15. Toute votre rage, toute votre peine

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"Et puis l'occasion propice arriva sous la forme d'une visite particulière."

Personne ne comprend réellement la douleur de l'autre.

Car celle-ci est cachée, refoulée et malgré son évidence, elle est incomprise.

C'est une expérience unique, une toile tissée de fils invisibles ou seul un peintre unique fait danser son propre pinceau indivisible.

Les couleurs de la douleur varient également, elles sont nuancées et profondes.

Chaque teinte une émotion, chaque nuance perdue dans le silence.

Les mots également ne peuvent saisir la profondeur de cette mer, de la même façon Siya sentais que ses émotions se tenait au bord d'un tumulte intérieur tels des vagues déferlants en elle, une mer en expansion.

Seule une pensée à présent habitait son esprit, et la confortait, une motivation pour se contrôler et continuer à aller de l'avant...

"J'irai jusqu'au bout, jusqu'au bout de ma folie, pour toi Charles", se répétait elle.

Alors lorsque le médecin venu se renseigner de son état s'apprêter à quitter la pièce, la mer en expansion manqua de déferler ses vagues. Toute sa rage, toute sa peine.

- Excusez-moi docteur Harrington, commença-t-elle, le docteur Wiljauke . Le connaissez-vous ? cria-t-elle sans s'en rendre compte.

Sa seule piste tangible, les souvenirs d'un vieux parchemin.

Le dénommée docteur se retourna, ajustant ses petites lunettes sur l'arrête de son nez mince et sourcilla, comme pris par une longue réflexion.

- Oh, le docteur Wiljauke, fit-il d'un ton pensif, comme si les souvenirs lointains remontaient à la surface de sa mémoire, oui, je connais ce nom. C'était un homme remarquable, un guérisseur émérite et un botaniste passionné. Sa réputation dans le domaine des soins et de la botanique était... incontestable.

La jeune femme le fixa du regard comme pour l'inciter à poursuivre, ce qu'il fit :

- Mais cela fait un bon moment que je n'ai plus entendu parler de lui...Je crois qu'il a arrêté de pratiquer depuis un long moment...certains disent même qu'il ne sort plus de chez lui.

L'homme à la blouse blanche hésita quelques minutes puis haussa ses épaules et ajouta d'une voix plus basse, celle de la confidence :

- Ce ne sont que des rumeurs... des commérages... mais certains disent qu'il a perdu la raison.

La voix du docteur Harrington sembla résonner dans l'air, et Siya absorbait chaque mot avec une attention nouvelle.

- Perdu la raison ? murmura-t-elle enfin, une lueur d'intrigue dans une brume de tristesse, Pourquoi donc ?

Le docteur Harrington hésita une seconde fois comme s'il pesait ses paroles avec précaution.

- Les détails sont flous...certaines personnes disent qu'il a été profondément affecté par une tragédie personnelle...quelque chose qu'il l'a brisé, en quelque sorte.

Et il ajouta pour que ses dires ne passent pas pour un jugement de sa part, simplement une recension :

- Mais vous savez les rumeurs peuvent être... trompeuses.

Siya sentit la fatigue la submerger à nouveau alors elle finit par sourire poliment ; un sourire qui ressemblait davantage à une grimace.

- Merci docteur, dit-elle simplement avant qu'il ne referme la porte en bois d'un air compatissant.

Après son départ Siya laissa ses pensées vagabonder. Ses paroles résonnaient en elle comme des fragments d'une énigme qui se rassemblaient lentement. Elle se mit à repenser au parchemin qu'elle avait laissé à la taverne, à ces indices épars qui la conduisaient peut-être vers une vérité. La vérité ou la sienne ?

Et dans sa réflexion, l'incroyable torpeur refit surface la plongeant dans un faux état de sérénité, ses respirations de plus en plus calmes. Telle une sensation de légèreté, comme si elle flottait au-dessus des nuages, ses pensées voguant dans un océan de tranquillité que son corps fatigué dictait...

...

Les jours s'écoulaient paisiblement, ponctués par les visites de ses parents et sa tante et le bruit des clients curieux qui passaient le pas de la librairie. La jeune femme aux regard à présent perdu se sentait progressivement restaurée. Malgré son état mental complètement chamboulé, son corps retrouvait sa vitalité.

