Ce qui reste d'elle
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Je l’ai senti avant même de la voir.
Un souffle sucré, capiteux, envoûtant. Cette odeur qui m’avait toujours désarmé. Loverdose Red Kiss. Un nom qui claque comme une promesse ou une trahison. Rouge passion. Rouge morsure. Rouge souvenir.
Elle traversait la galerie d’un pas lent, presque flottant, comme si rien ne la pressait. Et pourtant, tout en elle semblait urgent. Sa silhouette, sa démarche, ce parfum.
Je l’ai aimée pour ça, je crois. Pour cette manière d’habiter le monde à moitié, comme si elle appartenait davantage à l’air qu’à la terre. Son parfum était le seul indice tangible de son passage. Une signature volatile qui survivait à ses absences.
Il y avait toujours d’abord cette note vive, presque audacieuse : l’orange sanguine. Elle éclatait dans l’air comme un rire nerveux, imprévisible. Puis venait quelque chose de plus dense, plus chaud. Le cacao amer, la vanille charnelle, ce fond presque animal qui me rappelait nos nuits sans fin, les draps en bataille et les silences brûlants.
Elle m’avait dit un jour : « Ce parfum, c’est moi. Si tu veux me garder, garde-le. »
 Et c’est ce que j’ai fait.
Quand elle est partie — pour de bon cette fois — elle a laissé le flacon sur la commode. Une provocation ou une offrande, je ne saurai jamais. Je ne l’ai jamais ouvert depuis. Mais parfois, quand le vent s’engouffre par la fenêtre, je crois en percevoir encore la trace. Une illusion, peut-être. Ou la preuve que certaines odeurs s’incrustent dans les murs autant que dans la mémoire.
Aujourd’hui encore, quand une inconnue porte ce parfum dans la rue, je me retourne. Mon cœur ralentit, puis s’accélère. Je sais que ce n’est pas elle. Mais l’espace d’un instant, elle est là. Dans l’orange, dans la fève, dans cette douceur qui s’accroche au monde comme un dernier baiser.
Et je me dis que si l’amour devait avoir une odeur, ce serait celle-là.
Rouge. Intense. Inoubliable.

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