C7.3 Plan

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Les juges avaient remonté la piste du déserteur grâce aux informations achetées à un certain Contrario, membre de la guilde des contrebandiers. Cette transaction, quelque peu discutable, les avait guidés vers un vieux bâtiment dans une ruelle sordide du port. La rue était étroite, les pierres étaient grises et salies par l’air marin. Contrairement au reste de la ville, il n’y avait pas un bruit, pas d'être vivant aux alentours. Les magistrats étaient parfaitement isolés, mis à l’écart du cœur de la cité, et pour cette raison, Blasius grogna et déclara que c’était forcément un piège. Grace ne put donner tort à son collègue, et le Juge master décida qu’il fallait se préparer au combat. Dégainant chacun leur grosse épée, les hommes de loi pénétrèrent dans la bâtisse à la devanture abîmée. À peine eurent-ils passé le pas de la porte qu’ils tombèrent dans un trou profond de plusieurs mètres caché par un tapis. Les juges s’écrasèrent au sol en faisant un bruit de boîte de conserve, empilés les uns sur les autres, clairement à l’étroit dans le trou. Blasius se mit à pousser des jurons infâmes contre Odexat, le juge master, Grace, et le monde entier. Il maudissait l’incompétence de son supérieur. Gaven ne rechigna pas, car il se sentait en effet très bête. Un piège tel que celui-ci, aussi basique, les avait attrapés alors qu’ils étaient férocement armés et prêts à en découdre avec un ennemi qui n’avait plus qu’à venir les cueillir dorénavant.

Le juge Blasius finit par se calmer après de longues minutes à insulter la terre entière. C’est alors que des têtes émergèrent du bord du précipice dans lequel ils étaient tombés, uniquement des personnes masquées dont l’aspect ressemblait étrangement à celui de Contrario.

“Maudit contrebandier” vociféra Blasius entre ses dents grinçantes. Gaven soupira, lui qui pensait rentrer rapidement, il semblerait que le destin en ait voulu autrement. Les personnes masquées s’agitèrent, dans la profondeur du trou, les juges entendirent des bruits de pas, puis des portes qui s’ouvraient et se fermaient entremêlés de chuchotements inaudibles. Ces pantins ne savaient pas quoi faire des représentants de la loi Astéenne. Grace pensa un moment qu’ils n’étaient peut-être pas les personnes qu’ils attendaient, mais cela signifiait également qu’ils allaient probablement mourir. Peut-être que Blasius en était arrivé à la même conclusion et que c’était pour cela qu’il avait commencé à essayer d’escalader la façade argileuse de leur tombe.

Un dernier visage noir et blanc se pencha au-dessus du piège. Ce dernier n'avait rien de particulier, si ce n’est qu’il marmonnait une incantation que seul le juge Blasius put comprendre. Une vague de lumière s’écrasa sur leurs paupières, traversant leurs heaumes d’acier. Les juges sentirent un énorme poids s’abattre sur leurs épaules, leur tête tourner, leurs paupières devinrent lourdes, et enfin, ils s’endormirent. L’incantation du sommeil.

— Seigneur Lysandre, attendez! Vous ne pouvez...s’écria un servant à l’autre bout du couloir

Lysandre Draxak d’Astéa portait un costume en velours noir, les boutonnières en argent portant les armoiries de la famille impériale, une chemise rouge en dessous de sa veste et une cravate noire. Une tenue qui ne correspondait pas au goût excentrique du jeune homme. Lui qui portait d’habitude toujours une couleur flashy ou exubérante se trouvait en noir. Il pénétra brusquement dans la salle de repos où se trouvaient Erel et Angélique, la porte en bois heurta violemment le mur faisant sursauter les jeunes femmes. Le cadet de la famille impériale avait le regard sévère, les lèvres pincées et les poings serrés alors qu’il s’avançait vers elles. Erel n’arriva pas à décrypter le geste et l'allure du jeune homme, elle avait voyagé avec lui mais le connaissait assez peu. Pourtant, il semblait être quelqu’un de confiance, sa candeur était peut-être sa plus grande faiblesse pour l’instant, mais il s’endurcirait avec le temps, la guerrière en était sûre.

