Redrum (final 2/3)

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Nous arrivons dans le salon, où chacun a déjà pris place. Antoine est assis au bord d’un énorme canapé, à côté de Sandra, qui sera bientôt rejointe par Valoche. Il me fait déjà signe de venir à ses côtés. Alice n’a pas besoin de me pousser vers lui, je m’empresse de l’y rejoindre. Nous voilà côte à côte, comme deux amoureux transis (une fois de plus, j’en rajoute, j’ai le droit de rêver, non ?). Deux grands fauteuils sont occupés par des couples de filles de nos âges, collées l’une à l’autre, tandis que d’autres filles (célibataires ?) sont avachies sur de gros poufs à même le sol, recouvert d’un tapis touffu. Je vois Alice s’asseoir prudemment à côté d’une jeune fille, dont je remarque la robe tachée, Jessica, je présume. Effectivement, une jolie petite brune très mignonne. Tout à fait son style. Cette dernière n’a pas l’air fâchée. Je m’en réjouis d’avance.

Je crois que c'est la première fois que je vois autant de lesbiennes réunies de ma vie. Enfin, j'imagine qu'elles le sont toutes, car aucune ne s'est empressée de prendre ma place à côté de mon joujou de collège.

Valoche annonce enfin la deuxième partie de la soirée, en exhibant fièrement son tout nouveau magnétoscope à cassettes VHS Mitsubishi qui, au passage, lui a coûté bonbon. Je ne comprends pas réellement ce qui se passe quand elle se lance, sans préavis, dans une promotion de ce produit de nouvelles technologies (à croire qu’elle dort avec, tellement elle l’adore), criant que le ministre du budget, un certain Laurent Fabius (désolé, je ne suis pas très doué en politique), peut bien aller se faire foutre, au lieu de vouloir protéger l’industrie électronique française contre l’afflux des produits japonais. Tout le monde est impressionné par notre oratrice revendicative et y va de son petit commentaire, comme si chacun avait une opinion sur le sujet.

Personnellement, quelque chose m’échappe. On le regarde ce film, oui ou merde ? Je suis un peu rude, car grâce à Valoche, Apollon profite de ce temps mort pour se coller encore plus contre moi, si c’est encore possible. Je me retrouve coincé entre lui et l’accoudoir. D’un côté, je me sens excité et d’un autre, je me demande s’il a bien une petite amie. Je n’ai vraiment pas envie de me lancer dans le plan foireux du mec qui va rejoindre sa petite amie après avoir joué du pipeau. Alors, comme un idiot, je lui demande. Non, pas s’il sait jouer de la flûte, mais si on lui connaît une bonne amie. Il a l’air déçu de ma question et me dit, que oui, il sort avec Andrée-Anne depuis six mois. Celle-ci n’a pas souhaité venir, car elle ne supporte pas la vue du sang dans un film. Il y en a pourtant si peu dans celui-ci, lui réponds-je pour le faire rire. Mais monsieur ne rit pas. Soit il est con et ne comprend manifestement pas ma blague, soit il n’a pas vu le film. Sa réponse se fait attendre. Il tente de se rattraper en me balançant en riant : Ah, oui, c’est clair, y’a que dalle comme sang ! Je me mords les joues, tellement j’ai envie de rire de le voir aussi mal mentir.

Nous sommes coupés par Sandra, qui a la bonne idée de faire taire son amie, en jurant comme une charretière. Mais Valoche hésite encore un peu avant de mettre le film.

— Qu’est-ce qu’elle attend ? murmuré-je à Antoine qui ose enfin poser une main chaude sur mes genoux, comme si de rien n’était (personnellement, j’aurais attendu que l’on soit dans le noir, mais il a bien fait !). Ce contact m’électrise aussitôt. Je sens que mon pantalon va être aussi tendu que le sien.

— Apparemment, il y a un de leur copain qui doit venir, mais il a l’air de se faire désirer. Tant pis pour lui ! me souffle-t-il à l’oreille.

Sandra, telle un maton de Fleury-Mérogis, demande gentiment à Valoche de lancer immédiatement le film, au risque de s’en prendre une (j’exagère encore et encore, mais ce qui est sûr, c’est que Valoche ne bronche pas et enclenche la VHS dans le magnéto).

La lumière s'éteint enfin. Tout le monde entonne joyeusement Redrum ! Redrum ! Redrum ! Seul l’écran du téléviseur éclaire la pièce. J’aperçois alors le visage blafard d’Antoine, soudain pas très rassuré. Je sens sa main déjà se crisper sur mon genou. S’il continue comme ça, il va me faire mal, ce con ! Pourquoi imaginer à ce moment-là que sa copine ressemble à Shelley Duval, l’actrice principale du film aux côtés de son adorable mari aimant, Jack Nicholson ? Peut-être tout simplement pour me convaincre que j’ai alors toutes mes chances et que je me fous royalement d’Andrée-Anne (quel prénom à la con, au passage !). Un peu plus tard dans la nuit, il me plairait bien de faire un duo de flûtes traversières avec mon petit collégien qui a bien grandi. Moi, je dis : vive les soirées cinoche dans le noir pour apprendre à se connaître tactilement.

Quand soudain, la sonnette de la porte d’entrée retentit. Bien évidemment, tout le monde se met à gueuler Ohhhh noooon ! et à reprendre en chœur : Redrum ! Redrum ! Redrum ! Valoche calme tout le monde en nous éblouissant avec la lumière du plafond.

L’invité de dernière minute qu’elle est partie accueillir va se faire lyncher par cette bande de lesbiennes en furie. Je n’aimerais pas être à sa place.

— Désolé d’être en retard ! lance le mec qui vient de faire son entrée.

J’écarquille les yeux. Décidément, j’ai bien fait de venir. Monsieur Parfait vient d'apparaître.

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