Neige et reggae

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Jeudi 2 juin

Kingston, Jamaïque


Le vol American Airlines en provenance de Miami se posa sans encombre sur la piste de l’aéroport Norman Manley à Kingston. William Rochambault passa les contrôles d’immigration rapidement. Le nombre de tampons sur son passeport attestait de la régularité de ses visites.

— Bon séjour à Kingston, Monsieur Rochambault, lui dit le préposé en lui rendant le livret.

L’américain se rendit aussitôt au guichet Hertz Gold où on lui remit les clés d’une Porsche Macan noire. Sans avoir besoin d’utiliser le GPS, il prit l’autoroute pour se rendre au studio d’enregistrement situé de l’autre côté de la baie. L’établissement ne payait pas de mine, les murs extérieurs étaient décorés aux couleurs du pays, relevées de portraits de musiciens iconiques, Gregory Isaac, Dennis Brown et Don Carlos. Deux hommes à l’âge indéfinissable, portant une longue barbe en broussaille, coiffés de l’incontournable bonnet, fumaient des joints sur le seuil. Rochambault leur posa une question et n’obtint pour toute réponse qu’un simple geste désignant la porte. À l’intérieur, l’odeur de la ganja était particulièrement entêtante. Il se dirigea vers une pièce minuscule aménagée en bureau.

— Hello Brother, salua l’occupant en voyant son visiteur sur le pas de la porte.

— Ils sont là ? demanda William.

— Dans le studio, ils finissent les balances avec Bob. Tu peux aller les rejoindre.

Le producteur trouva son chemin parmi le dédale de corridors encombrés de matériel et d’instruments. Il entra dans la cabine de contrôle. L’atmosphère y était encore plus enfumée qu’ailleurs. Derrière la vitre, quatre hommes accordaient leurs instruments en lançant quelques riffs.

— Ils sont bons ? demanda William.

— J’ai connu meilleur, mais aussi bien pire, répondit le technicien depuis sa console. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas très « présentables ». Pour enregistrer, ça ira, mais si tu veux les faire tourner, il y aura du travail.

Rochambault prit un casque et se concentra sur la musique.

— La rythmique est bonne, les guitares sont correctes, mais la voix est à chier. Tu peux me trouver un autre chanteur ?

— C’est pas mon boulot, man, faut voir avec Big Mac. C’est lui qui recrute.

— Merci, envoie moi les enregistrements quand tu auras quelque chose de convenable.

Il ressortit et retourna au bureau.

— Alors ? demanda Big Mac.

— Le chanteur est merdique.

— C’est le plus dur à trouver, répondit le patron, mais je vais voir ce que je peux te proposer. Tu peux repasser demain ?

— Oui, bien sûr. Je lui là pour ça non ?

— Bien entendu, mais on peut profiter du déplacement pour rencontrer d’autres talents. Les Dominicains t’attendent ce soir à minuit. Tu es descendu où ? AC Hotel, comme d’habitude ?

— Oui, le Stawberry Hill est trop loin pour un aller-retour. Tu peux m’envoyer un chauffeur ? je n’ai pas envie de conduire moi-même le soir.

— Je te comprends, les rues ne sont pas sûres. Le chauffeur restera avec toi toute la soirée, on ne sait jamais.

— Parfait, tu pourrais me trouver un peu de compagnie, pour le reste de la nuit ? Tu connais mes goûts.

— Tu ne seras pas déçu.

— Je sais, c’est pour ça que je suis chez toi, dans ce studio pouilleux.

— N’insulte pas ce lieu, mon frère, les plus grands ont enregistré ici ! déclara Big Mac dans un grand rire.

Rochambault laissa les clés de la Porsche au voiturier et se dirigea muni d’une simple valise-cabine vers le comptoir d’accueil.

— Bienvenue dans notre établissement, Monsieur Rochambault, nous vous avons réservé une suite avec lit King Size comme vous nous l’avez demandé, au dernier étage. Voulez-vous que je fasse monter vos bagages ?

— Ce ne sera pas nécessaire, je n’ai que cette petite valise. Pouvez-vous me faire monter une bouteille de champagne ?

— Bien entendu, je commande le room service. Il arrivera en même temps que vous.

La suite était meublée de façon moderne et fonctionnelle, dans le plus pur style de l’hôtellerie internationale. Il n’en avait rien à faire de toute façon, du moment que la salle de bain et les draps étaient propres, c’était bien suffisant pour ce qu’il allait faire dans cette chambre. Il n’avait pas encore eu le temps de déballer son maigre bagage que l’on frappait à la porte.

— Room Service, Monsieur.

— Entrez, cria-t-il.

Un jeune homme en uniforme se présenta dans l’embrasure.

— Posez la bouteille sur la table du salon. Ne vous donnez pas la peine de l’ouvrir.

Le groom obéit et resta à attendre. Rochambault sortit un billet de cinq dollars et le lui tendit.

— Merci Monsieur, bonne soirée.

La porte refermée, Will finit de ranger ses chemises avant de déboucher le flacon. Il servit deux flutes, comme s’il attendait un visiteur, mais les avala coup sur coup. La nuit s’annonçait longue. Il choisit de mettre à profit le temps libre avant son rendez-vous pour se reposer un peu. Il régla l’alarme de son téléphone sur vingt-trois heures et s’allongea sur le lit tout habillé. Moins de cinq minutes plus tard, il était profondément endormi.