Siya avait d'ailleurs légèrement maigri, se contentant de se nourrir pour survivre, elle savait que ce n'était qu'une question de temps pour que ses parents ne veuillent rentrer à la taverne. C'est pour cette unique et principale raison qu'elle concoctait sa propre escapade. Un plan à mettre en exécution.

Car il était temps de dissiper peu à peu les nuages sombres qui avaient enveloppé son cœur par l'action.

Et puis l'occasion propice arriva sous la forme d'une visite particulière.

Sous la forme d'un jeune homme à l'allure de couturier qui fit son entrée dans la pièce ou elle séjournait depuis peu à l'étage de la librairie de sa tante Fiona.

Porteur d'un grand bouquet délicat. Des roses qui exprimaient ses vœux de rétablissement.

Une sensation de dissonance. Elle aurait préféré le lotus.

Assise à son lit, ses cheveux ondulés légèrement redressés, son regard resta longtemps posé sur les pétales fraiches entre ses mains dont les manches étaient brodés en dentelle.

- Mlle Siya, je...je vous apporte ces fleurs en espérant qu'elles illumineront votre journée, déclara-t-il timidement au pas de la porte.

- Merci bien, répondit-t-elle simplement.

Elle leva sa tête, et accepta le bouquet avec un sourire poli, losqu'il s'avança a son chevet en titubant presque, mais le regard de déception ne put être masqué. Ses pensées dérivèrent à nouveau vers le soldat malgré elle.

Celui doté d'une lueur d'intérêt dans les yeux et d'une douceur dans l'air...

Elle ne put s'empêcher de penser si lui, un étranger, pourrait peut-être la comprendre, la croire et peut-être même se rappeler de Charles ?

- Comment vous sentez-vous ? osa demander l'homme vêtu d'un ensemble de tissus et couleurs harmonieusement assortis.

Siya jeta un coup d'œil au coin discret de la pièce ou elle séjournait, un sac soigneusement préparé attendait, renfermant des provisions, des vêtements de rechange et l'adresse tant convoitée sur un bout de papier qu'elle avait préparé la veille.

Il ne restait qu'à mettre son plan à exécution...

Une subtile manipulation, exempte de tout signe de culpabilité car elle s'avérait nécessaire.

Elle avait ignoré sa question durant de longues minutes, si bien que le couturier bégaya embarassé :

- Mlle Siya...si vous ne vous sentez pas encore...je peux très bien revenir dem...

- Je me sens mieux, merci de vous en soucier, le coupa-t-elle, ces roses sont vraiment magnifiques, c'est très gentil de votre part, Thomas.

Siya marqua une pause après ce mensonge. Cette sensation de dissonance lui revint car elle aurait préféré le lotus. Puis elle poursuiva :

- Vous savez, j'ai entendu dire que vous êtes doué pour repérer des détails subtils dans les couleurs. Cela demande une certaine sensibilité n'est-ce pas ?

Le jeune couturier sembla à la fois flatté et surpris de son observation.

- Et bien...je suppose que oui ...mon travail exige une certaine attention aux détails.

Siya prit une profonde inspiration et déclara d'une voix suave :

- Je me demandais si vous pourriez m'aider en une tache qui nécessite votre impeccable sensibilité. M'accompagnerez-vous au marché ?

- Aujourd'hui ?!, s'exclama-t-il presque, sa voix montant dans les aigus.

- Dans quelques minutes, juste le temps de me préparer.

- C'est que Mlle Siya...je ne voudrais pas...compte tenu de votre situation actuelle...et puis il faudrait l'approbation de vos chers parents...mais ce serait un honneur de vous accompagner...ce n'est pas que je ne le souhaiterais pas...au contraire...

- Je suis bien sûr que mes parents n'y verront aucun inconvénient si c'est ce qui vous préoccupe, déclara-t-elle fermement.

Sa résignation eu don de convaincre le couturier qui hocha de la tête et s'empressa de l'attendre sur le perron de l'humble librairie sous le regard ravi de la matriarche, ne se doutant pas le moins du monde de sa douteuse manipulation en vue d'une prometteuse escapade...

...

Siya huma l'air, cherchant un moment de répit. Les efforts qu'elle avait dû déployer pour maintenir une façade courtoise et souriante l'avaient épuisée.

Elle marchait en silence, accompagné de Thomas qui par moment lui jetait des coups d'œil furtifs, comme s'il tentait de trouver les mots justes.

Les rues du marché étaient animées et les étals colorés s'étalant devant eux avec une variété éblouissante de produits en ce début d'après-midi.