— Il se passe quelque chose d’étrange dans le château, il faut que vous partiez, commença le seigneur Astéen sans prendre la peine de saluer qui que ce soit.

— Et bien, c’est ce que je m’apprêtais à faire, dévoila Erel d’un ton nonchalant.

— Comment ? Vous êtes déjà au courant ? S’étonna Lysandre.

— De quoi parlez-vous ? Balbutia la guerrière.

Lysandre et Erel se fixèrent un moment d’un air confus, l’un ne comprenant pas où l’autre souhaitait en venir. Angélique brisa la glace et s’enquit de révéler tout son plan au seigneur Astéen.

— Seigneur Lysandre, Erel est la cible du scientifique du Labyrinthus. Elle doit partir, sinon il la prendra comme cobaye et la tuera. Donc nous planifions son évasion.

Le jeune seigneur baissa la tête et se frotta le menton de sa main gantée. Dans sa tête, les pièces étaient en train de s’assembler, et il comprenait de mieux en mieux les tenants et aboutissants de la guerre, mais il ne pouvait les partager avec ses interlocutrices. Enfin, un début de réponse se dessinait sous ses yeux. Mais cela impliquait que Gaven et Erel étaient en danger. Le Draxak se racla la gorge avec élégance et reprit la main sur la conversation.

— Parfait, je suis désolé que vous soyez obligée de quitter une fois de plus votre fiancé, mais il est urgent de vous envoyer à Aq’Terra. De ce fait, je vous propose mon aide, lança le jeune homme.

— Seigneur Lysandre, c’est trop dangereux pour vous aussi. Si votre frère apprend que vous aidez une prisonnière à s’échapper, cela pourrait vous valoir une punition sévère, s’inquiéta Angélique.

— Ne vous inquiétez pas pour moi, il est évident que je n’agirai pas directement et que je me débrouillerai pour que l’on ne puisse pas remonter jusqu’à moi, se vanta-t-il avec un sourire en coin.

Erel plissa les yeux et observa avec attention le seigneur Astéen. Il semblait résolu à l’aider alors qu’elle ne pensait pas pouvoir lui faire réellement confiance. Avait-elle le choix? Peut-être pas, mais elle sentait qu’il y avait autre chose. Une intuition qui ne la quitta pas, il avait commencé par lui dire qu’elle devait partir alors que visiblement il n’était pas au courant des ambitions de Cidolfus. Est-ce que cela signifiait qu’il y avait une autre menace pour elle dans le château? Erel allait reprendre la conversation pour l’orienter sur cette interrogation, mais le Draxak ne lui en laissa pas le temps.

— Il y a plusieurs options qui se présentent à nous. Peut-être aviez-vous déjà un début d’idée? reprit Lysandre.

— Eh bien, les servants et la rébellion peuvent peut-être nous trouver un passeur. De cette manière, Erel quittera le château durant la nuit, sagement cachée dans un conteneur et hop, direction Aq’Terra, argumenta la rouquine.

— Oui, c’est comme ça que nous y sommes allés également. Cependant, si Cidolfus en a après vous, il se pourrait qu’il ait anticipé votre départ par cette voie, réfléchit le jeune homme à voix haute.

— Que suggérez-vous? s’enquit Angélique, les yeux admiratifs face à son interlocuteur.

Le seigneur Lysandre était un garçon malin avec un bon esprit de déduction. Cependant, il ne fallait pas sous-estimer l’adversaire. C’est pour cette raison que le jeune homme chercha une solution alternative, quelque chose d’inédit qui surprendrait l’adversaire et, par chance, le déstabiliserait.

Angélique était de bonne volonté et proposait des plans absolument loufoques à son interlocuteur. Les deux jeunes gens parlaient entre eux, et Erel les observait de loin. Elle se hâta de compléter sa lettre pour Gaven sans vraiment écouter leur conversation. Que pouvait-elle bien lui dire? Une feuille, ce n’était pas suffisant pour exprimer tout ce qu’elle ressentait à ce moment-là, mais elle n'avait pas le temps.

— J’adore cette idée ! s'exclama Lysandre en se redressant subitement de sa chaise.

