Bernie est un homme d'à peu près cinquante printemps, il est atteint d'une maladie incurable. Cette maladie rare décime tous les patients qui en sont atteints dans des délais plus ou moins rapides. Tous les plus grands spécialistes demeurent impuissants devant cette inconnue des temps modernes et sont unanimes: Bernie va mourir aujourd'hui, où peut être bien demain, qui sait. Ce qui est certain, cest que Bernie n'a pas l'intention d'attendre patiemment la faucheuse allongé sur les draps pâles d'un lit d'hôpital. Alors Bernie a choisi de faire quelque chose qu'il n'a jamais encore fait durant toute sa vie: se permettre de la vivre, lâcher le volant et dire tout haut ce qu'il a toujours pensé tout bas.

Aujourd'hui Bernie va au restaurant. Ce sont ses amis les plus proches qui l'ont invité. Au début, il a pesté, d'habitude on l'appelle quand on a besoin de sa voiture où pour se faire prêter du fric, mais aujourd'hui c'est pas pareil, aujourd'hui il va bientôt crever, alors ses amis ont décidé d'apaiser quelque peu leurs consciences, alors merde, allons bouffer à l'œil et laissons a ces connards un souvenir intarissable se dit Bernie.

Le restaurant est coquet, petit et chaleureux, plutôt fréquenté. C'est Vincent qui se présente en premier au personnel, la table est réservée à son nom. Vincent a l'habitude d'être premier et pense que tous les édifices présents sur terre devraient porter son nom. Vincent, il est beau et baraqué, il est prof de sport, ça lui suffit pour alimenter son ego à l'appétit féroce. Il fait mine d'être un mec généreux et tolérant mais en vérité les seules choses qui lui importent sont ses pectoraux et l'état de propreté de sa bagnole. Pour faire court, sous la carapace de Vincent se cache un guignol quelque peu frustré, C'est d'ailleurs pour ça qu'il traîne avec Bernie et sa bande de loosers plutôt qu'en salle des proffesseurs où il se murmure tout bas que c'est un crétin qui cache son cerveau dans l'un de ses biceps.
Celle qui lui reluque les fesses, c'est Nathalie.
Nathalie est une vieille fille en manque de confiance. Elle aussi est prof, de Français. Elle vit seule dans un petit appartement avec ses livres et ses chats. Elle est secrètement amoureuse de Vincent, depuis des années, tellement amoureuse que cest plus un secret, ça crève les yeux. Elle a appelé l'un de ses chats Vincent, ça fais beaucoup rire ce dernier, moins Bernie, qui a de la peine pour ce pauvre animal qui doit sans doute accomplir des tâches extrêmement ingrates les soirs ou Natalochese sent plus seule que d'habitude.
Gunther aussi est là. C'est un ancien collègue de travail de Bernie. Lui, il est pas trop chiant, il dit toujours oui: Gunther t'as pas cent balles? Oui. Gunther tu peux garder mes gosses ce weekend? Oui. Gunther tu peux m'héberger chez toi quelques temps? Pas de soucis. Gunther tu me prête ta femme? Ah Non! Faut pas abuser!
Ça n'a pas empêché cette dernière de se tirer avec un autre. Depuis, son teint est devenu pâle, il a pris vingt kilos et tous ses cheveux ont étrangement désertés son crâne un par un, C'est la post rupture, il dit ça à chaque fois, ça fais dix ans qu'elle est partie. D'ailleurs depuis qu'elle est partie, Gunther semble flotter dans l'air, l'air d'être là sans en avoir l'air, bref, Gunther est mort dans l'âme et il lui arrive fréquemment de parler de sa femme comme si elle partageait encore son lit. Ouais, la réalité c'est bien la seule chose à laquelle il dit non.

Ensuite y'a cette fille que personne n'a jamais vu. C'est la nouvelle copine de Vincent. Pas grand chose à dire si ce n'est qu'elle cache des ballons de foot sous son débardeur, un coussin moelleux sous sa mini jupe et un visage sous son maquillage. Elle n'a pas l'air ravie d'être là mais bon, Bernie n'a pas beaucoup d'amis alors fallait bien meubler.