La sonnerie le surprit au milieu d’un rêve où une blonde entreprenante lui offrait des plaisirs défendus. Il passa dans la salle de bains le temps d’une longue douche et s’habilla de propre en prévision de sa rencontre avec son interlocuteur dominicain. Le champagne avait tiédi malgré la glace, ce qui ne l’empêcha pas de se servir deux nouveaux verres. Quinze minutes avant minuit, il était dans le lobby. Il repéra l’homme qui allait lui servir de chauffeur et de garde du corps. Il avait déjà eu l’occasion d’utiliser ses services à plusieurs reprises. Le physique de l’individu avait de quoi rassurer ou inquiéter, selon le cas, et Will savait qu’il était armé. Il escorta son protégé jusqu’à un gros SUV Cadillac blindé.

— Vous pensez que l’on a besoin d’un tel véhicule ? s’amusa l’américain.

— C’est inclus dans la prestation, Monsieur. Montez, je vous prie.

L’homme se mit au volant et dirigea le véhicule vers les hauteurs, un peu à l’extérieur de la ville. Il s’arrêta devant la grille d’une propriété où deux gardes armés de mini-Uzi étaient en faction. Le chauffeur leur dit quelques mots et ils les laissèrent pénétrer jusqu’à une grande maison de style Georgien, ceinturée d’une large galerie couverte. Deux autres individus, armés eux-aussi, surveillaient les alentours depuis ce point. Le chauffeur fit le tour du véhicule et ouvrit la portière. Will descendit et suivit son accompagnateur jusqu’en haut du perron. Là, le chauffeur tendit son arme, un Beretta 92, à l’un des gardiens.

— Il n’est pas armé, précisa-t-il, en désignant son passager.

— Je dois vérifier, insista le garde.

— OK, pas de problème, répondit Rochambault en levant haut les bras.

— C’est bon, allez-y, Juan Pablo est dans son bureau, à gauche en entrant.

Juan Pablo attendait ses visiteurs dans une pièce meublée de façon cohérente avec la construction elle-même. Il s’agissait d’abord d’une grande bibliothèque, occupant deux murs opposés, chargée de livres anciens, du sol au plafond. Un grand globe terrestre sur pieds était disposé dans un angle, un bar dans un autre. La table de travail elle-même était de toute évidence historique, en bois précieux et marqueterie. Elle était entièrement dégagée de tout objet ou document. Rien dans la pièce n’évoquait le temps présent, ni téléphone, ni ordinateur ou télévision.

Le maître des lieux était un métisse, assez grand et d’allure sportive. Il était vêtu avec soin d’un costume occidental de qualité, sur une chemise blanche parfaitement repassée. Une grosse chaine en or pendait dans son col ouvert. Rochambault lui donna quarante ans, ou même un peu moins.

— Entrez Monsieur Rochambault, je suis flatté de recevoir chez moi une personne qui a côtoyé le Président Trump.

— Je vous en prie, appelez-moi William ou même Will, ce sera plus simple entre nous.

— Comme vous voudrez, Will. Venez, asseyons-nous pour bavarder. Voulez-vous quelque chose à boire ? Ou un cigare peut-être, ils sont fabriqués spécialement pour moi.

L’américain déclina le cigare, mais accepta un vieux rhum dominicain. Juan Pablo préleva un long cigare dans une boîte de bois et prit un long moment pour le préparer avant de l’allumer. Le rituel achevé, il engagea la discussion dans un halo de fumée.

— Alors, Will, on me dit que vous ne vous limitez pas à produire de la musique reggae et que vous vous intéressez à d’autres ressources locales. Notre ami commun a évoqué un désir de diversification de votre part. L’herbe jamaïcaine ne plait plus aux fumeurs gringos ?

— C’est bien cela, en effet. Il y a beaucoup de concurrence sur le marché et la logistique est complexe, le produit est lourd et volumineux. Beaucoup de risques pour un faible profit. La jeunesse américaine est très demandeuse de poudre. La dominicaine est très réputée.

— Je vous remercie pour le compliment. Vous l’avez dit, le problème c’est la logistique. Je peux vous aider à vous procurer la marchandise, mais c’est à vous d’organiser le transport. Je travaille FAS, pour utiliser les Incoterms. Je mets à disposition le produit sur le quai du port de départ, dans mon pays. Après, ce n’est plus mon affaire. Pour le règlement, pas question d’échanger des sacs de billets comme on le voit dans les mauvais films d’Hollywood. J’exige un paiement en bitcoins au moment du transfert. Si ces conditions sont acceptables pour vous, on peut continuer à discuter.

Une heure plus tard, Will avait la nausée d’avoir dû absorber autant de fumée de cigare. Il avait cessé de fumer depuis longtemps et comme beaucoup de repentis, l’odeur lui était devenue difficile à supporter. L’échange s’était terminé par un accord de principe pour une première livraison, à titre d’essai, sous réserve de validation d’une route de transit suffisamment fiable.

Le chauffeur l’avait reconduit sans incident à l’hôtel, où lui avait-il assuré, une personne attendait dans la chambre. Rochambault ouvrit la porte et fût saisi par le parfum capiteux. Une femme d’une trentaine d’années était assise et buvait du champagne en regardant la télévision.

— Salut trésor, je m’appelle Marcia. Je suis à toi pour la nuit. Tu peux faire tout ce que tu veux, à condition que ça ne laisse pas de marques. Je ne peux pas abimer mon outil de travail.

L’américain considéra la jeune femme. Elle n’était pas très grande, malgré ses hauts talons, mais elle avait une silhouette plaisante et une poitrine plutôt modeste, qu’il pouvait donc espérer naturelle.

— J’ai commandé du champagne. Celui que tu avais laissé était chaud. Tu en veux ?

— Plus tard, répondit Will, commence par te déshabiller.

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