Partie 4 (Fin)

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Il ouvrit brusquement les yeux. L’herbe lui chatouillait le nez tandis qu’il entendait son amie affolée au-dessus de lui.

— Debout, debout ! Viiite !

Il se releva en reprenant conscience du lieu où il se trouvait à présent. La forêt l’entourait toujours, mais toutes les créatures avaient disparu. Quel rêve était-il en train de faire la seconde précédente déjà ?

— Il n’y a plus personne, dit-il une pointe de déception dans la voix.

— Évidemment ! Viens, on y va !

Elle lui agrippa le bras et n’attendit pas qu’il proteste pour se mettre à courir.

— Cours, cours, cours, hurlait-elle.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? réussit-il à demander la voix tremblante par la course.

Ils écrasaient des monticules de terre, glissaient sur la mousse, piétinaient le lichen et zigzaguaient entre les rochers qui leur arrachaient la peau.

Son amie l’attira derrière l’un d’eux et mit son doigt sur la bouche. Le garçon hocha la tête, toujours aussi dubitatif sur ce qu’il devait déduire de la situation. Lui faisait-elle une blague, comme elle adorait tant un faire ? Ou était-elle sincère ? Parce que son expression semblait vraie : son sérieux, sa colère et sa peur… Elle n’avait pas non plus cet œil brillant qui la trahissait souvent.

Elle tata la paroi en murmurant « ouvre-toi, ouvre-toi, ouvre, ouvre… », et un espace obscur apparu entre le rocher et le sol tapissé de feuille. Elle sauta dans le trou qui n’était pas bien profond en tirant le manche du garçon. L’ouverture se réduisit derrière eux jusqu’à n’être plus qu’un fin filet de lumière blanche.

Les jambes repliées contre elle, son amie soufflait lourdement.

— Les envahisseurs, marmonna-t-elle. Les envahisseurs, grogna-t-elle.

— Qu’est-ce que c’est ? murmura-t-il.

— Ils viennent pour tout piller, répondit-elle. Et ils attrapent les humains qui traînent dans le coin. J’ignore ce qu’ils en font ensuite. Les Voyageurs, ceux qui explorent souvent cette forêt, ne parlent que de ça en ce moment. Il paraît que des dizaines d’entre eux ont déjà disparu. Moi, je ne suis pas censée être là ou même savoir ça. Il faut sortir d’ici.

Le garçon frissonna.

— C’est horrible…

Des éclats de voix se firent entendre. Ça criait entre les arbres et on piétinait l’humus. Il y avait beaucoup de bruit tout à coup. Puis le rayon qui les éclairait se trouva obstrué parce qu’il sembla être une botte. Quelque chose frappait le rocher au-dessus de leur tête, à mainte reprise, comme pour deviner s’il était creux ou plein.

— Là, il y en a là ! cria quelqu’un.

— Non, il a compris qu’il n’était pas vrai. Tiens-moi la main !

Il s’exécuta devant son urgence.

— N’oublie pas : on est invincible !

Il hocha la tête pourtant sans comprendre, tandis qu’au-dessus de lui on creusait la terre et fracassait des choses sur la pierre.

— Une fois sortis, tu cours et tu ne t’arrêtes pas, jamais !

Il acquiesça toujours aussi bêtement. Sans qu’il ne s’attende à quoi que ce soit, son amie sauta et traversa la terre aussi facilement qu’un petit animal l’aurait fait et l’entraîna à l’opposé des voix qu’ils percevaient.

Il risqua un coup d’œil par-dessus son épaule et vu des adultes habillés de toutes manières différentes. Certains ressemblaient à des délinquants, d’autres des militaires de la seconde Guerre Mondiale ou actuels de toutes les armées ; il y avait des tueurs à gages et des tueurs en séries… Mais ils avaient tous le regard fou de ceux prêts à vous égorger et vous étriper pour vous manger par la suite. Leurs pupilles étaient rouges.

Le garçon frissonna.

Un minotaure sauta sur leurs ennemis les décimant à la hache, une hache immense entièrement ferraillée dont le manche était couvert de lierres. Malgré tout, des envahisseurs réussirent à lui échapper.

