Partie 2/5

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Vynora émergea de son sommeil bien après les premières nitescences. Son instinct lui dictait de tirer les rideaux, efficaces filtres de lumière, elle n’en fit néanmoins rien. À la place, la chasseuse quitta la chambre et libéra Grynith de ses chaînes, se préparant à mieux connaître les environs.

Un soleil radieux régnait en ce jour, aussi Vynora s’étonna que la vampire osa gagner l’extérieur. Grynith avait troqué sa robe contre un manteau doté d’une large capuche, et s’était même attifée de gants en laine. Ce fut d’un pas frénétique qu’elle rejoignit la route, désireuse d’atteindre le village avant le zénith.

Elles parvinrent au cœur de Pherac en une demi-heure. Bourgade perdue au cœur des bois, elle se composait d’une cinquantaine de maisons à colombages disposées autour d’un large puits central. Les fermes s’étiraient dans les limites extérieures tandis que les commerces fleurissaient au centre du village.

Nombreux étaient les habitants à se côtoyer en ce milieu de journée, et presque tout autant étaient-ils à saluer Grynith.

— Bonjour, madame la maire ! fit un charpentier. Quel bon vent vous amène, aujourd’hui ?

La vampire rendit la civilité au villageois, prête à continuer sa marche. La chasseuse, quant à elle, s’était figée. Elle se frotta les oreilles, et les voix sonnèrent tout aussi claires.

— Attendez, vous êtes maire ? s’écria-t-elle. Vous aviez omis cette information !

— Volontairement, confirma Grynith. Tu ne m’aurais pas crue, donc je souhaitais que tu l’entendes de tes propres oreilles.

— Depuis combien de temps ?

— Très longtemps. L’avantage d’être une vampire : ils ont eu le temps de s’habituer à ma présence. Je suis une référence, une figure de stabilité. Ce qui est pratique pour… Oh, j’ai faim !

Plusieurs morceaux de viande reposaient sur un étal, derrière lequel se tenait un jeune couple. Eux aussi échangèrent leurs politesses avec la hâtive vampire.

— Jisdia et Fanol, mes deux trappeurs favoris ! se réjouit-elle. Avez-vous ramené de la bonne nourriture ?

— Pour vous, toujours ! assura Jisdia.

— Nous aurions pu faire mieux, contrasta Fanol. Seul un lapin est tombé dans notre piège, ce matin.

— Cela suffira bien. Tenez, récupérez l’argent de vos taxes !

Fanol et Jisdia échangèrent la carcasse contre une poignée de pièces argentées. Grynith ouvrit alors grand sa bouche avant de plonger ses dents dans l’animal pas même dépecé. Vynora l’observa de biais, une grimace froissant son faciès pendant que la vampire se gorgeait de fluide vital. Percevoir ses déglutitions acheva de la rebuter.

— Toujours mieux qu’un être humain, marmonna-t-elle. Enfin, j’imagine…

La chasseuse et la vampire profitèrent de l’hospitalité locale pendant des heures, qui bientôt devinrent des jours. Dubitative de prime abord, Vynora avisa les authentiques sourires avec lequel les villageois saluèrent leur maire. Elle constata leur rire de plein éclat quand leurs discussions s’éternisaient. Elle dut admettre l’enthousiasme avec lequel Grynith folâtrait avec les enfants courant autour du village. Elle du reconnaître que la vampire était toujours encline à l’idée de rencontrer les contadin, quelle que fût la brillance de l’astre diurne.

Plus les journées se succédaient et moins Vynora enserrait son pieu durant son sommeil. Deux semaines après sa première rencontre avec Grynith, elle arrêta même de l’enchaîner dans son lit, bien qu’elle verrouillât toujours sa porte.

Son séjour s’étalait plus qu’anticipé. Alors que des questions émergèrent, Grynith proposa à Vynora de se rendre à Pherac après le crépuscule. Même lorsque l’obscurité enveloppait le village, des lumières oscillaient encore, surtout depuis la taverne où elles se dirigèrent.

Il s’agissait d’un modeste établissement. Tout juste une dizaine de tables se répartissait autour d’une poutre centrale. Dès que Grynith franchit le seuil, hommes et femmes brandirent leur pinte à sa santé, aussi la vampire s’empourpra malgré elle.

D’un geste elle enjoignit Vynora à la suivre sur le comptoir. S’y trouvait le tavernier, un homme d’âge moyen à la longue barbe brune. Un tablier mordoré surplombait sa tunique en lin qui soulignait son embonpoint prononcé. Il avait retroussé ses manches et posé ses avant-bras sur la surface.

— Bonsoir, Thenron ! salua Grynith.

— Bonsoir, madame la maire ! répondit le tavernier. Vous êtes venue picoler avec nous ce soir ?

— Oui, et je ne viens pas seule !

— Je constate. C’est elle, votre nouvelle invitée ?

— Vynora, chasseuse de vampires !

— Ha ? Il n’y a pas une opposition qui se créé ?

Un air béat se peignit sur les traits de Grynith. Elle enroula sa main autour de l’épaule de Vynora, laquelle se sentit quelque peu décontenancée.

— Nous avons eu nos différends, concéda la vampire, mais ils sont désormais résolus ! Vynora est mon amie, maintenant !

— Vous me surprendrez toujours, répondit Thenron. Vraiment, tout peut arriver dans notre village ! Sur ce, qu’est-ce que je vous sers ?

— Tu connais mon choix ! Tu aimes la bière, Vynora ?

— Je préfère le rhum, mais ça ne me dérange pas d’en boire. Je croyais que vous préfèreriez le vin.

