Mon livre bonbon
Je suis cette petite fille, Momo, allongée sur la banquette arrière de l'automobile, sans âge, sans famille, venue de nulle part et partie en vacances dans les Gorges du Tarn avec, pour seul horizon, ses rêves secrets de petit poisson.
Des fenêtres de ce vaisseau cosmique qui me transporte aux confins d’une autre région pittoresque et sauvage, je ne vois rien. Les panoramas défilent sur ces petites routes méandreuses à flanc de canyon et mon esprit vagabonde ailleurs.
Ma mère martèle sans arrêt :
- « Mélanie, tu pourrais profiter du paysage au moins, regarde c’est magnifique ! », « Arrête de lire en voiture, tu vas être malade ! », « C’est bien la peine de t’emmener en vacances en Lozère, la prochaine fois nous irons à Tulle ! »
Je daigne enfin lever le nez et pensive, je m’amuse de ce slogan touristique des campagnes publicitaires de mon département « Sors de ta bulle, vas à Tulle ! » Je ris intérieurement. Cela dure trois secondes, le temps de replonger dans les abysses de ma lecture comme un apnéïste atteint du syndrôme de la narcose.
Je suis télétransportée dans d’autres contrées aux paysages lointains, un amphithéâtre en ruine, une cité désolée dans laquelle de mystérieux hommes en gris ont peu à peu volé la joie de vivre aux hommes en les privant de leur temps. Une tortue magique du nom de Cassiopée m’emmène dans la maison de Nulle part à la rencontre d’un administrateur du temps appelé maitre Hora et avec lui, je vais prendre tout le mien, le temps de la lecture, le temps des vacances, le temps du temps qui s’étire indéfiniment dans le plaisir de rêver et de lire, le temps de rattraper le temps volé du reste de l’année.
Ce livre s’appelle Momo ou la Mystérieuse histoire des voleurs de temps et de l’enfant qui a rendu aux hommes le temps volé. Il a été écrit par un grand Monsieur visionnaire du nom de Michael Ende en 1973, auteur de la non moins célèbre Histoire sans fin. Cinq ans avant que je naisse, il dénonçait déjà à travers ce conte fantastique ce que nous subissons aujourd’hui de plein fouet : un capitalisme débridé, indécent et destructeur non seulement pour notre planète mais aussi pour ce qui reste en nous de fondamentalement humain : la fraternité. La vie n’est que le temps d’un espace sur lequel il nous est mystérieusement offert de cheminer. Depuis toujours j'observe ce temps qui nous est compté alors qu’il représente notre seule et unique richesse. Le temps entre en distorsion quand il est confronté à la mort. Je pense qu'il serait temps d’apprendre enfin à s’ennuyer un peu. Il serait temps d’apprendre enfin aux enfants à retrouver le temps de l’insouciance, le temps du jeu, de la créativité, de la lecture et de l’imagination. Il serait temps de se poser la question du sens réel de la vie, du sens de l’évaluation dès la maternelle, de la compétition et de la comparaison constante. Chaque vie a son propre rythme et son propre temps et personne n’est maitre de la vitesse du petit train train de chacun.
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