Chapitre VII

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Aussi ravi qu’écœuré de l’avoir sur les bras, il se dirigea vers le parterre de généraux. Ils jouaient avec leurs décorations comme les enfants avec leurs hochets. Chacun, l’air de rien, mettait ostensiblement en avant celles dont il était les plus fier. Tant de subtilité et de finesse, à se demander pourquoi Ornemer ne gagnait que rarement ses guerres. « Heureusement, nos amiraux sont plus talentueux », commenta Ferdinand. Mais ceux là, justement parce qu’ils savaient réfléchir, demeuraient sur leurs navires, loin des affres de la cité et de la terre ferme. Sur un bateau, on n’a que peu de bouches à nourrir, et, lorsque la faim se fait sentir, on peut toujours piller un autre bâtiment sous prétexte qu’il n’arbore pas la bonne bannière. On recevait même les acclamations du peuple pour cela, si l’on s’y prenait bien. Le jeune couple aussi bien assorti que mal agencé se faufila à travers les ragots et les intrigues jusqu’au quatuor de soldats, à la voix aussi forte et sèche que l’intonation d’un canon.

— … Blessé mais j’ai gagné ce petit bijou, conclut le plus galonné des quatre.

Ferdinand ne comprit pas bien les tenants et aboutissants de cette anecdote mais se trouvait désormais suffisamment proche pour entendre et surtout contempler plus en détails ces gaillards, et notamment le seul qui ne se vantait de rien et acquiesçait à tout. Sa tête lui disait quelque chose, comme s’il avait aperçu en rêve ou au beau milieu d’une foule. Il fouilla sa mémoire, se remémorant chaque moment où il aurait pu croiser un garde ou un homme d’arme, et sa récente carrière de voleur et arnaqueur n’en avait pas manqué, jusqu’à ce qu’il réalise l’inutilité de remonter si loin.

— Excusez-moi monsieur, ne dirigiez-vous pas le peloton, hier, sur la place de la Monnaie ?

L’interpelé se pétrifia tandis que ses trois collègues rirent aux éclats.

— Évidemment que si ! Le sauveur de la république ! Le tueur de factieux ! L’homme qui a préservé notre île de la tyrannie ! Le désormais général Alphonse Vivien !

Difficile de déterminer s’ils raillaient leur nouveau pair où s’ils l’estimaient sincèrement. Étrangement, dans ce cas, les deux ne s’excluaient pas. Il avait effectué une basse mais nécessaire besogne et, pour cela, il méritait autant les quolibets autant que les applaudissements. Tuer quelques dizaines d’affamés pouvez vous élever haut, si vous acceptiez d’endurer les moqueries et de faire fi de votre conscience. De toute évidence, celui n’y parvenait que difficilement. Après tout, Alphonse ne ressemblait pas à l’image qu’on pouvait se faire d’un vétéran avide de sang et dénué de compassion. Nulle cicatrice ne balafrait son joli minois et il devait davantage courir après les filles qu’après les massacres. Si la mauvaise fortune n’avait pas mis ce triste évènement sur sa route, il se serait sans doute contenté de son grade de capitaine et des nombreuses femmes que cela pouvait impressionner et, avec fort peu d’efforts, séduire.

— Vous en faites trop… Vraiment… Si on pouvait…

— Arrête de faire ton timide ! Tu as un admirateur ! Certes, il manque de poitrine mais ce n’est pas pour autant que tu dois le rejeter ainsi. Et puis, sa dame est des plus charmantes, s’exclama l’officier en baisant la main de la belle.

— Oui… Hmm… Pardon… Merci beaucoup monsieur… ?

— Laffont. Ferdinand Laffont.

— Laffont, Laffont… J’ai déjà entendu ce nom-ci, rumina le galant en claquant des doigts.

— Mais si ! Les assurances Laffont ! Vous en étiez le dirigeant, n’est-ce pas ? s’extasia le plus âgés des quatre.

— Effectivement.

— Au nom des armées, je vous présente mes sincères remerciements, vous nous avez évité bien tracas la dernière fois.

— Euh… Pourrait-on m’éclairer ?

— Le général tout neuf demande des explications. N’est-il pas adorable ? s’amusa le quatrième comparse, sans qu’on ne sache bien s’il était plus au courant que lui.

Ferdinand était curieux de la façon dont le vieux briscar allait conter ses déboires. Il était si focalisé sur le discours à venir qu’il ne sentit pas les doigts de Dimitra doucement glisser entre les siens.

