Mission 04 - [Flashback]Parmi les Exclus
lDéfi : "Une scène - 1004 histoires" de Pattelisse
Trois individus discutent autour d'un feu. Un premier se lève et part se coucher, puis un second. Le lendemain, seuls deux des individus se lèvent et se retrouvent.
---------------------------------------------------------------------------------
Le rebut, déjà assombri par la surface de Numériland, le devenait davantage lors de la tombée de la nuit. Seules quelques étincelles électriques et rougoyantes proposaient une faible lueur permettant de se repérer parmi les plaines de déchets, constitués d'autant d'items divers et variés que de polygones brisés.
L'adolescente muette s'était assoupie contre son père adoptif, un géant musclé à l'oeil gauche barrée d'une grande cicatrice blanche, lui donnant un air patibulaire. Mais Mylèna avait vite appris quelle personnalité se cachait sous la carapace de cette brute. Avant même de réapprendre la langue. Enfant, perdue et entièrement formatée, son instinct l'avait poussée à lui tendre les bras.
La chaleur du feu improvisé via les étincelles et un item trouvé par l'un des Exclus la réchauffait, lui procurait un confort rare et bienvenue, en supplément du bras presque aussi épais qu'un tronc de Kratos contre lequel elle somnolait. Sa main calleuse la recouvrait presque comme une couverture, seules ses jambes et le haut de son corps à partir de ses épaules dépassait. Une main qui pourrait la briser d'un bref mouvement. Pourtant, c'était là que l'adolescente se sentait le plus en sécurité.
Elle l'entendait discuter avec un autre Exclu, installé de l'autre côté des flammes.
— Demain, on lève le camp dès que le jour se pointe, marmonna Kratos. Paraît qu'y a des Effacés dans le coin, faudrait pas s'faire contaminer.
— Sûr qu'on a assez de problèmes comme ça ! renchérit leur compagnon du soir. Bon, demain, j'rameute tout le monde, histoire de pas en avoir quelques perdus. Si on peut éviter d'avoir des Effacés supplémentaires...
Mylèna sentit son regard peser sur elle. Elle garda les yeux fermés, comme si elle était vraiment endormie, et lutta contre son envie d'arranger sa frange rose pour masquer sa cicatrice en forme de croix, au-dessus de son arcadre sourcillière gauche. La marque des Effacés.
— Surtout que la p'tite, elle est pas capable de les dégager, ajouta leur compagnon.
L'adolescente lutta pour ne pas réagir, sans s'empêcher de s'imaginer lui jeter un regard noir.
Comment pouvait-elle attaquer ces gens, quand bien même ils avaient perdus leur âme, leurs consciences et n'étaient plus que des morts-vivants ambulants ? Il s'agissait de personnes formatées, comme elle. Mylèna restait consciente qu'elle aurait pu être parmi l'un d'eux. Pourtant, par elle ne comprenait quel miracle, elle avait survécu. Au prix d'une mémoire complètement réinitialisée, ou presque : après cette torture, elle ne s'était souvenue que de son prénom, sans plus savoir qu'il s'agissait de son identité. Cela faisait cinq années. Depuis, elle réapprenait petit à petit la langue, mais demeurait encore incapable de sortir une simple phrase. D'ailleurs, lors de sa rencontre avec les Exclus, et surtout Kratos, à part répéter son nom une fois, elle n'avait plus jamais prononcé un seul mot.
— C'est dangereux, Kratos, insista l'Exclu. Elle va mal finir, si ça continue. Et le pire, c'est que ça risque de nous embarquer vers le game over aussi.
Une vague de culpabilité poignarda la jeune fille en plein coeur. Elle savait tout cela. Pourtant, elle avait beau essayer, elle ne parvenait plus à parler.
— On a bien deux-trois faiblards parmi nous, contra Kratos avec détachement. Deux autres gosses et un ancien. On les protège et c'est tout. Un de plus ou un de moins, ça changera pas grand chose.
Mylèna se gela. Son père la considérait donc encore comme une faible. Même sans l'avoir dit méchamment, cette vérité la heurta. Elle la refusait. Et lui montrerait qu'il se trompait, rien que par esprit de contradiction. Elle ne laisserait plus jamais passer cette réflexion à son propos.
Ce fut le niveau de trop.
Alors elle remua. Kratos la libéra, elle se dégagea et partit se coucher plus loin.
— J'crois qu'elle a tout entendu, grogna l'Exclu.
— Ouais. Pas grave. La vérité, ça fait toujours mal, alors faut vite s'y habituer. On n'peut pas se permettre de s'étaler, ici. Les phases de déni, de marchandage et compagnie, on n'a pas ce luxe ! C'est des trucs de privilégiés, quand le contexte est confortable !
— Bon, après, elle a raison sur un truc : l'est tard, faudrait se coucher. Autant récupérer c'qu'on peut pour demain.
— Vas-y, proposa Kratos d'un bref coup de tête. J'prends le premier tour de garde.
— Merci, t'es un chic type.
***
Le lendemain, l'Exclu grimaça en se grattant sa tête décharnée.
— Aïe aïe... Le boss, il va encore péter une durite. Comme si on n'avait pas déjà assez d'problèmes !
Sa prédiction se réalisa. Kratos surgit entre deux tas de polygones crépitants à la manière d'un taureau enragé, les yeux fous, plusieurs veines de colère clignotant sur ses tempes.
— OÙ EST MA FILLE ? rugit-il. JE VAIS L'EMPLÂTRER !
Son compagnon haussa les épaules.
— Partie prouver sa valeur juste pour nous contredire, tu paries ? Elle a un caractère pourri, cette encatanée. J'crois qu'il lui ont vraiment arrangée le cerveau, là-haut s'tu veux mon avis.
— JE VAIS LA DÉMOLIR ! MYA ! T'ES OÙ ? VIENS ICI QUE J'TE RECADRE !
— B'en pour ça que j'suis content de pas avoir de gosses, moi.
Annotations
Versions