Shift in the night

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Je patientais à Mapo, toutes les nuits, et il y avait des étoiles partout, jusqu'au sol. Le bitume brillait et la fumée s'égarait depuis les tuyauteries dans l'air du dehors jusqu'aux quelques passants des ruelles crasseuses de pluie - certaines fois, on rentrait tellement trempées qu'il fallait trois jours pour que le tissu de nos chaussures se déleste de son inondation. La ventilation impitoyable n'était jamais un facteur de bon pronostic à l'essorage de nos godasses boueuses. Sofia appuyait compulsivement de ses doigts manucurés en rose Hello Kitty sur le boitier et nous incitait d'une voix stridente et théâtrale à ne surtout pas l'éteindre car sinon elle mourrait au cours de la nuit d'avoir trop sué. Sofia avait quinze ans - mais un corps qui faisait deux fois son âge - et hormis cette histoire d'aération, elle était définitivement plus espagnole que suédoise. La machine faisait un boucan infernal, toujours moins cependant que celle qui en avait le contrôle autoproclamé.

Le lendemain d'une averse, quand on passait la porte à ouverture automatique, on faisait un bruit de flaque avec nos godasses humides n'ayant pas séché. Le concierge nous détaillait de la tête aux semelles d'un drôle d'air. Il faut dire que son carrelage scintillait avant notre passage : le monsieur en costume-cravate y passait sans doute le plus clair de son temps. Et nous, on arrivait avec un maladroit 안녕하세요! pour lui éclabousser les dalles.

On pouvait plonger sans peine dans Mapo et si l'envie m'avait prise de descendre profiter du dehors aux alentours de deux heures du matin, je l'aurais fait sans crainte. Dans les quartiers pauvres de Seoul, on eût dit que les murs en brique se vidaient vers l'extérieur puis que tout s'épurait vers le ciel, évaporé par la chaleur d'Août. Les câbles tirés de nuages en nuages en toits d'immeubles accordaient une partition à qui voulait bien jouer de la ville.

Certaines nuits, j'observais le quartier accroupie sur une chaise d'un blanc tout neuf derrière une large vitre poussiéreuse, comme un chat fixe son environnement. Un des voisins regardait souvent la télévision - des émissions humoristiques coréennes - jusque tard dans la nuit, à se demander s'il dormait avant d'empoigner son attaché-case et de se jeter dans la gueule grande ouverte du monstre citadin. Les rues de Mapo étaient parmi les plus calmes de la capitale enfiévrée, pourtant, rien qu'en bas de l'immeuble, les objets semblaient pris d'une vie propre. Ces six boites aux lettres fondues les unes aux autres, par exemple. L'étiquette du destinataire, en sigles locaux, ne signifiait vraiment rien à mes yeux au début du mois. Le métal était peint en bleu roi, écaillé par la rouille et les petites portes des boites étaient le plus souvent ouvertes. Cela servait surtout à contenir de vieux tracts publicitaires des années 2000. J'aimais m'insomnier en admirant tous ces détails malgré mes orteils rouges des efforts de la journée, j'aimais vraiment imaginer ce que je n'avais pas eu le temps d'apprécier pleinement - la vie seoulienne dans toute son ampleur ; prise que j'étais dans le bouillonnement électrique et inextinguible de la capitale. Des frissons parcouraient incessamment ma colonne de haut en bas et de bas en haut sans que je ne sache distinguer si ce frémissement venait de la ventilation espagnole ou de Seoul m'envoûtant le corps.

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