Son esprit s'agitait. Comment allait-elle se débarrasser de lui ? Siya avait orchestré cette sortie car cela était le seul moyen de chercher des réponses, mais maintenant qu'elle se trouvait en compagnie du jeune homme, elle se rendait compte que cela pourrait être plus compliqué que prévu.

Thomas finit par rompre le silence.

- Vous savez Mlle Siya, le marché est un endroit fascinant. Tout semble si vivant ici.

Vivant.

Charles en monstre sans vie.

Vivant.

Charles aux regard vide et aux griffes lacérés de sang.

Vivant.

Une chose que nous prenons souvent pour acquise.

- Mlle Siya, vous allez bien ? Nous pouvons retourner si vous désirez, vous êtes bien pale.

- Non ! cria-t-elle, instinctivement un frisson lui parcourant l'échine. Quelques passants se retournèrent en la fixant, interloqués.

Un silence pesant pris place de longues minutes ou seuls leurs pas et le bruit du marché pouvait s'entendre.

- Oui Thomas, je vais bien, finit-elle par souffler d'une voix redevenu calme, parfois je me perds simplement dans mes pensées.

Le jeune couturier, déconcerté fini par acquiescer quelque peu perdu.

- Je comprends...surtout n'hésitez pas...si vous vous sentez subitement mal.

Siya hocha la tête distraitement, essayant de penser à la meilleure façon de gérer la situation. Elle devait trouver un moyen de se défaire de Thomas sans paraitre désintéressée ou grossière.

- J'ai aussi toujours aimé l'atmosphère du marché.

Thomas se racla la gorge, visiblement nerveux, alors qu'ils marchaient cote à cote sur l'artère principale du gigantesque marché d'Acra.

- Et bien, Mlle Siya, si je puis me permettre, que cherchez-vous exactement ? Peut-être pourrais-je vous aider à repérer ces détails subtils que vous appréciez tant ?

Elle esquissa un sourire doux et faux.

- C'est très aimable à vous Thomas. En fait je cherche quelque chose de très spécifique, un peu comme ...

Son regard se posa sur un vendeur de fleurs à proximité, et elle prit une inspiration calculée.

- Un bouquet de fleurs à assembler pour une très chère amie, un peu comme le vôtre.

Thomas sembla intrigué et suivit son regard vers le vendeur en question.

- Oh, je vois. Trouver le bouquet parfait, c'est toute une mission. Un peu comme lorsqu'on tricote un vêtement, je pourrais peut-être vous aider.

- Vraiment !? Ce serait formidable ! J'aimerais que mon bouquet exprime toute l'amitié et l'amour que j'ai pour elle !

Alors qu'ils s'approchaient de l'échoppe, elle prétendit observer les différentes variétés tandis que le jeune couturier se penchait pour examiner les bouquets avec enthousiasme.

Alors que Thomas était absorbé de son choix, Siya saisit l'opportunité. Elle se glissa habilement dans la foule du marché, se fondant dans la multitude des passants, ou elle se sentit enfin libre...

...

Le soleil se couchait très vite durant cette période de l'année. Ses rayons fins laissaient place à celles de petites lanternes bleutées qui illuminaient les petites ruelles.

Après avoir laissé Thomas concentré dans son assemblage de roses, Siya ne s'était pas arrêté de marcher durant des heures, animée par la fervente inquiétude qu'il ne la retrouve rapidement et lui demande des explications. Pire encore lui demande de rentrer.

Aussi, elle avait depuis lors quitté la grande artère du marché d'Acra pour se perdre dans une dédale de rues plus étroites et moins fréquentées.

« Il ne me retrouvera pas ici », pensa-t-elle tout fort.

Les couleurs de la douleur, les nuances de l'incertitude la poussait de l'avant mais la fatigue repris très vite le dessus, car elle décida enfin de prendre une pause. Elle s'assit sur une des marches d'une échoppe fermé et sortit de son sac une bouteille d'eau et du pain frais.

Siya prit une gorgée d'eau fraiche et mordit le pain, la sensation apaisante de la nourriture lui redonnant un peu d'énergie.

Le ciel devenait de plus en plus sombre, et les lanternes semblaient briller plus intensément lorsque Siya se leva et rangea ses affaires, prête à repartir.

Seulement le silence de la ruelle fut coupé par un cri déchirant.

Un cri transmettant toute une rage, toute une peine...

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