— Vous vous souvenez tous de la situation il y a trois ans ? Assez semblable à celle d’aujourd’hui finalement. Les ouragans et tempêtes se déchainaient au large de notre île coupant presque tout ravitaillement. La famine menaçait et, à cause des nombreux naufrages, personne n’acceptait de nous envoyer de la nourriture. Un sacré merdier. J’en ai perdu des gars, dans les échauffourées. Une grosse cargaison fut néanmoins amassée dans un des ports d’Ariange. Ne manquait plus qu’un assureur qui se porte garant en cas de perte. Naturellement, personne n’accepta, sauf à des prix prohibitifs. Personne sauf l’homme qui se tient devant vous. Il finit par consentir à assumer les éventuelles pertes à un coût raisonnable, que d’autres auraient considéré comme complétement fou.

Le doyen du groupe reprit son souffle. Les autres demeuraient suspendus à ses paroles. Il savait raconter les histoires. Et puis, l’on sentait ressurgir en lui des souvenirs difficiles. Les morts qu’il avait dû pleurer. La cité dans laquelle il avait grandi qu’il voyait s’effondrer toujours un peu plus sans qu’il ne puisse la défendre. Les massacres qu’il avait été contraint de commettre pour éviter la faillite de son état.

— Le convoi partit donc… un navire sur cinq nous arriva. Cela sauva Ornemer mais ruina complétement les assurances Laffont. On n’entendit plus jamais parler d’elles, ni de son propriétaire… jusqu’à aujourd’hui.

— Rien de plus normal, on ne pleure jamais les assureurs, ironisa Ferdinand.

— Je ne vous ai pas pleuré… Mais je vous en suis reconnaissant. Ça ne pèse pas grand-chose, mais croyez-bien que je sais à qui nous avons dû notre survie. Et je crains, qu’aujourd’hui, plus personne ne soit de votre trempe.

— Il faut bien admettre que je les ai bien dissuadés de m’imiter.

Les soldats le regardaient, amusés par la plaisanterie. Tout cela leur paraissait bien lointain, presque abstrait. Ils ne savaient pas comment réagir et tout remerciement eut paru faux. Alphonse se contenta d’un sourire gêné, comme d’habitude. Les deux autres lui serrèrent la main. Mais l’ancien, dans un geste solennel, décrocha une médaille de son plastron et l’accrocha au manteau de l’ancien entrepreneur.

— On me l’a décerné pour mon abnégation. Tu la mérites plus que moi. Allez, va ! conclut-il en lui tapotant la poitrine désormais décorée.

Ferdinand resta interloqué, bouche bée, presque bouleversé. Le bout d’argent sculpté en forme d’étoile avec, gravés en son centre, les trois dauphins de la cité, lui pinça le cœur. Ses yeux s’humidifièrent mais il retint ses larmes. Il les ravala même par une simple secousse de la tête. La chair qui battait sous sa poitrine se durcit en un instant jusqu’à devenir pierre. Plus jamais on ne le prendrait à se perdre dans ce genre d’émotions. Les flatteries et les louanges l’avait mené à sa perte, il ne réitérerait pas la même erreur. À jamais il demeurerait insensible à toute flagornerie, fût-elle sincère.

— Merci beaucoup, mon général, je ne la décrocherai jamais et la brandirai fièrement ! Après tout, il s’agit là de la dernière pièce de métal qu’il me reste.

L’assemblée rit de bon cœur avec lui. Il réalisa alors que la fine paume de Dimitra se trouvait au creux de la sienne. Elle le contemplait avec son visage d’ange emplit de fierté.

— Mes félicitations, Ferdinand ! lui susurra-t-elle.

Elle lui embrassa ensuite la joue puis se décrocha de lui. Elle lui accorda cependant un petit signe de la main en guise d’aurevoir, et s’en alla rejoindre son époux sur le point de partir et qui la cherchait. Ce signe-là, plus qu’un simple aurevoir, signifiait sans le moindre doute possible pour quiconque l’avait aperçu, « je veux te revoir ».

— Ah ! Ferdinand, j’avais peur que tu te sois enfuis, lança Charles à travers la pièce.

Entendre ce son disgracieux taper à ses oreilles après la douce mélodie de Dimitra crispa ses tympans. Il ne voulait voir ni parler avec personne d’autre qu’elle. Il prit sur lui, expira un grand coup, puis se retourna vers monsieur Noussillon, en tachant de convertir toute l’exaspération qu’il ressentait en sympathie. Son visage se tordit sous le contraste avant de petit à petit se figer dans une expression plus avenante.

— Je suis toujours là, que puis-je pour toi ?

— Rien, c’est moi qui te dois quelque chose. Puisque, demain, tu vas affronter le sénat, je me dois de t’habiller un peu plus correctement. Oh, charmante médaille soit dit en passant. Mais cette babiole et ta veste ne suffiront pas. Je t’emmène chez mon tailleur, tu vas voir, il va te rafistoler et tu seras à nouveau tout beau tout propre, comme à la belle époque.

À ces mots, il se saisit à nouveau de son ami, le prenant sous le coude, et l’entraina vers le salon d’habillage où ils se vêtirent de leurs pauvres accoutrements respectifs avant de sortir s’en fournit de bien plus onéreux.

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