Prologue
Des yeux clos, une respiration honnête, des lèvres s’entrouvrant à des moments hasardeux et des narines frémissantes. Il semblait dormir, si paisible, sur le divan des patients.
La pièce était plongée dans une incommensurable obscurité ; pas une lumière ne pouvait filtrer depuis un extérieur tant réel que chimérique. Quiconque agitait un peu le pied était susceptible de sentir quelques fils disséminés sur la plaque unique de plastique verré, le sol, que l’on confondrait sans les regarder par des cadavres d’amphisbènes. Dans cette nuit contrefaite, il était impossible de déterminer d’où ils provenaient, mais si le jeune homme allongé sur la banquette n’avait pas l’ensemble de son charnel engourdis, il aurait encore pu sentir de petits cylindres froids, délivrant de maigre décharge, sur sa nuque, son front et son torse. Ses bras étaient le long de son corps, lâches, et ses paumes tournées vers le ciel noir – un ciel où les monstres, démons et fantômes du passé semblaient pouvoir surgir à tout moment, les griffes tendus vers le cou de leur proie. Quant à ses paupières, elles frétillaient sur des yeux qui ne cessaient d’exprimer leur folie, indiquant peut-être un rêve dans le sommeil qui paraissait l’envelopper avec la douceur qu’une bonne mère saurait offrir.
De l’autre côté du miroir sans tain, planté à l’opposé du divan, deux hommes tenaient à la lueur d’une ampoule maladivement blanche le dossier de personnalité que concernait ce jeune homme. Sa photo figurait sur le devant, accompagnée de son nom et prénom, date de naissance, date de recrutement… toutes informations à son sujet, plus ou moins importantes. Tout y était consigné. Il n’y avait pas un secret que ces hommes ne sachent sur lui, comme sur les autres perturbés. Ils discutaient, quand l’un d’eux demanda, au moyen d’un bracelet gris et sans brillance, si le malade dormait bien.
Un bruissement étoffé réveilla la pièce endormie entre quatre murs de silence. Une lumière artificielle jaillit d’un carré tridimensionnel, étincelant de menus lacets, et en suspension au-dessus de deux genoux croisés. Une main se leva et déplaça quelques raies bleutées.
— Dormez-vous ? demanda une voix sans autre formalité. Rêvez-vous ?
Une oreille se tendit, revenue aux aguets, et les doigts raboteux d’une main gauche se contractèrent sporadiquement. Les paupières celées par la chassie ne s’ouvrirent pas.
— Je le pensais, répondit un souffle rauque et devenu haché.
— Bien.
La main illuminée par ce soleil quadrangulaire arrangea à nouveau ces stries fluorescentes et en tira une. Une étincelle explosa sans bruit et la lumière blafarde comme un teint exsangue revint graduellement. Les pupilles du psychiatre installé dans le coin le plus reculé de l’endroit s’ajustèrent sans peine.
Les cils de l’allongé battirent deux fois, brisant ainsi le sceau naturellement formé. Il se leva, encore sonné et harassé par ce long moment en expédition solitaire. Le bleu terne de ses yeux réagit instantanément à ce nouvel éclairage et, muni d’automatisme, le caractère dur de ses traits revint.
Le jeune homme s’assit lentement, roulant mollement les épaules, tapant en silence les talons pour relancer son flux sanguin et couvrit son visage d’une main tiède et l’autre glacée, coupées et abimées, parcourant ses joues de ses pouces. Ses index dessinèrent le passage depuis longtemps connu par les coussins de ceux-ci, partant de la glabelle. Ils longèrent les ailes de son nez, entourèrent une bouche glabre et descendirent vers son menton fendu, effleurant la naissance d’une cicatrice longue comme le cubitus et ainsi se joindre à l’arc hyoïdien.
Les doigts du psychanalyste glissèrent sur une lame d’air. Ils attrapèrent sans geste brusque des lunettes étriquées pendues contre le torse et les placèrent avec négligence et précision mêlées sur un nez pointu aux infimes éphélides. Ceux-ci formant ensuite un poing au milieu des stries, ces dernières disparurent en se rétractant.
— Merci. Monsieur Shinga.
Le somnolant enleva les ventouses de son corps, encore doté d’un net manque de force, et ordonna à ses pieds de le soutenir. Au prix de ses jambes fléchis, il tituba jusqu’au mur de gauche. Il s’emmêla avec un ou deux câbles délaissés, une seconde fois sans cause, avant d’enfoncer la cloison. Elle coulissa, tandis qu’un chuintement s’échappa en libérant la pression.
Derrière ce mur, s’étendait un interminable couloir, dans lequel le temps ne semblait pas avoir sa place, tout comme la dépigmentation y trouvait son bonheur.
Un soupire tremblotant échappa à son être depuis longtemps éploré.
Monsieur Shinga reconnu pour sa patience hors-norme, prit congé de la chaise transparente, après les quelques trois heures et plus passés dans la même position, silencieux comme à ses habitudes et pensif. Il rajusta le bas de sa veste remontée et jeta un coup d’œil au chronomètre stoppé du temps de cette séance – une projection au-dessus du divan, la durée entre la mise et la désactivation des capteurs.
Ses lèvres frôlèrent son poignet, et son bracelet s’illumina au son de sa voix. Il appliquait la procédure, faisant écho à ce genre d’entretien.
— Geirison Daegan, patient de type TPPD, semble identique aux précédentes séances. À confirmer lors du visionnage.
Faisant attention à ne pas se prendre les pieds dans les fils, il emprunta le même chemin que son patient et sortit dans le couloir. Au loin, la silhouette de Daegan disparaissait. Il titubait encore et dû s’accrocher plusieurs fois aux parois qui l’entouraient pour ne pas tomber – ce genre de voyage, même pour un habitué, restait considérablement nauséeux. Et alors que le professionnel de la psychologie troublée s’apprêtait à prendre le couloir qui tournait vers sa droite, il releva son poignet.
— Je rajoute : mise en suspension de ses responsabilités au sein de cet établissement à prévoir, sauf amélioration ou alternative.
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