C13.4 Nouvel Ordre

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Sans attendre la réponse du jeune Draxak, tous les fantômes hochèrent la tête. Hadès leva la séance, Hestia quitta le cercle pour se plonger dans la reconstruction de leur cité en laissant ses comparses s’occuper des humains.

Ils furent relâchés des divers sorts qui les entravaient puis Erèbe souffla sur eux un vent poussiéreux étrange. Ils tombèrent dans un profond sommeil, un sommeil stasique. Celui qui était dépourvu de rêve. Le rythme cardiaque presque inexistant, le corps était comme mis en pause, ce qui lui offrit l’opportunité de soigner les blessés. L’hémorragie de Bahn et Vaik se stoppa nette, les plaies cicatrisaient à une vitesse bien plus rapide qu’en temps normal. Cependant, le bras de Bahn ne repoussa pas. Le Vexen, bien que puissant, pouvait accélérer les effets du temps sur les blessures mais en aucun cas il ne pouvait rendre un membre perdu.

Une fois sa besogne terminée, Erèbe bailla et quitta la pièce. Thémis prit le relais alors qu’à ses côtés, le rouet de Clotho grinçait et tournoyait à toute vitesse.

Sur le dessus de la main de chaque protagoniste se dessina un sceau bleuté. Un cercle parfait dans lequel se trouvait un symbole, celui des criminels et des repentants. Le sceau de kríma était un “œil” pour le Vexen responsable de l’Harmonia. Grâce à lui, il pourrait suivre et surveiller ces êtres humains à n’importe quel moment. Chacun de leurs mouvements serait épié et rapporté à Hadès.

Après que la marque fut posée, Clotho prit la place de Thémis. Ses quatre bras bougeaient très vite, ils s’attelaient à tisser des fils dorés qui se fixèrent sur l’âme des êtres humains. Sur chaque fil, une partie du destin de son destinataire se dessinait. Il était impossible de voir ce minuscule détail à l’œil nu. La Vexen féminine traçait elle-même des éléments de présent et de futur sur ces liens, la grâce taillée dans son visage de marbre donnait à sa tâche une dimension tragique alors que son objectif était d’améliorer la vie de chacun.

Les lacets dorés s’allongeaient de plus en plus et lorsque leur fonction fut complète alors ils s’évaporèrent, laissant flotter durant quelques instants des volutes dorées dans l’air. Seule Clotho pouvait les voir, la gardienne du destin de l’humanité. D’un claquement de doigt, le Destin entrava l’âme de chaque être humain et s’entoura fermement autour de la substance du vivant. La Vexen ne pouvait pas forcer l’humanité à faire des choses, modifier leur personnalité ou encore prédire la mort. Elle n’avait pas non plus le droit d’interférer avec le destin du monde qui était indépendant de celui des êtres humains. Son rôle consistait avant tout à offrir des objectifs, gérer les naissances, répartir les rôles des individus et les faire évoluer en leur proposant plus ou moins d’obstacles à affronter.

— Voilà mes protégés, vous serez en paix désormais, souffla la Vexen à elle-même.

Thémis, qui attendait impatiemment que sa collègue ait terminé, s’avança et l’écarta des humains, lui ordonnant au passage de se mettre au travail. Tous les éléments étaient en place, chaque être humain avait un rôle bien attribués. En suivant les recommandations de Clotho, l’être éthéré incanta un sort de transport qui enverrait chaque individu à l’endroit où il devait être.

La Vexen féminine jeta un regard furtif à ces héros, ceux qui lui ont permis de retrouver une existence, et bénit leur nouvelle vie. Elle avait essayé de satisfaire tout le monde et avait hâte d’observer leur évolution.

Le corps des humains se souleva du sol puis ils furent projetés à grande vitesse à travers du cristal mère. Haut dans le ciel d’Idalyce, l’humanité observa cette soirée-là le passage de huit étoiles filantes se dirigeant dans des directions similaires ou opposées.

Thémis soupira, une longue expiration qui en disait long sur son état d’esprit. Hadès, qui était resté silencieux, tourna son imposante silhouette vers l’épée du cristal.

— Comment ont-ils eu ça? Ton plan aurait pu échouer s'ils l'avaient su utiliser, râla Thémis.

— Il est sorti de l’épreuve de la reine Ainhoa et du capitaine Bahn. Je ne comprends pas comment elle a pu atterrir là. Ce qui est sûr, c’est que nous devons la cacher, répliqua froidement Hadès sans s’offusquer du ton avec lequel son pair s’adressa à lui.

Les deux Vexens étaient tournés vers ledit objet. La pierre de l’aube trônait au cœur de l’épée, elle scintillait et semblait animée d’une force qu’Hadès ne connaissait pas. Un mauvais présage pour son espèce divine et une arme dévastatrice pour leur puissance. Les êtres éthérés n’étaient pas en capacité de la détruire et il craignait que cela ne perturbe le cristal lumière lui-même. La seule solution était donc de la planquer en lieu sûr. Hadès chargea Hestia de construire une salle spéciale pour cacher cet objet à tout jamais dans la cité d’argent. Personne, à part eux, ne pouvait savoir où le trouver.

Alors que les tâches les plus urgentes semblaient terminées, Clotho évoqua un autre problème, celui de l’absence d’Elpis, le gardien des légendes humaines.

Chaque Vexen avait un rôle à jouer et aucun autre représentant de cette espèce ne pouvait endosser les obligations d’un collègue. C’était la loi de l’Harmonia que ne manqua pas d’invoquer Thémis pour rappeler à l'ordre ses pairs.

