22. Nous nous reverrons
" Je me rappelles alors ma promesse..."
- Bien, il est temps de mettre vos compétences médicinales à l'épreuve, plaisanta-t-il pour alléger l'atmosphère.
Siya esquissa un léger sourire avant de se consacrer à sa tâche, relevant ce défi avec minutie.
A coté d'une flaque nauséabonde, la jeune femme tenait un tissu désinfecté d'alcool dans une main, une aiguille bien pointue dans l'autre, tout cela sortie d'une trousse de soins étonneament bien conservée.
Et, en l'espace d'une quinzaine de minutes, elle parvint à désinfecter la plaie et à suturer avec précision l'ouverture, qui, heureusement, n'avait pas atteint les organes vitaux. Le docteur observait, admiratif, sa dextérité et son calme concentré, ajoutant "talentueuse" à la liste des qualificatifs qu'il avait en tête, bien qu'il ne la connaisse que depuis peu.
L'air était épais, chargé d'une odeur acre mêlée à celle d'une eau stagnante de cette galerie souterraine.Le silence fut brisé en premier par le vieil homme:
- Hum...je devrais vous remercier.
Les doigts agiles de Siya s'arrêtèrent, et elle plongea son regard dans le sien, discernant son embarras.
- Vous m'avez également soignée. Je ne fais que vous rendre la pareille.
Puis, une lueur de remords traversa ses yeux rougis, lorsqu'elle continua :
- Et puis, c'est moi qui devrais m'excuser de mettre votre vie en danger. Après tout, c'est de ma faute que...
- Non... je ne vous remerciais pas pour vos soins, mais pour m'avoir ouvert les yeux.Je ne regrette rien, la coupa-t-il en pesant chaque mot avec minutie.
"Je ne regrette rien." Quelle drole de phrase. Car Siya regrettait beaucoup. En réalité, il n' ya avait pas un instant sans regrets. Le regret, oui, d'un visage contorsionné par la douleur lors de son dernier souffle. Une tristesse profonde vers la fin de sa vie qui l'avais marqué. Oui, elle regrettait, beaucoup meme.
- Il aimait quelqu'un, avait sans doute une famille précieuse, des personnes qu'il chérissait. C'est une vie...
- Gâchée ?
- Oui, confirma automatiquement Siya, une boule à la gorge l'empechant de révéler davantage.
- Il vous aurait tuée sans hésitation, et nous ne serions plus là. Mais vous avez raison. J'ai pu entendre ses dernières paroles...la valeur d'une vie...qu'est-ce qu'une mort juste ?...c'est plutot une vie en échange d'une autre.
Un long silence s'ensuivit, chacun plongé dans ses pensées personnelles. Les gouttelettes d'eau stagnante qui tombaient dans un cliquetis homogène dévalant les murs étaient synchronisés avec le rythme des cris en surface.Puis le docteur continua dans son monologue:
- La mort est-elle justifiée pour protéger d'autres ou est-elle une tragédie dans tous les cas ? Le bon choix ne réside-t-il pas dans l'effort pour préserver la vie quelle que soient les raisons et leurs relations ?...toutes ces questions...je ne prétends pas avoir de réponse après tout je ne suis qu'un vieux lâche qui s'enferme chez lui, obsédé par sa propre peur du passé...
Il sourit faiblement face à sa propre réplique.
- Peut-etre bien que mon esprit tente de me persuader que c'est plutôt une vie en échange d'une autre.
Siya scruta son visage marqué par le temps, et par des expériences qu'il n'avait jamais partagé. Après tout, il ne se connaissais que depuis peu.
- J'ai vu des vies sacrifiées pour des idéaux, des vies préservées au prix de grandes pertes. Les choix que nous faisons dans des moments de crise définissent souvent qui nous sommes. Peut-être que le plus grand défi est de ne pas perdre notre humanité en chemin...quelle choix feriez-vous ?
A présent, s'était maintenant au tour du docteur de la scruter avec un regard empreint d'interrogations. Sa boule à la gorge la retenait, l'empêchant de se livrer davantage.Les émotions étaient palpables alors que le silence s'étirait, doucement et lentement. Finalement, elle murmura, incapable de répondre à sa question, préférant partager ses sombres préoccupations:
-C'est égoïste, mais cette créature qui m'a attaquée, je ne souhaiterais pas la même chose pour Charles. Pourtant, il doit être aussi en train de sillonner les rues comme les autres... et puis je pense à ma propre famille, à leur survie dans cette folie, ce carnage... je... j'ai tellement peur... si... s'ils leur arrivaient malheur... je... je...
Dans un premier temps, le docteur ne dit rien, la laissant exprimer ses craintes.
- Ou vis votre famille ?
- Ils résident temporairement à la librairie de ma tante Fiona, c'est au coin d'une ruelle avant la place centrale du grand marché.
- Je vois.
Siya laissa ses tremblements perceptibles reprendre le controle de son corps alors qu'elle s'adossa au mur humide de la galerie souterraine.
- Le tunnel que j'ai érigé est divisé en deux intersections : l'un mène vers les jardins du palais royale, l'autre donne sur mon ancienne herboristerie près du marché. La voie la plus sure serait d'arriver à se réfugier au palais royale car je doute que les socoles peuvent y accéder...
Une phrase en suspens qui chuchote à l'oreille de l'entendeur car à présent Siya devra faire son milième choix.
- La nuit porte conseil, souffla le docteur conscient de son ruminage intérieur avant de fermer ses paupières, se laissant succomber par l'épuisement...
...
Pdv inconnu
Je rêve.
Je rêve d’amour éternelle.
Une soif nouvelle s’empare de moi.
