Pour de vrai (final 3/3)

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Lucas est habillé tout simplement d'un jean noir et d'un t-shirt de la même couleur. Son sourire est simple et avenant. Son regard, ai-je besoin d'en parler, si ce n'est pour dire que je fonds littéralement comme une glace au soleil (ou de la neige, au choix) , tellement j’ai envie de me noyer dans ses yeux (oui, je sais, c’est pourri comme image, mais c’est tellement vrai). Apollon vient d'être détrôné en un quart de seconde. Désolé mon gars, il ne te reste plus qu'à te consoler avec ton Andrée-Anne.

— Je ne vous présente pas Lucas, vous le connaissez tous, ou presque tous. Vas-y, installe toi, il reste une place à côté de Julien, dit-elle en me pointant du doigt.

Heu… Bah non, en fait, je suis entre le bord gauche du canapé et Antoine, je vous le rappelle. Sinon, il peut s’asseoir sur mes genoux, peut-être ? Aussitôt, Sandra a une meilleure idée que moi, celle d’arracher le bras d’Apollon, afin qu’il se décale. Mais celui-ci résiste. Sandra resserre son étau. Il grimace et concède à libérer enfin sa place que je prends aussitôt, cédant ainsi la mienne à Lucas. Celui-ci s'excuse en s'asseyant ainsi au bord du canapé.

— Lucas, tu te souviens de moi ? La Petite sirène ?

Je suis con de m’enfoncer direct, non ?

— Mais bien sûr, comment oublier ?

Ah oui, tiens, c’est vrai ça, comment oublier ?

— Je te présente Antoine, un vieux copain de collège que je viens de retrouver ce soir, par le plus grand des hasards.

— Un très très bon ami de collège, tu veux dire, Julien. Et permets-moi de te dire que je ne crois pas au hasard, mais plutôt à la destinée, s'empresse de dire Antoine, en regardant froidement Lucas dans les yeux.

Je m'apprête à répliquer, quand je croise le regard pétillant d'Alice. Serait-elle à l'origine de ce plan machiavélique qui consistait à faire inviter Monsieur Parfait, avec comme couverture le cousin bi, tout ça pour me faire la surprise ? Ou est-ce un complet hasard ? Je nous imagine déjà à débriefer cette soirée, demain, assis dans notre canapé, une tasse de thé à la main. Ça va être énorme ! J'ai juste le temps de voir son clin d'œil avant d'être définitivement interrompu par le noir soudain qui annonce enfin le début du film. Cette fois, tout le monde se tait.

L’inconvénient de regarder un film en groupe, c’est qu’il faut toujours que quelqu’un lâche une grosse connerie au milieu d’une scène choquante. Ça ne rate pas lorsque les frangines apparaissent dans le couloir. Oh, là, là, elles ont taché la moquette, elle était si belle pourtant ! Je sais bien que c’est une façon de gérer son stress et de détendre l’atmosphère, mais personnellement, ça me gâche terriblement le film. D’un autre côté, ce soir, le film est devenu secondaire. Le revoir dans ces conditions, entouré par deux mecs, dont l’un à la sexualité inconnue et l’autre à la sexualité floue, ce n’est pas banal.

Antoine est littéralement tétanisé. Il a retiré sa main de ma jambe et a trouvé refuge derrière un coussin qu’il n'abaisse que très rarement. Je ne peux m’empêcher de jeter des coups d'œil furtifs en direction de Lucas, qui semble captivé par le film. Et merde ! Hou hou, je suis là, juste à côté de toi ! Je me revois en train de mimer La Petite sirène au Petit Marcel, il y a un mois et demi déjà, à remuer mes fesses comme un con, tout en me bouchant le nez et faisant la brasse de l’autre main. Ce souvenir me rappelle que je suis pathétique à espérer quoi que ce soit avec ce serveur. Laisse tomber, Julien. Il ne se passera rien avec lui. Arrête de fantasmer.

Pour me calmer, je me concentre sur le personnage du petit Danny que je trouve assez flippant. Il ressemble étrangement à Nathan. Ce qui n’est pas pour me rassurer (Penser à vérifier qu’il ne cache pas de hache dans son appartement, on ne sait jamais). Je détourne mon regard vers Alice que je vois dans les bras de Jessica. Au moins une qui n’a pas perdu son temps !

Nous sommes arrivés au milieu du film lorsque Jack Torrance commence sérieusement à péter un câble devant sa machine à écrire. J’ai toujours imaginé qu’être écrivain menait à des comportements émotionnels intenses, obsessionnels, voire troublants. J’avoue être définitivement convaincu avec ce film, même si je sais que c’est une histoire inventée par ce génie de Stephen King. Pourtant, hors de question de me mettre à écrire un jour. Tous des névrosés, ces écrivains. Trop dangereux.

Nouveau coup d'œil jeté à Antoine. Ça ne s’est pas amélioré. Il est à présent quasi dans les bras de Sandra. Je me marre tout seul dans ma tête. Je sens que Lucas est en train de bouger, je me retourne donc vers lui imperceptiblement.

