaques de métal, puis en consulta l’intérieur. Cinq cents magyrs... c’est tout ce qu’il avait sur lui. Grace imita son supérieur et ajouta cinq mille magyrs de la sienne. Blasius râla, protesta, mais finit par accepter d’ouvrir son porte-monnaie. Les yeux des deux autres juges s’écarquillèrent lorsqu’ils contemplèrent la somme que leur collègue leur mit sous le nez. Trente mille magyrs ! Estomaqués, ils se demandèrent comment il pouvait se balader avec autant d’argent dans les poches sans en être inquiété. Cela représentait la moitié du salaire d’un juge, environ.
En tout cas, ils avaient de quoi payer l’homme masqué avec cela. Gaven s’engagea à le rembourser une fois de retour à la capitale impériale. Il préleva dix mille magyrs en pièces et en billets de la bourse de Blasius et les tendit à son interlocuteur.
Contrario s’inclina poliment une fois l’argent dans ses poches, il remercia les juges, puis leur indiqua où trouver le déserteur. Odexat aurait une planque dans la rue descente vers la plage nord du port Khale, de l’autre côté de la ville donc. Cependant, c’était un bon indice. Cela ne voulait pas dire qu’il y était encore, et avec la rumeur de la venue des juges, peut-être aurait-il fui cet endroit, mais il fallait qu’ils aillent y jeter un coup d’œil. Le trio de magistrats quitta le local sans histoire pour la planque d’Odexat. Les contrebandiers changeraient très certainement de place de rassemblement avant même qu’ils n’aient eu le temps de se retourner, mais de toute manière, ils n’étaient pas leur cible ce jour-là. Ainsi, les affaires de ces malfrats ne les intéressaient en rien.
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