Chapitre II. Liaciatemi Cantare,

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E.Y

Grenoble (38)

Trois ans plus tard également

  • Maman, Maman , je l'ai eue, j'ai le bac, avec mention comme Évelyne et Marjo,

Graziéla pleurait de joie. Sa fille, sa toute petite venait de décrocher le diplôme sacré, celui que ni elle ni son mari n'avait réussi à obtenir. Ce sera son Marcello qui sera heureux en rentrant du travail. Elle dut retourner à la cuisine, une petite odeur de brulé en émanait.

  • Voilà, bichette, ma petite souris, je viens de bruler le souper, le risotto favori de ton père. Je ne suis qu'une vieille bête.Va acheter des pizzas et une bonne bouteille de Bardolino. je vais essayer de rattraper le riz, mais ça va être compliqué. tu en prends quatre ou cinq... on paiera plus tard, il le sait, Pépino, passé le 25, il n'y a plus d'argent à la maison. On invite la voisine Margueritte et sa fille. On va le fêter ce bac , Madré Mia ! La petite à grandie, c'est une tête, je l'ai toujours dit.
  • Maman, il y a papa qui monte, j'entends l'ascenseur, je pars après commander les pizzas, tu sais qu'on peut le faire par téléphone. Je veux lui dire en direct à papa aussi.
  • Non, j'ai changé d'avis, nous ressemblerions à des bouseux avec nos fringues de paysan. Nous te ferions honte, ma souris va- y! va manger avec tes copines. Il me reste un billet ou deux, je les avais déposés de côté pour cette occasion là.
  • Maman, jamais vous ne me ferez honte, tu as une petite robe bleue qui te va à ravir, papa à son costume, celui que tu m'as chargé d'envoyer au teinturier. J'ai travaillé en crêperie cet hiver à Chamrousse. Basta des pizzas, je peux vous payer un vrai restaurant. Nous n’irons pas à la Trattoria, celle du quartier rital. Non, le Mal Assis, rue Bayard. Mes copines, ont prévu d'y emmener leurs parents également. Jette ton riz, je sais que tu peux le reprendre, mais le petit goût de brûlé va rester. Tu sais que papa n'aime pas ça. Mais il va faire semblant d'adorer, il est incapable d'un mot méchant à ton encontre.

À ton encontre, pensa la mère, elle utilisait des mots du dictionnaire sa fille maintenant. Elle ne sera pas ouvrière comme ses parents.

  • C'est d'accord pour le restaurant, mais je te rembourserais, j'ai fait des ménages chez la vieille Mancini, la mère du consulare ! Radine comme elle est, elle ne m'a toujours pas payée. Un de ces jours, je la pends par les pieds, pour faire sortir toute cette caillasse qu'elle cache dans ses frusques.

***

Elle l'annoncèrent au vieil ouvrier, qui, ému, se tourna pour écraser une larme; un homme ça pleurait pas. Il se remémorait cette journée de mars 1967, quand tout jeune maçon, il débarquait de sa provincia. Il avait traversé la péninsule italienne, pour construire des cages à lapin à Grenoble. Au village Olympique d'abord, la barre, qu'il avait construite s'appelait maintenant la rue Gusto Gervasoti. Un rital comme lui, qui s'était tué en montagne. Il avait continué avec la Villeneuve et Mistral, ces immeubles où ils logeaient maintenant. Il ne voulait pas gâcher la fête, il devra taire la mauvaise nouvelle. Le fils de Rachid venait de se faire allumer. On l'avait retrouvé près du Drac, le corps criblé de balles. Il était gentil Akim, il avait mal tourné, simplement. L'argent facile dans ces cités corrompait tout. Il sourit à sa fille, oublia sa tristesse sa nostalgie et entama une chanson de chez lui après avoir serré sa fille contre son coeur.Il avait une belle voix de stentor. Il chantait aussi bien le bel canto que la grisette romantique, la tarentelle, ou Bella ciao, qu'Adamo ou Toto Cutogno Liaciatemi Cantare con la chitarra in mano, Sono un italiano...

Elle était immédiatement reprise par sa mère qui l'accompagnait de sa voix de tête. il rajouta,

Cette chanson passait en boucle en 1983, on la chantait à la foire de l'esplanade, à la fête du travailleur alpin. Elle était belle à mourir ta mère, elle l'est toujours.

oh, toi aussi tu étais beau, avec tes cheveux noirs, couleur corbeau.

Alors Bianca chantait à son tour, mimant le phrasé italien:

C'est vrai je suis un étranger,

j'ai les cheveux couleur corbeau

  • Vous m'avez raconté cette histoire des centaines de fois, maintenant on écoute plus ça, heureusement. Avec mes copines on aime les World's Attack, les Spaces Girls, Manu Chao, Madonna, Prince et IAM.
  • Oh, les filles, je prends une douche, j'ai le temps ? demanda le père
  • Mais oui, nous avons réservé une table en terrasse pour 20 heures...Toi aussi, Mama, va te faire belle .