Le seigneur fit quelques pas de gauche à droite en se frottant le menton, puis arbora un sourire qui lui trancha le visage en deux. Erel l’avait déjà vu, cette satisfaction enfantine qui leur avait valu de trouver les mages au Red Roots et enfin le comte Thasec. Cela annonçait probablement les ennuis. Elle soupira et laissa le Draxak poursuivre la démonstration de son plan.

— Il y a deux choses que Cidolfus et l’Empereur ne peuvent pas avoir anticipées. La première est une sortie par la porte du château, tout simplement car cela serait du suicide. La seconde étant votre alliance avec les domestiques. Ce château date de plus de 200 ans, de ce fait, il doit bien y avoir des endroits où l’on trouvera des passages secrets ou encore des zones peu surveillées. Je n’ai pas accès aux informations concernant les tours de garde, leur emplacement, mais les domestiques ont dû les relever. Ils sont au courant de tout ce qui se passe dans le château, s’enthousiasma Lysandre.

— Mais bien sûr ! Renchérit Angélique, en tant que domestique, j’ai travaillé dans l’aile est, c’est la zone la moins surveillée du château et je sais qu’un passage mène à l’extérieur des murs du château.

— C’est parfait ! Une fois dehors, Erel pourra se faufiler jusqu’à l’aérogare en ville pour aller à Aq’Terra, ajouta le garçon.

— On se calme, les enfants, les coupa Erel d’un ton sarcastique. Il y a deux problèmes. On ne sait pas où est ce passage exactement et je n’ai pas de papier, aucun moyen de prendre discrètement un vaisseau de transport jusqu’à Aq’Terra. Qui plus est, si nos adversaires sont malins, ils auront renforcé la surveillance de tous les véhicules en provenance ou en partance pour les îles flottantes.

Lysandre perdit son charmant sourire et poussa sa réflexion ; il y avait forcément un moyen de pallier à ces difficultés. Angélique fit la moue et s’affala sur la table, posant sa tête sur ses bras en soupirant d’exaspération. Erel reprit l’écriture de sa lettre, bientôt terminée.

La rouquine se remit à énumérer un grand nombre de solutions, s’enthousiasma et parfois râla alors que Lysandre semblait l’ignorer. Le seigneur Astéen se souvint de sa conversation avec le Comte, des cristaux... un chargement, les registres devaient forcément donner les numéros d’identification de ces derniers ? Une nouvelle idée émergea.

— Erel, savez-vous piloter un vaisseau ? questionna le seigneur.

— Non, trancha-t-elle sans lever les yeux de sa lettre.

— Co-piloter ?

— Je peux me débrouiller.

Angie se redressa et observa Lysandre, les deux jeunes gens s’adressèrent un sourire complice.

— Je vois où vous souhaitez en venir. Il nous faut un pilote rebelle et un vaisseau. Vous vous chargez du reste ? s’enjoua la rouquine.

— Madame, vous supposez bien. Je pense pouvoir vous attribuer un numéro d’identification et un strapontin de décollage adéquat pour faire passer votre cargaison comme si vous aviez livré des cristaux de magus.

— Je ne comprends pas, tous les convois sont scrupuleusement fouillés, puis nous n’aurions rien dans le vaisseau si on est des livreurs, c’est trop suspect, constata Erel.

— Eh bien, en temps normal, vous auriez parfaitement raison. Mais rappelez-vous, les convois de cristaux de magus demandés par mon frère sont normalement confidentiels. De ce fait, un minimum de personnes doit être au courant. Un code d’identification correspondant à ce genre de convoi pourrait vous faire passer incognito. J’imagine que les identités des pilotes et co-pilotes ne peuvent pas être enregistrées, ça nous ferait un plan parfait, corrigea Lysandre.

Erel avait entendu l’enthousiasme et l’impatience qui sortaient de la voix de son interlocuteur. Elle savait que c’était un bon plan, les informations qu’ils avaient obtenues par le Comte Thasec étaient finalement plus utiles qu’elle ne l’avait pensé au départ. La guerrière hocha simplement la tête pour donner son approbation, Angélique se leva aussitôt en quête d’un pilote, Lysandre allait fouiller les registres et Erel était chargée de se cacher, de se faire petite afin que Vaik ou Cidolfus n'aient pas l’occasion de l’attraper.

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