— Ils sont… après… nous ! s’exclama-t-il.

Son amie ne répondit pas. Elle se retourna et une main tendue vers un arbre, elle le projeta contre leurs ennemis, sous une pluie de boue et de mousse.

— On est invincible ! hurla-t-elle.

Progressivement, ses jambes doublèrent de taille et ses mains grandirent assez pour porter deux enfant de sa taille. Elle incita son ami à sauter dans sa paume et ils partirent à toute vitesse.

Mais leurs poursuivants étaient aussi rapides.

Elle toucha cinq arbres qu’ils croisèrent et ceux-ci prirent vie sous les yeux ébahis du garçon. Leurs racines se délogèrent de terre et claquèrent comme des fouets. Les branches se divisèrent en cinq doigts de la main, longs et effilés. Ils les griffèrent, les attrapèrent et les broyèrent entre leurs membres sous les flocons verts de leurs coiffes.

Le garçon était à la fois effrayé et impressionné. Son amie avait raison : ils étaient invincibles !

Il savait qu’il n’avait pas la même force qu’elle, mais il tenta sa chance. Il imagina un nuage d’acide planant sur leurs rivaux, et celui-ci apparut, formé comme de la brume. Aussitôt leurs ennemis se plièrent sous la douche brulante.

Ils n’eurent plus à courir. Le garçon sauta de la main de son amie qui reprit petit à petit sa forme habituelle.

Elle sourit.

— Tu les as battus. Tu les as battus ! Tu es génial ! s’écria-t-elle en sautant à son cou.

Bien que le garçon se réjouissait, il attira l’attention de son amie.

— Ils se décomposent.

La fillette se retourna assez vite pour les voir se désintégrer et se fondre à l’humus.

— Oh, ils n’étaient pas réels ! Les envahisseurs ne sont pas vrais, alors ? (Ses yeux brillèrent) Les Voyageurs ont parlé d’une partie de l’Imaginaire qui prendrait son indépendance. Ça doit être ça ! Mais je crois qu’elle est faible (elle se mit à marcher autour de lui) : ils n’étaient pas plus d’une vingtaine, ils n’avaient pas d’arme, n’ont pas imaginé quoi que ce soit pour nous rattraper… C’est étrange, tu ne crois pas ? Un morceau de l’Imaginaire qui serait indomptable.

Le garçon acquiesça.

– Peut-être.

Mais au même moment, il sentit un tiraillement dans sa poitrine, le même effet que les liens qui les reliaient à ses créations. Son amie ne sembla rien remarquer.

– Je devrais poser des questions aux Voyageurs, continua-t-elle. Mais si je fais ça, ils sauront que je suis venue ici. Oh, et puis s’ils apprennent que je t’y ai amené avec moi, on est tous les deux dans de beaux draps. Ah ! on devrait mener notre propre recherche, qu’est-ce que tu en dis ?

Le garçon voulu se plier en deux tant la douleur était insupportable, mais il demeurait immobile, impossible d’agir. Son visage sourit malgré lui et ses yeux le brulèrent.

— Ça serait excitant ! dit-elle en sautillant. On rencontrerait peut-être d’autres envahisseurs, et on les tuerait tous ! Parce qu’on est les plus fo…

La fillette vacilla. Sa tête commença à tourner ; elle porta ses mains à son torse. Ses vêtements rougirent et son sang goutta sur les feuilles mortes.

— Mai… Mais…

Elle vit le garçon s’humecter les lèvres, tout sourire et les yeux rouges d’un éclat sanguinaire. Il retira brusquement sa main du torse de la fillette qui tomba sur un tapis de mousse et de lichen, et il lécha goulument ses doigts donnant une couleur à ses dents peu avant blanches.

La fillette ne put balbutier un mot de plus et du sang explosa hors de sa bouche. Elle eut tout juste le temps de voir les premières créations du garçon se pencher sur elle, les yeux aussi cruels que leur propriétaire, puis elle sombra dans une infinité ténébreuse.



Alors, quelques théories sur cette fin tragique ? Je serais curieuse 

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