***

Ils s'étaient tous donné rendez-vous à 19 h à l'arrêt La Bruyère, tous habitaient le quartier, Évelyne était accompagnée de sa mère et de son beau-père, Marguerrite était venue seule avec Marjo Jarzick était trop malade. Bianca , en petite robe très courte et peu couvrante était fière d'accompagner ses parents, elle était sans conteste la plus jolie du groupe. Le tram allait partir, un garçon de leur âge s'incrusta au dernier moment. Sébastien était là, il lui sourit de toutes ses dents très blanches, il était beau comme un prince dans sa chemise savamment déboutonnée. Bianca lui demanda où il allait. Il répondit :

  • Je viens avec vous, Marjo m'a invitée !

Il s'approcha de son air gauche, il était craquant avec son petit sourire en coin, il prit la taille de Bianca. Elle avait les mains moites, son coeur battait la chamade, il l'embrassa sur la joue et lui dit:

  • Je suis content que vous ayez eu le bac vous aussi, moi je suis en rattrapage, je l'aurais, je n’ai pas beaucoup de points à rattraper...de toute façon, je fais un remplacement à la poste à partir de lundi.

Bianca avait sorti son plus beau sourire pour lui. Elle si exubérante habituellement était comme paralysée, elle sentait sur sa joue comme une brûlure...Elle leva les yeux, son amie Marjo lui souriait tristement, elle n'y fit pas attention sur le moment, elle y repenserait plus tard à ce triste sourire. Il restera longtemps gravé dans sa mémoire. Sébastien fit un demi-pas en avant, se dandinait d'un pied sur l'autre maladroitement et, alors qu'elle s'attendait à une déclaration qu'elle espérait en vain depuis le mois de septembre, il se retourna et s'éloigna. Elle aurait dû le retenir, l'embrasser la première. Il s'éloignait, elle attendit une seconde de trop à le retenir,elle n'allait pas le laisser filer, c'était sa soirée. Elle ne se voyait pas courir avec ses escarpins, elle avait abandonné pour une fois sa traditionnelle paire de baskets Puma. Elle le coincerait plus tard, il ne pourra plus s'échapper. Ces timides, pensait-elle...Le tram venait d'arriver, ils s'installèrent tous dans le même compartiment? Alors qu'elle gardait une place pour sa copine Marjo, elle fut surprise de la voir s'assoir juste derrière elle, c'est Evy qui s'installa à côté. Quant au beau timide, qui ne l'était apparemment pas tant que ça, il s'installa ou il y avait de la place...sur les genoux de Marjo et les baisers qu'ils s'échangèrent étaient sans équivoque. Ce fut le premier coup de poignard de la soirée...Elle entendait alors qu'elle réfrénait ses larmes que personne n'aura comprises. Deux vieux monsieurs parlaient deux rangs plus loin , deux chibanis comme ils se faisaient appeler.

  • Tu as vu, le petit Akim, si le fils de Rachid le maçon...
  • Eeeeh quoi ! Akim, c'est un petit con ! son père il est bien, mais Akim et Abdel son jeune frère ce sont de mauvais garçons...la drogue...quel malheur...si un jour il leur arrive quelque chose Razika ne s'en remettra pas !
  • Akim s'est fait buter, derrière la barre Albert Thomas à Mistral, la guerre va recommencer, de toute façon c'était un petit con, mais deux balles dans le ventre, une dans la tête. Il ne méritait peut-être pas ça ! Inch Allah, je descends là, Albert premier de Belgique !

Elle se retourna, regarda son père qui avait aussi entendu le dialogue, elle demanda :

  • Papa, c'est vrai ?
  • Oui ma fille, c'est malheureusement vrai. Répondit-il en baissant la tête.
  • Pas Akim Alaoui ! c'était un si brave garçon ! cria-t-elle !

Le vieux monsieur se tourna alors vers le groupe et dit :

  • Salah Malékoum Marcello, je ne t'avais pas reconnu avec ton costume, c'est ta fille ? Elle est belle !

Alors qu'il s'apprêtait à descendre à l'arrêt Chavant, devant l'hôtel de la poste, il emprisonna la main de Bianca et de son beau regard bleu océan de berbère, il lui dit :

  • Ma fille ne touche jamais cette merde, elle tue tous nos enfants, Akim Alaoui était un gentil garçon, beau, poli, gentil, il avait un visage d'ange et des bouclettes. Depuis qu'il a commencé avec cette saloperie... il avait changé, c'est plus le Hakim que tu avais connu ma gazelle. Que Dieu te protège ma fille.

Il sortit du tram et disparu dans la nuit, d’un pas triste et lourd.

  • Inch Allah ! Criât il en levant les mains dans le ciel, Dieux donne, Dieux reprend !

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