Le gardien des légendes n’était pas indispensable pour l’heure mais très rapidement, lorsqu’ils auront relancé leur contrôle et offert à l’humanité de nouveaux dieux, la nécessité de trouver un remplaçant pour ce rôle serait primordiale. Les contes et légendes offraient une couverture et un contrôle non négligeable au peuple Dieu.

— Qui est le Vexen qui se rapproche le plus de ce rôle? Demanda Hadès.

— Qu’as-tu en tête? Lâcha Thémis d’un ton suspicieux.

— Je crois qu’il y a un gardien de l’art, comment c’était déjà? Ajouta Hestia en occultant la question de son collègue.

— Orphée, souffla Clotho timidement.

— On pourrait lui ajouter la garde des légendes, après tout, l'art et les légendes sont indissociables, suggéra Hadès avec appréhension.

— Et ignorer les règles? Hadès, tu es devenu fou ou côtoyer les humains t’a fait perdre la tête? Nous ne pouvons pas faire cela, si tu poursuis dans cette voie tu seras puni par l’Ordre. Tu le sais, alors pourquoi insister? S’indigna Thémis.

— Je le sais, j’accepte ma sentence. Elpis ne peut pas reprendre sa fonction, il pourrait nous trahir une deuxième fois et le résultat pourrait être catastrophique. Je refuse que notre espèce disparaisse de la sorte ! Nous sommes des êtres divins appelés par la planète, nous devons faire ce pour quoi nous sommes faits, même si parfois cela implique de transgresser nos propres règles. J’en assumerai les conséquences, argumenta Hadès avec conviction dans la voix.

Thémis n’a pas insisté, il savait que le roi des Vexens ne changerait pas d’avis. Pour chaque transgression, il y a une peine équivalente. Le gardien de l’Harmonia le savait mieux que quiconque, pourtant il n’était pas là pour empêcher les crimes d’avoir lieu mais bien pour punir ces derniers. Hestia et Erèbe n’intervinrent pas dans l’échange musclé entre les deux gardiens, ils connaissaient le caractère implacable et déterminé de leur pair. Clotho faisait aller ses fils d’or et n’avait pas réellement d’intérêt à participer à un combat qu’elle se moquait de gagner ou de perdre.

— Je vais invoquer Orphée et lui offrir la fonction de gardien de l’art, des contes et légendes de l’humanité, trancha Hadès.

Chaque être éthéré quitta la plateforme cristalline sauf Thémis et prit possession de leur quartier qu’Hestia construisait au fur et à mesure. Les parois du cristal s’agençaient alors qu’il dessinait dans l’air l’index tendu sur un plan que personne ne voyait à part lui. Les murs se tordaient, pivotaient, tantôt reculaient ou avançaient, un peu à la manière d’un professionnel qui fait aller son Rubik’s Cube pour le terminer le plus rapidement possible.

Hadès se tenait devant le portail-vie, chantant son ode funèbre dans l’objectif de faire renaître un de ses pairs. Le liquide métallique à l’intérieur du portail s’agita, se tordit et cracha un cocon identique à celui des autres Vexens. Le chant se poursuivit, la résurrection achevait, un nouvel être divin allait rejoindre leur petit groupe.

L’abri cristallin commença à s’incurver puis à se déformer, laissant apparaître une main suivie d’une épaule. La face du cocon se déchira avant qu’Hadès n’eût le temps de finir son incantation. Un être en sortit, fait de chair, de sang et d’os. Une peau rosée parfaite, un corps nu et musculeux. Un grand homme de deux mètres au moins, dont le haut de la voûte crânienne était couvert de bouclettes blondes. Son visage anguleux et expressif était couvert de taches de rousseur au niveau du nez. Le roi des divinités ne put s’empêcher de laisser échapper un râle de dégoût. Un Vexen humain.

Thémis avait anticipé qu’une punition viendrait. Il fut aussi choqué par l’apparition de cet être humain mais les règles de l’Harmonia étaient claires. Une fonction, un Vexen. Ni plus ni moins.

De colère, Hadès fit apparaître au-dessus de la pauvre créature endormie des dizaines de lames lumineuses, il se sentit le devoir d’anéantir cette aberration, cette honte qu’il ne put assumer. Thémis l’interrompit de sa voix tremblante, celle d’une personne qui a vécu plus de cent ans. Un crime, un châtiment. La honte serait la peine d’Hadès, en tant que gardien de l’Harmonia, l’être divin allait s’assurer que son camarade paierait son erreur.

Orphée, l’homme parmi les Vexens, dormait d’un sommeil profond. Il n’avait pas conscience de ce qui l’entourait, de sa fonction ou encore de ses pouvoirs. Le gardien des légendes allait être caché par Thémis du regard vengeur d’Hadès. Une neuvième étoile filante traça un chemin lumineux dans le ciel d’Idalyce ce jour-là. Toute la population du monde vit cet astre s’échouer vers l’ouest, plus brillante que les autres, elle était synonyme d’espoir pour ce jour où l’apocalypse avait frappé l’humanité.

Le Cristal lumière avait modifié le paysage de tout un royaume, la magie n’existait plus et le monde allait connaître un nouvel ordre, de nouvelles règles. L’Harmonia. Légende ou précepte, depuis longtemps oubliée, la loi de l’univers reprenait ses droits sur la planète qui hébergeait la vie, Idalyce. Les Vexens étaient l’instrument de ce grand principe. Appelez-le la Nature, le Destin ou la Volonté divine, peu importe. Le monde changeait, l’illusion se dissipait. Le vrai combat avait commencé après ce jour.

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