13. Oublié (2)
"Un questionnement par l'absurde nécessitait un raisonnement par l'absurde."
Toute trempée de la tête au pied et dans un état plus que exécrable, Siya franchit la porte de la Taverne qui malgré sa chaleur ne pu réchauffer son cœur vide, dénué de toute étincelle et hardiesse.
Une nouvelle angoisse naquit dans son esprit alors qu'elle retrouva à l'entrée sa mère dans un état similaire: les yeux embrumés et les cheveux rebelles, son tablier défaits et ses rides encore plus proéminents.
Comment allait-elle lui annoncer la terrible nouvelle ?
Siya leva les yeux vers elle, et vit son visage pâle et défait. Elle ne pouvait imaginer que quelque chose de pire aurait pu se produire. Pourtant, alors qu'elle s'avançait en titubant, affaiblie et à peine capable de marcher ou de voir avec ses interminables larmes coulant déjà sur ses joues, elle ne s'attendit pas à sa réaction.
D'un geste brusque, la matriarche la gifla, laissant une marque rouge sur sa joue.
- "Où étais-tu ?" hurla Douria, les larmes coulant à flots.
Siya s'effondra par terre en larmes, incapable de prononcer un mot.
- Mère...c'est terrible...Charles...Charles...j'ai été incapable de le sauver...il...Charles...
Les murs en bois massif semblaient peser sur elle, de telle sorte que sa voix fut brisée. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était répéter le prénom de son frère idiotement.
- Qui est Charles ?
Les yeux verts de la jeune femme s'agrandirent. Elle fixa sa mère avec incompréhension, incapable de croire ce qu'elle venait d'entendre.
Un silence angoissant pris place, une tension palpable ou la jeune femme était au bord de la crise de nerfs.
-Comment...comment peux-tu demander qui est Charles ?, balbutia-t-elle, essayant de se convaincre qu'elle n'avait pas mal entendu.
Douria la regarda d'un air perplexe, ses yeux cherchant un sens à ce que sa fille venait de dire.
- Charles ? Qui est-ce ?" répéta-t-elle, semblant sincèrement confuse.
Le cœur de Siya se serra dans sa poitrine encore plus.
- Comment ?...je...je ne comprend pas...
C'était comme si sa mère avait effacé de sa mémoire tout souvenir de son propre fils.
Le cauchemar qu'elle vivait en devenait de plus en plus sordide.
- Mère...cesse de plaisanter, supplia la jeune femme au piètre état d'une voix tremblante, espèrant que cela n'était qu'un mauvais rêve. Mais le regard confus de sa mère ne fit que renforcer l'horrible réalité.
Siya se souvint alors que, parfois, des événements traumatisants pouvaient provoquer une amnésie, effaçant des souvenirs pour protéger l'esprit des chocs émotionnels. Mais cela ne pouvait pas expliquer pourquoi sa mère avait oublié Charles sans même entendre son nom.
- Mère, tu dois te souvenir de lui...c'est ton fils, mon frère, Charles ! Nous avons grandi ensemble, nous étions une famille ! lança-t-elle avec une immense détresse.
Douria fronça les sourcils, semblant agacée par les insistantes affirmations de Siya.
- Arrêtes de dire des absurdités ! Je n'ai jamais eu de fils nommé Charles. Tu es mon unique enfant, Siya, déclara-t-elle d'un ton sec et elle continua, où étais-tu ?! Ton père est parti à ta recherche, tu nous a tellement fait peur.
Un rire désespéré sortit de la gorge de la jeune femme, sa note dominante fut de la pure folie qui au fil des minutes devenaient de plus en plus lourde tel un long manteau incapable à porter.
- Mère si Charles n'existait pas, tu n'aurais pas toutes ses choses dans sa chambre...Tu...je ne comprend pas...
Un questionnement par l'absurde nécessitait un raisonnement par l'absurde.
Elle voulut continuer mais fut arrêtée par le bruit de pas et à présent ils étaient deux au pas de la porte: la silhouette caractéristique de son propre père et elle ; effondrée sur le perron écorché en bois; et prise sans doute d'un début de folie ou de mirage. Qui sait ?
Dans un élan nouveau de lucidité face au visage familier à ses côtés, Siya déclara comme si elle s'attendait à une confirmation grotesque du père de famille:
- Père, tu sais bien que Charles est ton fils ?!
Le visage à la fois fatigué et alarmé du père de famille suivi d'un sourcillement de ses buissons bruns perceptible grâce à l'éclairage d'une chandelle qu'il tenait de son bras droit.
Le père de famille s'approcha lentement, scrutant tour à tour sa femme et sa fille d'un air perplexe. Ses yeux montraient à la fois fatigue et inquiétude. Il s'agenouilla alors près de Siya, puis posant une main réconfortante sur son épaule.
- Siya, tout va bien maintenant, dit-il d'une voix qui se voulait calme et rassurante. Tu es de retour saine et sauf.
Siya leva les yeux vers lui et répéta dans un dernier espoir:
- Père, comment peux-tu ne pas te souvenir de Charles ? Toi aussi ? demanda-t-elle, les larmes roulant toujours sur ses joues.
Son père sembla troublé, réfléchissant à ses paroles.
- Charles ? répéta-t-il, comme s'il essayait de rassembler ses pensées, Je suis désolé, mais je ne sais pas de qui tu parles.
Toute tremblante, Siya se releva, ignorant la douleur et les milliers de spasmes qui la parcouraient. Elle monta les escaliers , se dirigea d'un pas hésitant vers la chambre de son frère, ne perdant pas une seconde de plus . Elle poussa la porte entrouverte, espérant y trouver des preuves tangibles de l'existence de son frère . Aussi futiles qu'ils soient...
Seulement lorsqu'elle s'aventura dans son espace elle pensa être prise de démence car il n'y avait rien.
Aucune trace.
Le vide.
Un oubli constant. Et une nouvelle existence, de meubles nouvellement peints qui n'étaient pas les siens.
Son essence effacée, comme une étoile éteinte, au firmament endormi.
Un être oublié, un mirage pitoyable qui dans un dernier élan , implore:
"Qui se souviendras de moi ?"
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