— Et dis-moi, Julien, ça te dirait pas qu’on aille se fumer une clope ? Ça me saoule un peu ce film.

Alerte, alerte, alerte ! Suis-je en train de rêver ?

— Heu… Oui, carrément. De toute façon, il meurt à la fin.

Lucas m’offre son plus beau sourire (bien que je ne le vois pas clairement dans cette quasi-obscurité)

— Ah, merci, je m’en serais douté ! dit-il.

— Mais chuuut bande de connasses ! réplique une voix féminine devant nous.

Comment ai-je pu oublier que nous n'étions pas tout seuls, mais entourés de lesbiennes très sympathiques ?

Lucas me fait un clin d'œil et se lève aussitôt. Je m’empresse de le suivre. Mais je manque de me ramasser la gueule en trébuchant sur quelqu’un.

— Aie, mes cheveux, tu marches dessus ! Fais attention où tu marches, merde !

Heu… Tu m'expliques pourquoi t’es allongée par terre, morue ? Je préfère ne rien dire de peur de me faire taper et suivre Lucas qui m’emmène directement à l’étage. Je n’y vois quasiment rien, alors j’y vais prudemment dans ce qui doit être un couloir.

— Attention à la marche, dit-il en ouvrant une porte-fenêtre.

Nous arrivons sur une petite terrasse. Il y fait étrangement doux pour la saison, à moins que ce soit moi qui aie très chaud. Une faible lueur nous parvient du bas de la rue. Nous nous accoudons au muret, admirant de notre hauteur, les toits des maisons ainsi que les rares fenêtres allumées à cette heure de la nuit, distinguant derrière les rideaux, seulement quelques ombres. L’écho des bruits de la ville nous parvient, mais le silence semble avoir décidé de nous envelopper. Nous nous retrouvons, tout près l'un de l'autre, savourant ce moment suspendu. Je n’ose pas regarder Lucas, tellement je suis intimidé et encore surpris de me retrouver là, tout seul avec lui.

— T’en veux une ? me demande-t-il, en me tendant une cigarette.

— Heu… Non, merci, je ne fume pas.

Il me sourit et range sa cigarette dans son paquet.

— Mais ça ne me dérange pas si tu fumes, vas-y.

— C’est gentil, mais je n’en ai pas très envie, finalement.

Je lui souris, comme ça, pour rien. Enfin, quand je dis pour rien, ce n’est pas vrai. Je lui souris d’avoir trouvé ce prétexte pour venir ici. Le sourire qu’il me renvoie confirme mes soupçons. Pourtant, cette audace contraste avec son attitude. Il a l’air aussi à l’aise que moi. À moins que cela me rassure de penser que je ne suis pas le seul à ne pas savoir comment me comporter. Je cherche désespérément quelque chose à dire, mais ça ne me vient pas. Putain, Julien, fais un effort !

Au lieu de ça, je me mets à frissonner légèrement. Lucas, lui, s’étire comme un chat. Il a l’air si décontracté. Il revient se pencher en posant ses bras sur le muret, mais cette fois-ci, plus proche de moi. Collé contre moi, pour être exact. Il regarde naturellement droit devant lui, et continue de contempler la vue. En face de nous, la lumière d’une petite lucarne vient de s’éteindre. Nous nous retrouvons quasi dans l’obscurité. Soudain, la petite flamme de son briquet virevolte et éclaire doucement nos visages. Ses yeux sont si doux eux aussi.

— Je peux t’embrasser ? me demande-t-il, avant d’éteindre le feu.

À cet instant précis, je me remémore la première fois que je l'ai vu au Petit Marcel, et surtout les quelques mots qu’il m'avait soufflé à l’oreille, avant que je ne commence à faire mon premier mime : imagine-toi, au pied d’une cascade, à flotter à la surface de l’eau, allongé paisiblement. Respire profondément et laisse-toi porter par la rivière. Tu vas voir, tout se passera bien.

Je cesse alors toute réflexion, et me laisse guider par le souvenir de sa voix et de ses sages conseils. Pas une seule parole de ma part, juste mon visage qui se rapproche du sien. Juste nos lèvres qui vont dans quelques secondes se rencontrer. Cette fois-ci, je n'ai pas envie d’expliquer pourquoi tout à coup, des ailes me sont poussées dans le dos et que je suis capable de toutes les folies. Ou de croire qu’une des étoiles au-dessus de nous, nous portera chance. Non, ce soir, j'ai envie de suivre mon intuition, car j'ai confiance en moi, dans ce que nous nous apprêtons à écrire à deux.

Désolé, mais cette histoire, j’ai envie de la garder pour moi, rien qu'à moi. Envie de la vivre pleinement. Sans ressentir le besoin de la raconter à Alice ou à quiconque. Cette fois-ci, j’en suis sûr, cette histoire, c’est pour de vrai.

Fin

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