Aucun parfum ne m'a jamais autant torturé que celui-ci.
Il embaume les fleurs et chavire mon cœur vide qui languis d’affection.
Oui, c’est vrai la soif est bien là. Une soif avide. Une soif dont l'intensité est unique, à un degré que je n'avais jamais ressenti auparavant.
Une soif qui me rappelle l'abomination que je suis, à l'allure d'un homme. Un homme qui s'éteint au fur et à mesure de son existence.
Mes prunelles tels deux fentes, deux lanternes en braise s'attardent sur cet unique carnage.
Des bâtisses enflammées et des cris suffocants.
Des monstres comme moi, abandonnés dans un état de pure mélancolie profonde. De pure perte. A la frontière du désespoir, à la porte du déséquilibre parfait, se nourrissant de peur, de corps et de sang.
Difficile d'exprimer ce sentiment d'exil, que durant tout ce temps nous avions tant espéré, des rêves en fumées, pour découvrir que le monde est inadéquat face à nos aspirations intérieures.
Nous nous sommes alors limités à l'image d'une bête dont l'horizon se limite à l'assouvissement de ses besoins nécessaires.
Je rêve d’amour mais la réalité est devant moi.
Cette soif murmure de continuer, d'aller toujours plus loin, continuellement insatisfaits de notre condition, elle dicte la destruction sous la forme d'un manta qui résonne dans mon crane.
"Le royaume est détruit.
Une destruction nécessaire.
Nécessaire à un renouveau.
Un rappel de l'aurore craintive, du sort des destinées, quand la souffrance, le chagrin et l'exil et les années ont flétris des cœurs désespérés.
Un rappel de la douleur de l'absence d'un cœur comprimé à jamais."
Car qu'est-ce qu'une mort juste ?
Est-ce celle qui retrace une vie dictée par des valeurs dignes ?
Ou est-ce une conclusion du dernier instant de l'existence ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Moi qui n'avais jamais désiré partir.
L'appel du sang a toujours été plus fort.
C'est comme si ce choix que j'ai pris il y a bien longtemps n'était plus sous mon contrôle. Il était à présent dicté par cette voix, la voix de la destruction.
Mais une seule et unique promesse m'empêche encore de m'abandonner complètement. Une promesse sous la forme d'une simple larme qui dévale sa joue. Des émotions me traversant en la voyant.
Que lui arrivera- t-il si je succombe ? Et que lui ai-t-il arrivé ? Pourtant, avant de la quitter j'avais bien veillé à dissimuler les traces de son milieu de vie. Alors pourquoi ne l'ai-je plus retrouvé ? Un des miens l'avais-t-il attaqué, elle et sa belle-famille ?Une peur soudaine et viscérale m'accable. Prisonnier de moi-même, cette même peur m'empêche de succomber.
Alors je dévale une ruelle, éclairé par une énième lueur bleutée, sourd de ces cris de douleur résonnant dans tout le marché d'Acra.
Mes pas me guident inconsciemment vers une petite herboresterie toute délabrée, alors que mes prunelles en feu cherchent avidement dans l'obscurité le moindre indice. Un indice pour ne pas succomber.
Mon esprit embrumé par la soif avait laissé place à une autre urgence, une angoisse naissante. Chaque pas résonnait dans le silence, mon esprit se débat entre la faim dévorante et cette inquiétude grandissante.
Les souvenirs se bousculent, des images fugaces, des émotions refoulées émergent. Des lambeaux de ses rires, d’un possible futur, de la chance de pouvoir enfin être...aimé...sans être oublié ?
Car oui, Je rêve.
Je rêve d’amour éternelle.
Moi, le monstre que je suis.
Et j’avance. Car oui il faut aussi avancer. Chaque coin d'ombre semble abriter une menace, un être comme moi mais ayant franchi la frontière bien au-delà, son humanité anéantie par un simple manque.
Chaque bruissement éveillent mes sens exacerbés. J'aurais pu trouver du réconfort dans cette rage insatiable, mais cette peur m'étouffe. Une peur différente...plus intime à présent...celle de la perte.
La perte de ma future.
Je me fige soudainement, capturant un murmure lointain, une plainte étouffée. Sans hésiter, je me précipite vers cette lamentation, ignorant la voix qui susurre la soif dans mes veines.
Des silhouettes éparpillées, des formes gisant au sol, alors qu'une silhouette d'un demi-cadavre socole ou humain ne me pointe du doigts la petite herboristerie en flammes, que j'avais plus tôt dépassé.
Je vacille entre l'instinct bestial et la compassion avant de plonger mon corps dans les flammes, dépassant le pied de la porte ou milles herbes séchés avaient pris une teinte rougeâtre.
Je scrute la petite pièce empreint de bocales de toutes sortes dont les murs s'enflamment.
Et c'est là. C'est...là...que je la retrouve...cachée derrière une étagère, pâle et fragile, en sueurs, entourée d'un halo de terreur, agrippant dans sa main un contenu soluble.
Mon souffle se coupe. C'est presque irréel. Que fait-t-elle, seule ici ?
Une soif nouvelle s’empare de moi.
Aucun parfum ne m'a jamais autant torturé que celui-ci.
Il embaume les fleurs et chavire mon cœur vide qui languis d’affection.
Mon amour éternelle est devant moi.
Figé pour la première fois, j'entends les battements d'une respiration haletante.
Et puis ses yeux ont croisé les miens, et le temps s'est arrêté.
Son regard est semblable au crépitement de flammes, d'une braise défiant l'impossible.
Une lueur de détermination puis de reconnaissance fugace avant qu'une vague de terreur ne les submerge à nouveau.
Je me rappelle alors ma promesse...
"Nous nous reverrons."
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