Tapis de route

2 minutes de lecture

— Hōru Arekusandà

J’ai le souvenir

de ce tapis imprimé de routes,

et de ta casquette

toujours posée à l’envers sur ta tête.

On y jouait,

assis par terre,

avec mes petites autos.

Tu portais ton gros pull,

ton jean bleu usé,

et ton sac banane aux couleurs criardes.

Toujours côte à côte,

sur la même voie.

Ton rire soufflait derrière mon oreille —

il avait l’odeur mêlée

de Pepsi

et de fumée.

Tu avais la petite voiture verte,

et moi la rouge.

On les faisait tournoyer, broum broum,

dans ce petit garage en plastique.

Et tes bras,

comme une étreinte,

m’entouraient,

amour inconditionnel,

comme seule une mère donne,

quand tu ne t’amusais pas

à me chatouiller,

pris en traître par ta tendresse.

Nos rires explosaient,

montaient si haut,

si fort,

qu’on aurait dit

que les murs tremblaient —

du point de vue

du petit garçon que j’étais.

Je me souviens aussi

des promenades à vélo,

et toujours avec ce sac banane !

De la pêche au bord du canal,

des matins où je faisais semblant de dormir

et où tu m’habillais doucement,

comme un bébé.

C’était doux,

c’était simple,

c’était nous.

Mais j’ai eu douze ans.

Et j’ai voulu comprendre.

Savoir d’où je venais.

Je suis parti découvrir mon père.

Tu m’as laissé partir —

sans colère,

sans un mot bruyant,

comme on laisse filer une étoile filante,

sans faire de vœu.

Tu espérais que je revienne —

parce que ta façon d’aimer,

c’était déjà la mienne.

Tu savais déjà

que quelque chose se perdait,

moi, en chemin.

Les petites voitures sont restées là,

le tapis roulé,

nos rires repliés dedans,

et nous en petites boules.

Tu n’as jamais dit ta peine,

mais plus tard,

bien plus tard,

ta colère silencieuse

m’a raconté ce que tes mots

n’ont jamais su dire.

Et moi,

je n’ai jamais su te dire

que tout ça me manquait —

le Pepsi, la fumée, nos petites autos, nous deux.

J’ai eu peur qu’à un moment,

tu aies cru

que j’avais cessé de t’aimer

comme tu me l’as appris.

Mais ce n’était pas vrai.

Ces moments me font toujours espérer.

Aujourd’hui,

je comprends mieux

ce sentiment d’abandon —

maintenant

que tu n’es plus là.

Dans ton lit,

alitée,

en soins palliatifs,

je suis revenu,

me replier doucement

dans cette petite boule de nous.

Je t’ai prise dans mes bras,

une dernière étreinte —

mais tu étais déjà éteinte.

Ton bleu,

comme ton jean usé,

et toi…

J’aurais voulu rouvrir

ce tapis de route —

dérouler notre mémoire en boucle,

y déposer nos petites voitures,

et refaire le chemin à l’envers,

jusqu’aux rires.

Parce que je t’ai aimée

dans chaque virage,

même ceux

où j’ai fait demi-tour.

Note de l’auteur : Souvenirs tissés d’enfance et d’adieux silencieux, ce poème retourne à l’origine, là où le rire était langage et l’amour, une évidence. Il révèle la blessure de l’abandon involontaire et la tendresse qu’aucune distance ne peut effacer.

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