Bureau

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Vincent essaye d’arrêter sa jambe qui gigote, en vain.

À son côté, Boris est immobile, ses longs bras posés sur les accoudoirs d’un authentique fauteuil club.

Il connaît bien le bureau de Stéphane, mais aujourd’hui la pièce lui semble étrange, et étrangère. Le contraste est trop fort, les couleurs trop vives. Seule ancre dans cette mer de confusion, son premier disque d’or accroché au mur entre les deux fenêtres.

Stéphane, enfoncé dans son siège et mordillant un crayon, le regarde de ses petits yeux noisette.

— Bon audimat, Vincent, le spectateur s’est laissé happer. On a de belles images de vous deux dans la tempête, même si on sent que Boris te traîne un peu. Tu nous as convaincus lors de l’interview que le défi a été difficile. Certains pensent qu’il était bêtement dangereux. La chanson en revanche…

— Il y a eu un souci technique, dit Boris tranquillement. Vincent s’en est bien sorti.

— Et je veux enregistrer l’album comme ça, tout seul avec ma guitare.

Boris soupire, Stéphane se redresse.

— Mais l’album est déjà enregistré, il part demain au pressage !

— Annule le pressage.

— Hors de question, tu te rends compte des frais engagés ?

— Réenregistrer ne coûtera presque rien, et ça ne prendra qu’une journée.

— Moi j’aime bien les arrangements du nouvel album, ça donne du corps à tes textes, dit Boris avec un grand sourire.

La jambe de Vincent s’est arrêtée de gigoter.

— Vous m’emmerdez, tous les deux. J’ai cru mourir dans la montagne, mais j’ai planté votre drapeau à son sommet. J’ai supporté votre émission, son crétin de présentateur qui ne connaît même pas les titres de mes chansons. J’ai trouvé une solution lorsque vos machines sont tombées en panne, me laissant sur le carreau.

— Heureusement que ce n’était pas du direct, ressasse Boris pour la énième fois.

— Et lorsque j’ai chanté tout seul devant la caméra, ruisselant de sueur, avec une guitare à peine accordée...

— On aurait dit Jacques Brel en plein Amsterdam, dit Boris avec un clin d’œil.

— Tu ne m'as pas remercié, Stéphane, et tu veux sortir des chansons que moi-même je n’aime pas ? (Le vieux chanteur est debout, les poings serrés et appuyés sur le bord du bureau de son agent.) Si tu souhaites que ta vieille gloire revienne, Stéphane, ce sera comme je l'entends, et pas autrement ! Et toi, Boris, qui m’a toujours soutenu, merci bien de me lâcher maintenant ! Vraiment, merci, Boris !

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