11.Affronter avec audace
"Et à ce moment précis, une pensée presque obsessionnelle m'envahit:
Qui se souviendra de moi ?"
Des mots qui marquent, qui s'éternisent dans la pensée de ceux dont le départ est imminent.
Une dernière lettre. Un dernier appel, de détresse sans doute face à un avenir qui n'en est pas un. Le début d'une fin. L'aboutissement d'une vie réduite en poussière comme si elle n'avait jamais existé. Tel un souvenir lointain dont on ne retrouve que des bribes floues destiné à disparaître dans l'oubli, sans empreinte, ni accroche...
Et d'une certaine façon, ce parchemin représentait un acte final de résistance, d'un acharnement à transmettre son essence qui se dissipe lentement dans l'air comme une brume de saison passagère et volatile.
Ce parchemin était une marque d'une résistance pour laisser une trace imperceptible mais précieuse dans l'univers infini des souvenirs.
Une trace marquée à jamais dans l'esprit de la jeune femme aux milles tremblements qui essayait de juger de l'exaustivité de ce récit.
Ce qui était sûr est qu'elle était à la fois touchée et terrifiée.
Était-ce la vérité ? Une vérité ? Ou un mélange de mensonge et de folie ?
Siya relut pour une seconde fois le parchemin, à la recherche d'une réponse, d'une confirmation, d'une trace aussi futile soit-elle. Les mots tracés sur le papier semblaient se dérober sous son regard, dansant entre les lignes, échappant à toute définition claire.
Les doutes tourbillonnaient dans son esprit, s'entremêlant avec les sentiments complexes qui l'envahissaient. Peut-être était-ce la peur de se confronter à une vérité inattendue, ou peut-être était-ce le désir désespéré de trouver une signification dans cette existence tourmentée dont elle avait pris connaissance ?
Et puis elle trouva. Cette trace futile sous la forme d'une adresse et un nom.
Docteur Wiljauke, chemin du nord 24 , marché d'Acra, Mirabelle.
L'adresse était comme une lueur d'espoir dans l'obscurité de ses questions. Siya sentait une étrange connexion avec ce nom, comme si quelque chose d'important se cachait derrière ces mots.
Mais cette indication fut coupée par un rappel sordide.
Celui de la forêt d'Oris et de l'image indélébile de la confession de son frère lui revint à l'esprit.
"Le cri qui m'est venu ce jour-là, le cri d'un homme sur le point d'être arraché à la vie. Je m'en rappellerai toujours Siya, il s'est ancré en moi à jamais."
La jeune femme sentit un frisson glacial lui parcourir l'échine. Les souvenirs douloureux se bousculaient dans son esprit, créant un tourbillon de confusion et de peur. Elle laissa le parchemin qu'elle tenait rouler sur le sol en bois, ses mains tremblantes encore davantage.
Et si ?
Le visage de son frère, empreint d'une souffrance inexprimable, se superposait pour une raison inconnue à l'image du vieil homme.
Un sentiment d'urgence la poussa à agir et elle se releva subitement. La sueur perlait abondamment sur son front témoignant de son effroi.
"Charles" répéta-t-elle avant d'ouvrir sa porte et de dévaler les escaliers dans un état propre à la folie.
Siya se laissa guider par son instinct, ses pas précipités la conduisant dans le corridor, puis dans la chambre de son cher frère qui était vide soigneusement rangée à la perfection.
Son lit était fait avec précision, comme s'il n'avait jamais été utilisé. Ses affaires étaient méticuleusement ordonnées, mais il manquait cette présence chaleureuse et familière qui aurait dû remplir la pièce.
Un frisson glacial parcourut l'échine de Siya alors qu'une inquiétude grandissante s'empara d'elle.
Mais la jeune femme ne s'attarda pas et dévala les escaliers, une seule pensée à l'esprit, et dans le hall d'entrée elle tomba nez à nez avec sa mère, assise près de belles flammes, une couverture en laine rouge orangée remontait jusqu'à ses épaules avachies.
- Siya, ma fille ne t'ai-tu pas encore endormie ?
Son ton était légèrement froissé qui témoignait du passage de leurs semblant de dispute quelques heures plus tôt.
Mais lorsqu'elle dévisagea sa fille, elle rencontra enfin la pâleur de ses joues, de sa robe en pliés, ses mèches rebelles et son regard affolé.
-Siya, que se passe-t-il ? Tu as l'air bouleversée !
La voix de sa mère était à présent empreinte de sollicitude et un début d'inquiétude.
-Où est Charles ? fit siya avec un affolement palpable.
-Il doit sûrement être endormi à l'heure qu'il est.
Suite à cette réponse, Siya ne resta pas dans le hall une minute de plus sans même donner d'explications à sa mère qui cria son prénom à plusieurs reprises, mais en vain.
Son instinct avait repris le dessus. Et elle se rappela des bribes de mots gravés à présent dans son esprit.
"Je ressentie alors leurs appel. Il m'ordonnait de les rejoindre là ou tout a commencé dans la foret d'Oris, lieu de leurs réveils."
Alors telle en transe dictée par l'urgence de son inquiétude qui embrumait sa perception du danger, une voix intérieur lui chuchota la réponse.
La jeune femme se précipita alors loin de la chaleur de la taverne, vers la froideur d'une nuit nocturne ou un vent fort manqua de la faire trébucher dans sa légère robe bleutée.
Mais elle n'en prit pas attention et courut du mieux qu'elle le pouvait... les pans de sa robe humidifié par une texture sinueuse de terre et de boue... elle courait à vive allure...comme si sa vie en dépendait... ou plutôt vers sans doute sa propre mort... ordonnée par cet instinct d'urgence si puissant qui l'animait afin d'ignorer les avertissements silencieux de la prudence, de foncer tête baissée.
Ce même instinct fut comblée par une bouffée d'adrénaline qui pulsait dans ses veines nourrissant cette impulsion irréfléchie.
Et à l'entrée de la foret d'Oris, son souffle fut coupé par une horrifiante constatation.
Un sillon rougeâtre lui montrait le chemin.
"Charles !"
Siya s'engouffra alors dans les profondeurs mystérieuses de la forêt malgré tout et contre tout...
Il était temps d'affronter avec audace car elle faisait à présent l'objet de sa quête...
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