Antiphone

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IL :

Le recteur prévient le gros de la troupe qu’ils dormiront sur cette petite place. Engagé sur son cheval il rentre dans le campement et les hommes s’affairent déjà. Chercher des branches, allumer le feu, monter les tentes, balayer succinctement le repos, il n’en use d’aucune parole et attache solidement son cheval au tronc mort d’un peuplier. Les enfants jouent avec le feu qui s’allume. Tous se dépêchent parce que l’on ne voit presque plus grand-chose mis à part les petits courir et les plus âgés assis à même le sol. Lui déploie l’énergie qu’il lui reste pour éparpiller des planches de bois autour de la place cernée par les arbres. Car déjà les louves fixent. Les hommes ont faim et sommeil. Mais l’éveil est à sa charge. Bientôt les lueurs se flétrissent et le tumulte devient silence. Il remue seul un moignon d’agneau sur les braises fragiles du feu. Réfléchit à cette apparition de l’après-midi, entre deux parties de chasse au cerf. Ses pensées furent interrompues parce qu’un de ses compagnons sortit de sa tente. Lui aussi ressentait le besoin de parler. Précautionneusement il s’installe sur la grosse bûche de platane qui fait office de chaise face au feu. Silencieux. Lui, découpe un morceau de poitrine et le tend vers son compagnon. Il a faim. Silence. La journée sera très lourde demain. Mais les deux compagnons ont un poids sur le cœur. C’est pourquoi en chuchot l’ami rappelle au recteur que dès demain. Le sieur ne pourra se permettre d’attendre la troupe au-delà de la matinée, et que tout doit être prêt pour finir le voyage au plus tôt. Mais lui veut retourner vers ce qu’il a aperçu et ne veut pas perdre de temps. Il renonce à poursuivre et se relève. Il détache Pluie un des palefrois offerts par sa nièce et l’octroi à son compagnon de route. Le feu se tut.

ELLE:

Mes pieds sont aussi transparents que la neige mais je continue à marcher. Ma robe est striée de boue. Parce que tant que je pourrais contempler les feuilles mortes tomber des troncs rouges je me sentirai là. Ne me demandez plus où je projette de poursuivre mon chemin. Mon existence je l’ai dévouée à la Création.

Quand je trébuche sur une grosse empreinte d’ours mort j’imite le bruit du tronc fracassé par l’orage ; quand s’étendent comme il y a une semaine – c’était… - les prés de poules, je permute des poussins et des coqs en mes sœurs ou en mes pères. Les fermiers et les vagabonds me figurent perdue, volatile, sans aucune essence. Leurs regards raides me sont étrangers cependant, parce que mes yeux n’ont jamais autant voyagé que ceux d’aucun être humain. Mon regard que je redirige vers le sentier aux longues veines de fange gelée coupé par un amoncellement de mousse.

M’appuie contre le velours ocre qui sent l’inquiétude de mes doigts encrassés de sang. Mes doigts que je n’ai jamais autant sentie du bout des doigts, ma perception perverse donne mille vies à mes sens et précipite mes capacités physiques dans l’abîme. Ma bouche part par picots. Ma bouche engloutie par les ondulations de miel vert du tas de mousse que je ne veux, que je peux plus je crois, dépasser. A tout je me lie. M’écr..

IL:

Il flèche pieds nus la forêt au galop en abattant les énormes ronces et les taillis. Les larges naseaux furieux et remplis de vie montrent le chemin. C’est une course qui éclabousse les troncs millénaires et la nuit de flaques saumâtres quant au refus de s’abreuver le cheval cogne la surface des étangs de ses sabots. Alors quand ils passèrent les grands bois au petit matin le besoin de fermer les yeux se fit sentir avec de plus en plus d’insistance. Une prairie de boutons d’or s’ouvrit lentement à leurs pas de plus en plus marqués. « Repose-toi sur mon dos homme humble ». Mais lui s’il ne veut pas, s’il tapote sur le flanc de sa monture pour continuer à assurer sa marche, ce qu’il n’avait pas pour une fois prévu se laissa voir. Le cheval s’affaissa courbé par la faim. S’affaissa et s’affaissa doux et s’affaissa. Son museau dit bonjour aux petites fleurs jaunes. Alors ne sachant plus rien, espérant un secours de celui qui lui avait envoyé cette apparition pour qu’il puisse en tirer quelque science, il se désolidarise de son meilleur ami, et mollement, très mollement s’accroupit sur le sol. Il arrache un bouton d’or, deux boutons, trois bouts. Et son corps ne supporte pas le vice immiscé dans ces jolies petites fleurs.


JOUR :

J’ai fait du chemin, plus de chemin qu’aucune autre amie, pour te regarder. Prévenue de ta venue j’ai mis en valeur mes plus beaux palais et entrelaça mon cou de mes plus beaux colliers de perles. T’es-tu jamais demandé à quoi je pouvais ressembler réellement ? Tu ne m’as pas vue ailleurs que sur ce nuage parce que je suis la plus belle. Un souffle de mes lèvres et ton cœur t’aurait trahi sur le champ si tout t’aurait été révélé là ou tu as tant couru.

Ces apparats que tu m’offres je ne suis point avide de ta personne pour les accepter. Ils ne sont d’aucun monde, ni de celui dans lequel j’ai échoué à te voir, ni celui-ci. Pourquoi ne me délivres-tu pas de la façon la plus dépouillée ce que tu attendais de moi ? Pour ma part les mots ne me manquent pas pour que je sois à toi. Mais tu le sais, je répugne les mots.

Tout ce que j’ai entrevu et vécu ne m’aura servi qu’à soumettre mon regard à ta présence, et tout ce que tu as pu apporter au monde pour me contempler sera témoin de la béatitude qui s’exprime à mon égard de tes jambes, de tes nerfs et de tes cheveux, mais ce qui a fait ta faiblesse là-bas, c’est que tes jambes, tes nerfs et tes cheveux n’auront jamais assez d’yeux pour percevoir toute l’étendue de ce que j’ai conçu sur toi.

Mon âme s’est laissé porter par ce que j’ai pu entrevoir de toi avant de partir, mon sacrifice aura été celui de me rendre aveugle de tout ce que le monde pouvait me suggérer de toi. Tu as pris le chemin inverse ; tu es servante de tes sens et moi de ma propre volonté. Un homme n’aura jamais autant de tombeaux pour mourir si sur la terre il se sépare et elle se coupe de tout ce qu’ils ont fait pour se retrouver. Penses-tu avoir trop vécu ? Trop souffert pour moi ? Peut-on souffrir comme tu as souffert de vouloir absolument dépeindre l’Autre comme l’on voudrait qu’il soit ?

Là est mon erreur. Maintenant je souffre. Car maintenant de toute plante de tous les oiseaux de toutes les lagunes enneigées je n’ai jamais souffert et éprouvé autant de difficulté à percer un regard. Tes yeux ne mettent au jour que l’absence de satiété qui t’as toujours donné force et courage pour me rattraper, mais je te veux authentiquement plein, et je souffre parce que ma capacité à peindre l’abricot le roseau et la barrière se refusent à t’intégrer, tel un ornement parmi d’autres, à l’Encyclopédie de l’Amour que je poursuis.

Nos quêtes dans leurs croisements les plus intimes vont se séparer à nouveau. Mais c’est dans le refus de te porter préjudice que je veux continuer à chercher le trousseau qui me mènera à la voûte de tes songes. Regardons-nous.

Mes bras, mes jambes, mes épaules n’attendent que de respirer le saule, la baie et la mer pour m’avancer de plus en plus vers le fruit de tes efforts. Regardons-nous.

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