— Parce que je suis une vampire ? Balivernes ! La bière a bien plus de caractères. Tavernier, sers-nous de ta délicieuse potion, brassée avec les fruits des bois !

Thenron s’exécuta. Rapidement il déposa deux pintes mousseuses pour la chasseuse et la vampire. Vynora hésita à la goûter, mais quand elle vit Grynith absorber de grandes goulées, elle décida d’y tremper ses lèvres. Une saveur sucrée et acide se combina dans son palais, là où l’alcool se faisait discret. Elle approuva le choix d’un hochement du chef, avant de s’installer en compagnie de la maire.

Dans la taverne se diffusa une confortable chaleur doublée d’un parfum capité. Les discussions suffisaient à engendrer la clameur, toutefois Vynora réussissait à converser avec Grynith sans hausser la voix. Souvent, des clients les interrompirent, cognèrent leur pinte contre la leur. Alors la chasseuse réalisa sa lenteur, surtout par rapport à la vampire, qui avait englouti trois bières au moment où elle en avait fini une seule.

À mesure que la soirée progressait, Grynith peina à maintenir l’équilibre sur sa chaise, et des érubescences coururent jusqu’à ses fossettes. Jamais ses dentes pointues, qu’elle affichait avec fierté, n’avaient parues si inoffensives. Vynora la sollicita alors en lui secouant l’épaule.

— Peut-être devriez-vous ralentir la cadence, conseilla-t-elle.

— Tout va bien ! s’écria Grynith en hoquetant. Tant que je peux tenir debout, je ne crains rien !

— Mais… Vous êtes assise.

— Ha, dommage. On n’échappe pas à notre condition, même en tant que vampire ! La vieillesse ne m’aura jamais, par contre l’ivresse…

Vynora continua de le soutenir mais ne put l’empêcher de s’écrouler sur la table. Quelques secondes suffirent à la vampire pour s’endormir, des restes de mousse écumant de sa bouche. De puissants ronflements emplirent aussitôt la salle, empêchèrent toute tardive conversation de se dérouler. Cela exhorta Thenron à se saisir d’une couverture, avec laquelle il enveloppa Grynith toute entière.

— Il faudra que je pense à fermer les rideaux, songea-t-il en plaquant ses poings contre ses hanches.

Les ronflements continuèrent de bercer la nuit. Petit à petit, Vynora se leva de sa chaise, prit de la distance par rapport à la vampire. Ce fut à hauteur du tavernier qu’elle contempla Grynith sous un œil nouveau. Un sentiment d’apaisement l’enveloppa, détendit ses muscles, l’encouragea à relâcher les bras.

— Ça par exemple ! s’exclama-t-elle. Voilà quelque chose qu’on n’aperçoit pas souvent…

— En fait, clarifia Thenron, ça se produit à chaque fois. Quand Grynith rentre dans la taverne, elle n’en ressort que le lendemain. Heureusement qu’on a fabriqué un lit pour elle. Un travail d’honnête artisan, qui doit la changer de son manoir !

— Pour vous peut-être, mais pour moi… J’ai voyagé des semaines, persuadée que la seule issue serait de la tuer. Maintenant que je la vois ainsi, dormant paisiblement après s’être enivrée, j’en ai presque honte. Elle est opposée à l’image que je me faisais des vampires.

— L’avantage de vivre en isolation. Les récits sur les vampires n’ont pas cours ici, même pour les parents qui veulent effrayer leurs petiots ! Grynith était déjà maire quand je suis né, et elle le sera encore bien après ma mort !

— Donc c’est vrai ? Elle prend vraiment soin de ses sujets ?

— Demande autour de toi, Vynora. Avec elle, on ne manque jamais de rien ! Parfois, on voit passer des marchands itinérants, et ils nous racontent parfois des épidémies et des famines ravageant l’empire. On n’en jamais souffert ici, et c’est grâce à elle !

Bouche bée, la chasseuse gratta son front plissé, sans lâcher la vampire des yeux.

— Vous ne m’en voulez pas ? demanda-t-elle. Si j’avais tué votre maire, aussi vampire soit-elle… Je n’ose pas y penser.

— Tu as eu l’intention sans passer à l’acte, reconnut Thenron. Nous avons tous le droit de faire des erreurs. Au moins, je suis content de savoir que Grynith a su te convaincre !

— Voilà une année que je combats les vampires. Même dans mes rêves les plus improbables, je n’aurais imaginé rencontré quelqu’un comme elle. J’ai choisi la voie de la violence. Je pensais mener un combat juste. Je me figurais que les vampires sont des monstres massacrant des innocents.

— Je ne connais pas d’autres vampires, donc je ne saurais pas répondre.

— Tous les précédents vampires étaient maléfiques, sans aucun doute. Mais vu mon manque d’expérience, ce serait arrogant de penser que je les connais. Et si je me trompais ? Et s’il existait une autre solution ?

— Je n’en sais fichtrement rien. Je me contente de servir la bière.

— J’aimerais connaître le point de vue de Grynith à ce sujet. J’en discuterai avec elle ! Quand elle se sentira mieux, bien entendu.

La moitié de la nuit s’était déjà écoulée, ainsi les clients repartaient l’un après l’autre, en marchant ou en titubant. Vynora aida Thenron à transporter Grynith pendant que la taverne se vidait. Ils se dirigèrent par-delà une volée d’escaliers boisés, vers une étroite et basse pièce. Il n’y avait qu’un seul lit dans la taverne, mais avisée de sa largeur, Vynora décida de partager le sommeil à côté de la vampire. Grynith ronflait si fort que le repos la guette malaisément, pourtant un sourire embellit ses traits à l’instant où elle ferma ses paupières.

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