Kubrick ne fait pas le poids

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Nous sommes déjà à la fin du mois d’octobre. Notre petite vie d’étudiant se déroule pour le mieux. Avec Alice, nous nous entendons à merveille. Elle est grincheuse le matin, moi plutôt le soir lorsque la faim vient me saisir. La répartition des tâches ménagères est catastrophique. Étant maniaque, et moi, absolument pas, Alice hurle dès qu’elle franchit la salle de bain et qu’elle découvre un poil pubien m'appartenant, en trop dans la douche. Je me rattrape en allant faire les courses, mais je m’aperçois que les chips, gâteaux et autres sucreries ne sont apparemment pas la meilleure des alimentations. Nos querelles sans importance n’ont heureusement pas de prise sur nos discussions tardives, à propos des livres qui nous font vibrer ou sur le monde que nous refaisons au moindre signe de baisse de moral. Étonnamment, l’université nous semble plus légère à supporter. Il faut dire que nous nous en contrefichons, bien trop préoccupés par nos histoires sentimentales.

À ce propos, il convient de préciser que notre arrangement avec Pierre me convenait parfaitement jusqu’à il y a deux jours où il m’a avoué qu’il avait rencontré quelqu’un. Aussi, a-t-il mis fin à notre relation, avant de me proposer de faire une dernière fois des galipettes avec moi. J’étais un peu sous le coup de l’émotion, alors j'ai accepté bêtement, mais ce qui s’est passé juste après, n’a pas été brillant. Aujourd’hui, je dois avouer que je suis un peu triste à l’idée que cela s’arrête comme ça. Je m’étais attaché à lui et même réussi à me persuader que nous construisions une histoire malgré tout.

Ce que je retiens aussi de cette histoire, c’est qu’Alice n’a pas arrêté de me soutirer sous la torture (chatouilles à gogo) le plus de détails possible sur nos ébats. J’ai fini par craquer en formulant différentes positions d’emboîtage (somme toute classique, je présume) de manière trop explicite et à la limite du vulgaire. Du jour au lendemain, elle a arrêté ! Ça lui apprendra !

Parlons d’elle plutôt. C’est plus intéressant. En l’espace de quelques semaines, elle ne me parle plus que de ses amies Valérie et Sandra, qui semblent l’avoir pris définitivement sous leurs ailes, lui faisant rencontrer leur cercle d’amis du pays des merveilles qu’est le Petit Marcel. Un autre prénom revient régulièrement à mes oreilles depuis peu, celui de Jessica. Je ne l’ai encore jamais vue, mais cette jeune demoiselle incarne la perfection aux yeux de mon amie. On dirait moi lorsque je m'enflamme exagérément. Je ne peux lui en vouloir et préfère ne rien lui dire, tellement je la sens heureuse et passionnée. Pour l’instant, elles sont juste copines m’a-t-elle avoué, avec une pointe d’impatience. Mais mon amie a décidé de passer à l’action vendredi prochain, lors d’une soirée organisée chez Val ! Film d’horreur au programme : Shining. Je suis invité, mais je n’irai pas, et ce, pour plusieurs raisons.

— Il n’y aura que des lesbiennes, il est hors de question que je me retrouve le seul mâle de la soirée !

— Mais non, idiot. Il y aura aussi le cousin de Sandra. Il paraît qu’il est bi ! Je leur ai dit que tu viendrais pour tester s’il l’est vraiment, ça peut être drôle !

— Non, mais ça va pas la tête !!! Qu’est-ce qui t’as pris de leur dire ça ! Il est célibataire au moins ?

— Sandra m’a dit qu’il avait une copine, mais elle doute de son existence. Comme par hasard, elle ne sera pas là, car soi-disant, elle n’aime pas les films d’horreur. Ça tombe bien pour toi.

— Non, mais j’hallucine. Tu diras à Valoche que Shining m’a traumatisé et qu’il est hors de question que je revoie ce film.

— Tu sais que tu n’es pas drôle, Julien ! Et tu es un gros menteur, tu as adoré. Allez, fais un effort !

— Même si je le voulais, ma soirée est déjà prise.

— Ah bon ? Pierre, je suppose.

— Heu… Non, même pas. Je crois bien que nos soirées vont bientôt se terminer. Je le soupçonne d’avoir rencontré quelqu’un.

— Et alors ? C’est quoi le problème ?

— Le problème ? Hors de question de partager. Je préfère mettre fin à cette relation tout de suite (oui, je sais, je déforme un peu la réalité, et alors ?).

— Julien, tu sais quoi ?

— Non, je t’écoute.

— Tu es trop sage.

— Et vous, bien trop dévergondée, jeune fille. Et puis, je vous rappelle que ta soirée cassette vidéo tombe un vendredi !

— Et ?

— Et qui est-ce qui va jouer les nounous ?

— Oh merde, le fils de la voisine, je l’avais complètement oublié !

— Oui, ça, j’avais remarqué ma poulette, et ça ne date pas d’aujourd’hui. En plus, j’ai promis à Nathan une soirée "cowboys contre indiens”.

Alice sourit de voir que mes réflexes d’animateur ne me quittent pas dans de telles occasions.

— Oh Juju, merci pour tout. Tu me sauves la mise. Les filles m’ont dit que j’avais mes chances avec Jessica. Mais promis, je rentre dormir à l'appart, ne t’inquiète pas.

— Mais enfin poulette, tu es libre de faire ce que tu veux. Je suis si content pour toi. Ne culpabilise pas. Après avoir couché le mioche, je passe la soirée devant la télévision. Ils rediffusent Assurance sur la mort.

— Dans ces cas-là, Kubrick ne fait pas le poids face à Billy Wilder !

— Tu l’as dit !

— Je peux te montrer ce que j’ai prévu de porter pour la soirée ?

À peine ai-je donné mon accord qu’Alice se précipite dans sa chambre pour revenir avec la moitié de sa garde-robe qu’elle jette sur le tapis dans notre salon. Sans complexe, elle se déshabille devant moi et essaye une première robe.

— T’en penses quoi ?

Je regarde ma montre. Il est à peine 20h. Je sens que l’on va en avoir pour une bonne partie de la soirée !

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