La patronne de l'auberge escorte le groupe jusqu'à une table à côté de la cheminée, ces derniers s'installent. La pouf de Vincent râle, il fait trop chaud et que cette cheminée sent le bois cendré. Bernie lui dit que c'est le concept d'un feu de bois et puis si son maquillage coule, elle n'aura pas à s'en faire, la nappe est en papier. Elle a l'air surprise alors Vincent réagit en riant aux éclats, sacré Bernie, toujours le mot pour rire hein.

Les menus arrivent. Bernie choisis ce qu'il y a de plus cher, on a qu'une vie, parfois trop courte. Vous désirez un peu de vin? Mettez nous un Grand Marnier, non, quatre! Quatre Grand Marnier! qu'il dit. Vincent et son visage décomposé tentent de réagir: t'es sûr? J'veux dire... c'est bon pour... enfin j'veux dire.... c'est bon pour c'que t'as?

Ça sera ma dernière volonté Mr l'abbé. Radin.

Pardon?

Rabbin, t'as pas des origines juives?

Euh oui mais...

Ok! Allez on va prendre un apéritif!

La petite troupe bois un verre à la santé de Bernie, classe, et c'est le moment que choisis Vincent pour leur parler un peu de sa nouvelle petite amie. On dirait qu'il tente de vendre une bagnole au salon de l'auto, comme si quelqu'un en avait quelque chose à foutre. Elle, elle se contente de sourire, pour la première fois, vu qu'on parle d'elle. Il vante sa beauté intérieure, sa sensibilité, ce genre de conneries auxquelles Bernie met fin en lui coupant la parole: Carrosserie neuve, doubles airs bags, bonne tenue de route mais peu économique, suce beaucoup, première main, contrôle technique ok, bla bla bla... c'est ça ouais, t'as reculé le kilométrage?
Et tape un clin d'oeil pour ponctuer sa phrase. La demoiselle devient écarlate et crache des mots incompréhensibles à la face de son mec plutôt embarrassé.

Ah bah en plus c'est une bagnole exportée!

Le malaise est palpable, Nathalie boit la tasse, Gunther dévoile son rictus de pervers et Vincent tente de sauver les meubles en se marrant comme une baleine, hahaha Bernie dis donc t'es en forme toi ce soir!

Non. J'avais pas trop envie de venir.

Nathalie voyant la situation virer au malaise tente de changer de conversation en lançant maladroitement le premier sujet qui lui passe par la tête, à savoir le temps qu'il fait dehors.

Ah! Un vrai classique! T'as vraiment rien d'autre à raconter?
On sait qu'il pleut dehors, t'as frisé comme un caniche. Tu sais, t'es loin de ressembler à miss météo Nathalie, et puis merde, tu parles jamais d'autre chose que du temps? t'as quarante-deux ans, tu parles comme une ménagère de soixante cinq lobotomisée au xanax! Et gné, euh gneu, hé gné! Mais secoue toi, merde!

Mais...

Mais... mais... mais.... mais quoi bordel! T'as pas l'impression de stagner dans ta vie de merde? Tu vas passer toute ta vie à te faire renifler la chatte par tes pauvres chats en pensant à l'autre connard qui se tape des putes de l'Est? Bordel mais pète un bon coup, sors de ton clapier, fous un décolleté, troue tes collants! on est en 2024 putain! le monde c'est pas un couvent! Fais toi peter la rondelle et on en parle plus!
Nathalie se met à sangloter.
Oh et puis arrête de chialer, ça va! Un coup dans la rondelle! juste un!

Nathalie pleur maintenant de chaudes larmes pendant que Gunther baisse la tête.

Bah quoi c'est vrai merde. Gunther, j'ai pas raison??

Gunther est en panique, il ne sait quoi répondre sous la pression du regard de Bernie. Il sait qu'à chaque fois dans ce genre de situation il cède, même s'il est foncièrement gentil, même s'il n'est pas d'accord.

Gunther! J'ai pas raison???!!

....euhw....euwhuii....

Nathalie se liquifie sur place en s'égosillant.

Haha sa t'es un bel enculé toi! Comment c'est possible d'être aussi méchant!

Gunther lâche un sourire emplie de gêne du coin des lèvres.

Ça va j'te charie mon pote, même si t'es un gros feignant de dépressif au casque pelé, je t'ai toujours apprécié. Toi au moins t'es gentil.
Mais tu vois c'est ça ton problème, t'es trop gentil. C'est pour ça qu'ils se sont barrés ta femme et tes cheveux, c'est ce qui arrive aux mecs comme toi.

Gunther aussi se met à sangloter. Nathalie, elle, pousse des cris comme une truie qu'on tente de mettre à mort en se vidant de toute l'eau de son corps. Au milieu de ce brouhaha émotionnel, seul Vincent tient tête, certainement parce qu'il en a pas encore assez pris pour son grade, il se permet donc de traiter Bernie de gros connard avec un air dégoûté.

T'as peut être raison Vincent, je suis un gros connard, mais moi j'en ai conscience. Ma vie c'est pas un mensonge, je sais qui je suis, je sais où je vais et t'inquiète pas t'en a plus pour longtemps à me supporter. De toute façon, j'ai jamais pu te blairer. T'es un idiot juste bon à soulever de la fonte, regardez comment je suis beau, miam miam je me badigeonne d'huile, touchez mon nombril, foutez moi un doigts dans le cul! Tu serais capable de t'auto enculer si ça serait physiquement possible! Oh mais t'aurai pas bien mal non, ça non, j'ai vu l'an dernier, au tournoi de foot! T'aimes pas les douches froides hein, p'tite bite! as hein p'tite bite!

Bernie se lève et s'adresse aux quelques curieux aux alentours qui étaient déjà en train de scruter la scène.

JE VOUS PRÉSENTE VINCENT, LA PLUS P'TITE BITE DU FAR WEST!

t'es un mannequin raté pour calbars bon marché , les seules meufs que tu ramènes elles parlent même pas français, c'est pas étonnant, tu sais à peine aligner trois mots, on sait très bien que tu crois mériter mieux mais la vérité c'est que tu peux te faire que des putes ou des boudins, pauvre de toi, si seulement le monde revenir à la préhistoire, que tu puisse draguer en agheu! Agheu! Ieeh! Mmmfff!... Tiens! A propos de boudin! Gunther tu sais quand ta femme, enfin, ton ex femme, avait entrepris de perdre du poids en faisant appel à coach Vincent, hein tu t'en souviens? Ouais? Bah tu l'as vu perdre ne serait-ce qu'un gramme? Non, c'était toujours le même gros tas de merde qui rentrait chez toi tous les soirs eeeet ouais. Et tu sais pourquoi elle était toujours aussi grosse ta femme? bah parce que coach Vincent il la bourrait tous les soirs mec! C'est qui le gros connard?

Vincent se lève à son tour, fou de rage, j'vais t'en coller une fils de pute!! Mais à peine a t'il le temps d'armer son poing que Gunther écrase une soupe de phalanges sur sa gueule d'ange! Le personnel arrive en panique. Vincent est au sol, il pisse le sang, Gunther crie de douleur, il a mal à la main et Nathalie s'est évanouie, peut être bien depuis cinq minutes, qui sait. Quand à la pouf, elle doit être en train de se repoudrer dans les toilettes.

Bernie, lui, file sur la pointe des pieds le sourire aux lèvres. Une fois dehors, il éclate de rire en dansant sous les réverbères. Une voiture de flics passe et fait retentir sa sirène. Il se dit putain, j'y ai pas été un peu fort?
Il lève la tête et contemple les étoiles de cette douce nuit d'hiver, il se sent de plus en plus proche d'elles.

Bientôt elles seront son matelas.

Alors ouais, qu'ils aillent tous se faire enculer!